Xavier Dolan a dit vrai. Tom à la ferme se démarque sensiblement de ses trois longs métrages précédents. On le sent plus concentré, plus en maîtrise de ses moyens, plus mûr aussi. Cela ne l'empêche toutefois pas de laisser libre cours à son style et de s'amuser avec la grammaire du cinéma. À ce chapitre, l'empreinte Dolan reste bien présente. C'est d'ailleurs grâce à elle que ce nouveau film suscitera probablement bien des discussions. Et des opinions très tranchées. D'autant que le réalisateur de J'ai tué ma mère s'aventure ici dans le cinéma de genre.

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Après s'être laissé emporter par les fulgurances de Laurence Anyways, Xavier Dolan s'est recentré sur une histoire qui appelle une certaine sobriété dans le traitement narratif. Pendant 95 minutes, le spectateur n'a pratiquement aucun répit, aucune occasion de reprendre son souffle. Du début à la fin, Tom à la ferme est conjugué au mode «intense». C'est à prendre ou à laisser.

Le récit, inspiré de la pièce de Michel-Marc Bouchard (le dramaturge a coécrit le scénario du long métrage avec Xavier Dolan), commence dans un élan de douleur intime. Sur une très belle version des Moulins de mon coeur, chantée a capella par Kathleen Fortin, Tom (Xavier Dolan) écrit quelques mots en gros plans, histoire de jeter sur papier une peine si incommensurable qu'elle ne peut être exprimée. Son amoureux vient de mourir.

L'endeuillé rend visite à sa belle-famille à la campagne, histoire d'assister aux funérailles. Très vite, un climat anxiogène s'installe. D'abord, une brume humide. Ensuite, une maison vide. Puis, l'arrivée de la mère (remarquable Lise Roy). Qui ne savait rien de la vie intime de son fils. Ce dernier s'était même inventé une autre réalité, plus «conventionnelle», afin de ne pas éveiller les soupçons auprès de la famille. L'arrivée de Francis (Pierre-Yves Cardinal), frère du défunt, forcera Tom à se vautrer dans le mensonge. Agressif, homophobe, dégoûté par ceux «dont le sperme ne sert à rien», le frangin ne tardera pas à ruer Tom de coups pour bien se faire comprendre.

Des scènes puissantes

Dès cette étape, Dolan emprunte un style qui flirte allègrement avec le genre du film d'épouvante. La trame musicale, composée par le vétéran Gabriel Yared, est à l'avenant. Un lien d'attraction-répulsion s'installe entre Tom et Francis, le premier étant dans les faits devenu l'otage de l'autre. Dans ce monde isolé, fêlé et malsain, Tom se voit forcé de rentrer dans le placard et de suivre un parcours allant totalement à l'encontre de ses convictions. Quand débarque Sarah (Evelyne Brochu), une amie de Tom qui, à la demande de ce dernier, joue la blonde du défunt inventée par Francis, les choses se compliquent encore plus. Un peu comme si chaque personnage renvoyait à la face de l'autre une facette inavouable de sa personnalité.

Magnifiquement mis en images par l'as directeur photo André Turpin, Tom à la ferme est ponctué de scènes puissantes, tant sur le plan visuel que dramatique (la fuite dans les champs, le tango, les rapports de force). À la fois thriller et drame familial, le film bénéficie aussi des compositions remarquables des quatre acteurs en présence. À n'en pas douter, Tom à la ferme constitue un tournant dans la carrière de Xavier Dolan. Qu'en pensera le jury de la Mostra de Venise présidé par Bernardo Bertolucci? Cela reste à voir. Les festivaliers étaient toutefois nombreux à lui prédire - parfois souhaiter - une présence au palmarès. On saura samedi.