Il a incarné Mark Zuckerberg dans le succès critique Social Network de David Fincher, combattu les morts-vivants aux côtés de Woody Harrelson dans le dément Zombieland de Ruben Fleischer et joué en Bourse dans le Hummingbird Project de Kim Nguyen. Connu pour endosser les rôles de personnages atypiques, originaux et légèrement névrosés, Jesse Eisenberg continue sur sa lancée.

Une entrevue filmée qui s’est mal passée, un papier du Guardian le décrivant comme faisant tout pour échapper à des admirateurs, des potins clamant qu’il refuse de faire des égoportraits dans les aéroports… Pour toutes ces raisons, et peut-être bien malgré lui, Jesse Eisenberg traîne la réputation de ne pas être facile, facile.

Pourtant, lors de son passage à Montréal, soit il fait particulièrement attention, soit il est simplement un gars très correct qui n’aime tout simplement pas jouer les vedettes hollywoodiennes. « Merci de faire cette entrevue, merci », répète-t-il tandis que nous prenons place à une table. « Votre nom, c’est russe ? Oh ! Polonais. Ma famille vient de Lublin », rappelle-t-il avant de répéter « merci » dans la langue de ses ancêtres. « Dziekuje, dziekuje. » Puis, il nous annonce avec fierté qu’il aime le barszcz (comprendre : la soupe aux betteraves) et nous avise de la présence d’une épicerie de ce pays dans le Mile End montréalais.

C’est d’ailleurs là qu’il a momentanément posé ses pénates, avec sa femme et leur petit garçon (pas dans l’épicerie, mais bien dans le Mile End), le temps de venir présenter non pas un, mais bien deux films au festival Fantasia, consacré au cinéma de genre.

Commençons par le premier. The Art of Self-Defense. Un mélange déléctablement étrange de comédie noire, de commentaire social et de drame sportif. Eisenberg y incarne un solitaire bébête, aux aptitudes sociales inexistantes. Sa vie se déroule platement, toujours pareille, ronflante à mourir. Jusqu’au jour où il se fait tabasser par une bande de voyous. Décidant que c’en est assez, il s’inscrit à des cours de karaté. Où il apprend à devenir fort, confiant. Un homme. « Ne trouvez-vous pas que ce film a un air d’Europe de l’Est ? », nous interroge l’acteur de son débit signature – rapide, sec et saccadé. « Vous savez, il y a cet… cet humour noir, cette esthétique que j’ai remarquée dans certaines œuvres roumaines. Ou même yougoslaves ! Tous les personnages ont un côté, hum, dépressif. Personne n’est heureux. Ou énergique. »

Et c’est vrai que cet art de l’autodéfense est plongé dans une ambiance de catastrophe imminente. Mené par le sentiment que, peu importe ce que l’on fait, rien ne pourra jamais bien aller. « Ah, voilà ! s’exclame-t-il. Le nihilisme. Oui, le nihilisme. »

Oui, aussi : Jesse semble avoir un attachement particulier à ce long métrage réalisé par le Texan Riley Stearns. « Le scénario est brillant, c’est l’un des plus drôles que j’ai jamais lus », assure-t-il. Et cet attachement a crû depuis qu’il a accepté le rôle, en juillet 2017. En effet, pendant le tournage, le mouvement #metoo s’est enclenché, l’élection américaine a eu lieu. « Soudain, le film m’a semblé d’autant plus pertinent. On aurait dit qu’il prenait la forme d’une réponse. À toutes ces questions que la culture de masse se posait : sur la façon dont les hommes traitent les femmes, sur la façon dont les hommes se traitent entre eux, sur la façon dont les hommes se perçoivent… »

Sauf que l’on est loin du prêchi-prêcha qui aurait pu en pousser certains à se dégoûter, « beuh, je ne veux pas voir ça ». « Si c’était fait de façon plus directe, en condamnant les hommes, le film aurait pu avoir un effet rebutant, refroidissant, analyse l’acteur new-yorkais. Selon moi, la satire, c’est la meilleure façon de traiter de telles situations. Au fil de l’histoire, en commençant par Orwell, tous les grands commentateurs de notre monde ont utilisé l’humour. »

L’humour pour parler, dans ce cas-ci, de pouvoir. De dignité. Et des dangers que représente l’équation « trop grande confiance en soi + manque d’intelligence ». Deux traits qui caractérisent d’ailleurs le professeur de karaté (joué avec drôlerie par Alessandro Nivola). Un type super sûr de lui, mais complètement con. « Un sociopathe narcissique qui a de très strictes idées sur ce qu’être un homme signifie. Ce qui veut dire : quel genre de musique on écoute (réponse : du métal), quel genre de chien on possède (réponse : méchant). Toutes ces choses qui nous semblent ridicules, mais qui sont traitées à l’écran de façon sincère. »

Sincère comme l’est le personnage de reclus qu’incarne Eisenberg. « Il est plutôt pur. Plus timide que réfléchi. » 

Il me fait penser à un gamin de 6 ans. En fait, il me fait penser à moi à cet âge. Complètement terrifié, mais désireux de croire que le monde est bon.

Jesse Eisenberg, au sujet du personnage qu'il incarne dans The Art of Self-Defense 

Enfant craintif, Jesse Eisenberg ? Absolument. « J’avais constamment peur. Je me sentais impuissant, démuni. Il aurait fallu que je sois sportif et populaire pour survivre. Je détestais ça. » Soudain, il sourit. « J’ai toujours su que ce serait lorsque je serais adulte, que je serais marié et que j’aurais un bébé, que ma vie se serait arrangée. »

Justement, la vie de famille se retrouve au cœur de Vivarium, le second long métrage présenté à Fantasia. Une petite perle cauchemardesque à l’introduction aux allures de Truman Show. Le propos ? Un couple se retrouve coincé dans un lotissement de maisons désertes, toutes parfaitement identiques et plantées sous un ciel dans lequel tous les nuages ont la forme d’un… nuage. Réalisée par Lorcan Finnegan, cette méditation insolite sonde, comme le dit l’acteur, « les pires craintes que peut générer en nous l’idée de vieillir, de fonder une famille, d’acheter une maison, de se poser ».

Une peur que l’acteur affirme ne pas avoir connue. Et qu’il illustre… à sa façon. « J’avais hâte de devenir adulte. Maintenant que je le suis, je peux faire ce que je veux. Je peux manger un muffin ou ne pas manger de muffin. En tant qu’enfant… » Vous ne pouviez pas manger de muffin ? « Non ! Il fallait que je mange le muffin. À l’école, par exemple. Si on m’en donnait un, je devais le prendre. Maintenant, je peux passer mon tour. Ou l’accepter si je le veux. Mais, en fin de compte, c’est moi qui décide. »

Vivarium, le 12 juillet, à 21 h 30, au Théâtre Hall de Concordia, dans le cadre du festival Fantasia

The Art of Self-Defense, le 11 juillet, à 21 h 30, au Théâtre Hall de Concordia, dans le cadre du festival Fantasia, et en salle au Québec le 19 juillet 

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