À 82 ans, Martin Scorsese propose un film magistral grâce à Killers of the Flower Moon (La note américaine en version française), western ambitieux sur la cupidité, la vilénie, le racisme et la déshumanisation, qui déboulonne davantage le mythe du rêve américain.

Comme dans plusieurs de ses films les plus marquants, le grand maître américain met en scène des personnages de criminels sans scrupules, corrompus et assoiffés de pouvoir, qui ne sont pas pour autant dénués de paradoxes et d’ambiguïtés.

Killers of the Flower Moon, adaptation par Scorsese et Eric Roth (Forrest Gump, Dune) du roman homonyme du journaliste du New Yorker David Grann, raconte un pan méconnu de l’histoire américaine. Le récit incroyable et pourtant vrai de la Nation osage, condensé du racisme systémique et du paternalisme blanc dont souffrent les Premières Nations depuis des décennies.

Le peuple osage a été chassé du Kansas vers l’Oklahoma, sur une terre que l’on croyait sans grande valeur. Mais au début du siècle dernier, la découverte de gisements pétroliers a fait de la Nation osage la plus riche du monde par habitant.

Au début de La note américaine, les rôles semblent inversés : les autochtones portent bijoux et manteaux de fourrure, ont des domestiques et des chauffeurs blancs. On comprend vite que plusieurs ont été mis sous tutelle, car jugés « incompétents » par l’État. C’est le cas de Mollie (Lily Gladstone), dont la famille possède des terres qui valent très cher.

Confiance et trahison

Arrive au village Ernest Burkhart (Leonardo DiCaprio), vétéran de la Première Guerre mondiale, qui cherche du travail chez son oncle William Hale (Robert De Niro), un éleveur de bétail très proche du peuple osage, dont il parle la langue. Hale, qui tient à se faire appeler « King » – ç’aurait pu être « Parrain » –, est le roitelet de la région.

PHOTO MELINDA SUE GORDON, FOURNIE PAR APPLE

Lily Gladstone et Leornardo DiCaprio dans Killers of the Flower Moon

King Hale a un projet en tête : celui de marier Ernest à Mollie, qui lui est tombée dans l’œil, afin que leur alliance lui donne droit, advenant l’éventuel décès de cette dernière, à sa part de la fortune familiale. Hale est prêt à bien des bassesses pour mettre le grappin sur l’héritage de Mollie, de sa mère et de ses sœurs.

Les disparitions mystérieuses d’autochtones attirent éventuellement en ville un agent du nouveau Bureau of Investigation (Jesse Plemons), ancêtre du FBI qui vient d’être créé par J. Edgar Hoover.

« C’est une histoire d’amour, de confiance et de trahison », résumait en mai Martin Scorsese en conférence de presse au Festival de Cannes, où le film a été présenté hors compétition. C’est aussi un regard lucide sur le sang autochtone versé pour bâtir l’Amérique du capitalisme sauvage, dont on parle peu dans les manuels d’histoire.

Violente et épique, comme le sont la majorité des œuvres de Scorsese, Killers of the Flower Moon tient constamment en haleine, malgré ses 206 minutes. Le cinéaste de Taxi Driver et de Wolf of Wall Street y met en scène ensemble pour la première fois ses deux acteurs fétiches, Robert De Niro et Leonardo DiCaprio, respectivement à leur dixième et sixième collaboration avec Scorsese.

Mise en scène magnifique

Leonardo DiCaprio est remarquable dans la peau de cet Ernest, homme d’une intelligence très moyenne, qui aime sa femme, mais aussi l’argent et le whisky de contrebande. Mollie voit en lui un « coyote », mais aussi un allié aux traits enjôleurs en qui elle place sa confiance.

Robert De Niro trouve l’un de ses meilleurs rôles récents dans celui de ce personnage torve et puissant, à la fois adulé et craint par ceux qui l’entourent. Tout en qualifiant le peuple osage de plus admirable de la planète, il fomente complots et subterfuges pour leur soutirer leur richesse.

Révélée par l’excellent Certain Women de Kelly Reichardt, Lily Gladstone est la pierre angulaire de cette intrigue aux accents de polar sociopolitique. Son silence digne en révèle davantage que bien des répliques, et son regard s’éclaire peu à peu à l’évidence de ce qui se trame autour d’elle.

La mise en scène tout en sobriété de Scorsese est magnifique. À commencer par une scène de rituel funéraire autochtone en plongée totale, suivie d’une séquence au ralenti de jeunes Osage en liesse sous une pluie de pétrole. Le procédé inspiré du « true crime » mis en place par le cinéaste pour conclure son film est du reste aussi original qu’ingénieux.

Est-il utile de préciser que Killers of the Flower Moon, qui sera diffusé sur la plateforme Apple+ en décembre, mérite d’être vu sur grand écran ? C’est le film bilan d’un grand maître, toujours au sommet de son art après cinq décennies de carrière, qui signe l’équivalent cinématographique de son grand roman américain.

Consultez l’horaire du film
Killers of the Flower Moon (V. F. : La note américaine)

Drame historique

Killers of the Flower Moon (V. F. : La note américaine)

Martin Scorsese

Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone

3 h 26
En salle

8,5/10