Nous sommes à Saint-Germain-de-Kamouraska, en haut des collines qui dominent le fleuve. Au fond d'un chemin de terre, l'équipe du film La flamme d'une chandelle, dirigée par la réalisatrice Catherine Martin, est entassée dans une maison d'époque. La Presse, qui a eu un accès privilégié au tournage, vous emmène faire un tour sur le plateau...

La flamme d'une chandelle est un film d'auteur au budget modeste de 2,1 millions. Réalisé par Catherine Martin, il raconte le drame vécu par une mère dont la jeune fille violoniste est assassinée à Montréal.
«Elle retourne à Kamouraska à la rencontre d'elle-même. Elle se réfugie dans la maison qui appartenait à sa mère et à sa grand-mère», explique Lorraine Dufour, de la Coop vidéo de Montréal, coproductrice du film.

Françoise, interprétée par Guylaine Tremblay, reverra un ami d'enfance, Édouard, peintre en panne d'inspiration. «Lui est en transition, elle, en deuil», indique Catherine Martin.

L'homme raccroche Françoise à la vie. «Il lui permet de vivre son deuil en la réchappant de la mort», souligne François Papineau, qui voit son personnage comme un ange gardien. «Je voyais le rôle comme un défi. Habituellement, je fais des choses plus actives, plus intempestives.»

Catherine Martin a eu l'idée à la base du scénario de La flamme d'une chandelle il y a plusieurs années. «Quand j'étais étudiante en cinéma, j'avais eu une image... Une jeune violoniste assassinée, raconte-t-elle. Mais comment le reste de l'histoire est venu, je n'arrive pas à m'en souvenir.»

«Pour que cette femme-là puisse renaître, j'ai imaginé l'une des pires choses qui puissent arriver, poursuit la réalisatrice. Malgré tout, il reste la vie. C'est ce que je souhaite dire tout simplement.»
Paule Baillargeon et Denise Gagnon jouent respectivement la mère et la grand-mère de Françoise. Elles apparaissent de façon subjective, telles des «âmes bienveillantes».

Françoise imagine aussi sa fille, dont le rôle est interprété par Sheila Jaffé, étudiante en musique de 23 ans.

Kamouraska est un autre personnage du film. « J'ai choisi ce lieu pour la proximité du fleuve, note Catherine Martin. La puissance de la nature est une manière d'être au monde. Notre rapport au fleuve, c'est comme notre sang dans nos veines. Il y a une notion de territoire dans notre film... On retourne là d'où l'on vient.»

Être près de la nature inspire les gens et les ramène à l'essentiel, rappelle la cinéaste. «La société nous impose beaucoup de choses et d'images. Nous sommes tout le temps distraits. On oublie ce qu'on peut ressentir de façon directe et ce qui nous ramène à qui nous sommes.»

Catherine Martin est heureuse d'avoir eu les moyens de passer 27 des 29 jours de tournage à Kamouraska. «Le film n'aurait pas eu la même couleur autrement. La lumière sur le fleuve change tout le temps. Je voulais que ça fasse du bien au personnage de Françoise.»

De l'ombre à la lumière

François Papineau et Guylaine Tremblay répètent en vue de la prochaine scène. «François, je peux voir ta position finale? Je pourrais récupérer la lumière encore mieux», indique le directeur photo, Michel La Veaux.

Scène 59. Plan 1. Prise 8.

«Qu'est-ce que t'en penses?» lance Catherine Martin à son directeur photo.
«Très beau. On va en faire une autre, juste pour l'fun.»

Mais le micro du preneur de son apparaît dans le haut du cadre.
«On la refait tout de suite.»

Prise 10.

«C'était bien, François, ton regard», dit Catherine Martin.

Est-ce que cette prise sera la bonne? «C'était une précaution l'autre avant était très bonne», dit Michel La Veaux pour rassurer sa réalisatrice.

Les prochains plans ont l'air simples à tourner. Un bol est placé au centre d'une table de cuisine. En plan fixe, la caméra doit filmer des mains qui se tendent vers le bol.

Mais la pièce doit être dans l'obscurité la plus totale. Les techniciens doivent donc placarder toutes les fenêtres de la maison. Seul le bol sera éclairé et il faut trouver la bonne lumière - chaude et jaune -, avec le filtre qui convient.

Le bol est un «objet de collection», explique Catherine Martin. Il est parfait aux yeux de la réalisatrice. Juste assez vieux, avec des craquelures dans son émail défraîchi.

Il faut maquiller les mains des comédiens. Et ajuster les manches de leur chandail à la bonne hauteur sur leurs poignets.

Près d'une heure plus tard, l'équipe est prête à tourner.

Cette scène est symbolique, en continuité avec la démarche artistique des films précédents de Catherine Martin, Mariages et Dans les villes. Des films émotifs, dans lesquels les personnages principaux affichent une grande sensibilité.

«Catherine, c'est quelqu'un qui ressent très fort les choses. Je connais peu de gens à ce point sensibles», souligne Lorraine Dufour.

Quand la productrice a lu le scénario de La flamme d'une chandelle, elle a immédiatement vu la signature de Catherine. «C'est très personnel et reconnaissable. Mais on sait qu'il faut attendre la réalisation. Catherine, son travail est dans les couches souterraines. C'est du réalisme imagé. L'histoire se raconte autant par tout ce qui est en dessous que ce qui est au-dessus. En fait, Catherine est une poète. Elle fait du cinéma poétique.»

« Catherine est très sensible, mais très picturale aussi, renchérit Guylaine Tremblay. Elle est comme une peintre. Visuellement, elle sait ce qu'elle veut. Il y a une poésie dans son esthétisme.»

Dans Mariages, une jeune femme de 20 ans se réfugiait dans la nature pour laisser libre cours à sa sensualité. Dans les villes on présentait une femme qui pleurait la tristesse et la solitude des autres avant de s'endormir. La nature et les sentiments forts sont des thèmes que chérit Catherine Martin. «Je ne suis pas une intellectuelle. Mon rapport au monde est viscéral, répond la réalisatrice. Et il y a des choses que j'ai envie de dire.»

Trois ou quatre phrases suffisent à résumer les synopsis de Catherine Martin. L'intrigue est davantage dans les sentiments que dans l'action. Comme son conjoint, Bernard Émond (La neuvaine, Contre toute espérance), Catherine Martin fait du cinéma intense et sérieux. Mais il est de plus en plus difficile de faire du cinéma d'auteur, juge-t-elle. «Ce que moi je trouve le plus dur, c'est de rejoindre le public.»
Avec des salles de répertoire qui se font de plus en plus rares à Montréal - et qui n'existent tout simplement pas en région -, les longs métrages d'auteur ont de la difficulté à se tailler une place.

«Or, avec ce type de film-là, il faut du temps», plaide Catherine Martin.

«Moi, je viens du cinéma et j'en vis. J'aime les films difficiles. Le cinéma m'a appris à vivre, à sortir de moi, confie-t-elle. Quand tu abordes le cinéma comme un art, c'est autre chose. Tu peux rejoindre le public, mais pas avec des règles commerciales.»

«Sur une île déserte»

Prise littéralement par la tristesse de son personnage, Guylaine Tremblay essuie des larmes quand la répétition de la scène se termine.

Les membres de l'équipe sont quelque peu indisciplinés. «Je ne refais pas une scène parce que du monde parle. C'est pas vrai», lance Catherine Martin.

Même s'il faudra une dizaine de minutes pour replacer une de ses mèches de cheveux, Guylaine Tremblay est toujours empreinte de la tristesse qu'éprouve son personnage. Des larmes coulent à nouveau sur ses joues à la fin de la prise.

Fascinant.

Si Guylaine Tremblay est aujourd'hui une comédienne chouchou du grand public comme en témoignent ses nombreux prix remporté au gala Artis , elle vient du théâtre underground. Elle a joué notamment dans la première version de la pièce Matroni et moi, écrite par le cousin de Catherine Martin, Alexis Martin. Guylaine Tremblay et lui étaient parmi les cofondateurs du Groupement forestier du théâtre, dont François Papineau était par ailleurs un collaborateur.

Aujourd'hui, Guylaine Tremblay se compte chanceuse de pouvoir jouer des rôles grand et petit public, au théâtre et à la télévision, comme au cinéma. «Le seul but que j'avais au début comme comédienne, c'était d'avoir la chance de jouer des rôles différents, souligne-t-elle. Je suis chanceuse, mais en même temps, j'ai aussi créé ma chance car j'ai refusé des rôles. Après La petite vie, j'aurais pu jouer juste des Caro.»

Le personnage de Françoise est aussi intéressant que difficile à jouer, dit-elle. «Elle n'est que souffrance dans le film. Au début du tournage, je disais à Catherine que c'était difficile à répéter. Pendant 15 jours, j'étais seule devant la caméra. Habituellement, tu t'appuies sur ton partenaire. Alors que là, je m'appuyais sur la situation, qui est horrible.»

Tourner à Kamouraska garde la comédienne loin de ses enfants de 12 et 9 ans, mais l'esprit de famille règne néanmoins sur le plateau. Pour la diffusion de la dernière émission d'Annie et ses hommes, l'équipe avait installé une télé dans la salle où tout le monde mange. « J'ai vécu de la solitude, mais en même temps, j'aime le fait d'être ailleurs», raconte l'actrice.

«Être en tournage à l'extérieur, c'est autre chose, poursuit François Papineau. C'est une belle façon de faire un projet.»

Des activités ont lieu tous les week-ends, que ce soit de la raquette, de la chasse, ou une visite à la cabane à sucre. L'équipe mange au centre communautaire de Kamouraska, où sont aussi situés les locaux de la production. Lors des repas, l'ambiance est conviviale. Les membres de l'équipe sont très proches. «Nous sommes comme des prisonniers sur une île déserte», illustre François Papineau.

L'humour de Michel La Veaux

Entre deux scènes, la deuxième assistante à la caméra nous montre les chausssures de sport que trois filles du tournage ont achetées lors d'une petite virée de magasinage à Rivière-du-Loup. «C'est notre côté Invincibles», blague-t-elle.

L'équipe s'apprête à tourner une scène où François Papineau se couche au côté de Guylaine Tremblay. Catherine Martin lui demande d'être «plus coulant». «Je suis un des acteurs les plus coulants de ma génération. Vingt secondes au micro-ondes» blague-t-il.

La maquilleuse vient faire des retouches. En regardant son sac de maquillage, Michel La Veaux lui lance: «Ça doit être beau dans ta vraie sacoche.»

Directeur photo qui a multiplié les tournages ces dernières années (Le déserteur et Ce qu'il faut pour vivre, récemment), Michel La Veaux est tout un personnage. Mais sans lui, le plateau ne serait pas le même. Autant pour l'ambiance que pour la qualité des images.

«C'est beau, ça?lui lance Catherine à la fin des prises. C'est très beau», la rassure-t-il.