En 2020, la journaliste américaine Isabel Wilkerson, lauréate d’un prix Pulitzer, a publié un essai sur les systèmes de castes (Caste : The Origins of Our Discontent) qui expliquent à la fois la ségrégation des Afro-Américains, l’Holocauste et les inégalités dans la société indienne. Paru quelques mois après le meurtre de George Floyd, le livre est resté plusieurs mois sur les listes de best-sellers aux États-Unis.

L’Américaine Ava DuVernay en a tiré un film de fiction extrêmement ambitieux sur le thème de la discrimination. L’autrice-cinéaste a fait d’Isabel Wilkerson le personnage central de son film (incarné par Aunjanue Ellis-Taylor). Elle s’est intéressée autant aux théories de la journaliste et essayiste qu’à sa vie privée et aux deuils successifs qu’elle a vécus.

Origin commence par une reconstitution troublante de la nuit où le jeune Trayvon Martin, 17 ans, a été abattu dans un quartier résidentiel, pour la seule raison qu’il était noir dans un pays fou de ses armes à feu. La cinéaste a décidé de diffuser les véritables appels qui ont été faits au 911 par l’assassin de Martin, George Zimmerman, un voisin paranoïaque. Cette mort absurde a en quelque sorte marqué le début du mouvement #BlackLivesMatter selon Ava DuVernay, qui a fait visionner les premières images de son film à la mère de Trayvon Martin afin d’obtenir son aval.

Le nouveau film de la cinéaste de Selma et 13th explore les distinctions subtiles entre le racisme systémique et la discrimination systémique résultant de systèmes de castes ancrés dans différentes sociétés.

Les quelque 250 millions de descendants d’intouchables indiens ont la même couleur de peau que les brahmanes qui leur sont considérés comme traditionnellement supérieurs, note le personnage d’Isabel dans Origin. Peut-on dans ce cas parler de racisme ?

Pour transformer en récit de fiction les réflexions d’Isabel Wilkerson, Ava DuVernay a choisi de camper son film à différentes époques : notamment au moment où Wilkerson prépare son livre, inspirée par l’attentat néonazi de Charlottesville, et dans les années 1930, pendant l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne et alors que sévit la ségrégation raciale aux États-Unis.

PHOTO ATSUSHI NISHIJIMA, ASSOCIATED PRESS

Jon Bernthal et Aunjanue Ellis-Taylor dans une scène du film Origin

Des parallèles inévitables

Les thèses d’Isabel Wilkerson sont très convaincantes. Les lois Jim Crow aux États-Unis ont servi de base au cadre législatif antisémite mis en place par le IIIReich. « C’est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau : tel est le noyau de ce que nous avons à dire », écrivait le célèbre rescapé d’Auschwitz Primo Levi. Les parallèles sont aussi inévitables avec ce qui se passe depuis quelques années aux États-Unis.

La démonstration de ces thèses par Ava DuVernay est toutefois didactique. Le montage parallèle qu’elle a privilégié entre le présent et le passé est maladroit et manque de fluidité. Le choix de mettre en scène des acteurs non professionnels jouant leur propre rôle à l’écran provoque des ruptures de ton. Et les reconstitutions historiques s’apparentent dans leur forme à une succession disloquée de « Minutes du patrimoine », appuyées par une musique larmoyante et empesée.

Il y a un vice de forme dans Origin, une fiction inspirée du documentaire qui ne parvient pas tout à fait à choisir son camp ni à remplir ses promesses. Certes, ce réquisitoire contre la déshumanisation est par moments puissant. Malheureusement, les meilleures intentions ne se traduisent pas toujours par les meilleurs films.

En salle

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Origin

Drame biographique

Origin

Ava DuVernay

Aunjanue Ellis-Taylor, Jon Bernthal, Niecy Nash-Betts

2 h 21

6/10