Au moment où il reçoit deux grands honneurs coup sur coup, Jean Beaudin aimerait bien tourner un ultime film, très personnel. En attendant, une version restaurée de Being at Home with Claude voit le jour, 25 ans après sa sortie. Pour l'occasion, le réalisateur du Matou et des Filles de Caleb fait le point.

L'an dernier, Jean Beaudin a été fait chevalier de l'Ordre national du Québec. Dans trois mois, le cinéaste assistera à un gala pendant lequel on honorera les prochains lauréats du prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle.

«C'est formidable de voir que l'ensemble de ce que j'ai fait pendant près de 50 ans est reconnu, confie-t-il au cours d'un entretien accordé à La Presse. Ça ne peut pas être plus agréable. Mais je me dis quand même que si on me remet ces deux distinctions à 10 mois d'intervalle, c'est sans doute parce que je suis bien vieux!»

Hasard ou coïncidence, 2017 marque aussi le 25e anniversaire de la sortie de Being at Home with Claude, l'adaptation cinématographique de la célèbre pièce de René-Daniel Dubois, dont il a signé le scénario et la réalisation. Ce film, dont les têtes d'affiche sont Roy Dupuis et Jacques Godin, a récemment été restauré par l'équipe d'Éléphant - mémoire du cinéma québécois. Il fera l'objet d'une présentation spéciale ce soir à la Cinémathèque québécoise, en présence du cinéaste et des deux acteurs.

D'Émilie à Claude

À l'époque, Jean Beaudin venait de connaître le plus grand succès populaire de sa carrière grâce aux Filles de Caleb. Caracolant au sommet des cotes d'écoute en attirant souvent plus de 3 millions de spectateurs chaque semaine, la série télévisée s'est inscrite d'emblée dans l'imaginaire collectif des Québécois. Dès l'année suivante, Being at Home with Claude marquait le retour de Jean Beaudin au cinéma, sept ans après Le matou. Le récit de ce film résolument contemporain, construit autour de l'interrogatoire serré que mène un inspecteur auprès d'un prostitué qui vient de tuer son amant, ne pouvait être plus éloigné de l'univers d'Émilie Bordeleau.

«J'avais lu d'une traite la pièce de René-Daniel Dubois. Les mots étaient comme des balles de fusil.»

«J'ai demandé à ce que je puisse écrire le scénario seul. René-Daniel, qui est un gars brillant, n'y voyait pas d'inconvénient. Tout s'est fait très vite, en six mois à peine», raconte Jean Beaudin.

«Et puis, poursuit-il, Roy Dupuis et Jacques Godin relevaient pour moi de l'évidence. Je venais de passer 200 jours de tournage en deux ans avec Roy pour Caleb. Je connaissais tout de lui. J'aimais sa gueule, j'aimais son travail, j'aimais sa façon de jouer, de se promener, d'être. Roy est une bête de théâtre et de cinéma. Dans la pièce, les deux personnages sont à peu près du même âge mais j'ai voulu que le détective soit plus âgé, un peu pour évoquer un lien père-fils. À mes yeux, Jacques fait partie de ces comédiens puissants, capables de crever l'écran sans avoir à dire un seul mot. Comme une autorité naturelle.»

L'expérience cannoise

Après Michel Brault, Jean Beaudin est le deuxième cinéaste québécois ayant réalisé une oeuvre primée au Festival de Cannes. En 1977, J.A. Martin photographe a valu à Monique Mercure le prix d'interprétation féminine (ex aequo avec Shelley Duvall pour 3 Women de Robert Altman). Il y a 40 ans, l'écho du festival était cependant moins fort que maintenant en nos terres. Sur place, le protocole n'était pas le même non plus. À vrai dire, le cinéaste et les deux acteurs principaux, Monique Mercure et Marcel Sabourin, sont arrivés en retard à la projection officielle - où ils se sont rendus à pied - parce que personne n'est venu les chercher!

«Il n'y a eu aucun effet cannois au Québec, fait-il remarquer. Bertrand Tavernier m'avait dit que grâce à l'accueil qu'a obtenu le film là-bas, je pouvais m'installer en France et y travailler sans problème. Mais je n'en avais pas envie. Quinze ans plus tard, Being at Home with Claude a été présenté à Un certain regard. Le président Gilles Jacob m'avait dit qu'il ne pouvait pas le sélectionner en compétition parce que le public n'était pas prêt pour ça!»

«Or, ils ont dû ajouter trois séances aux deux initialement prévues parce que la demande était trop forte. C'était une douce revanche!»

Fierté et désespoir

S'il ne peut poser le même regard sur ses films qu'au moment où ils ont été faits, le cinéaste garde précieusement les souvenirs de tournage, principalement des moments privilégiés avec des acteurs. Plusieurs d'entre eux ont d'ailleurs été consacrés aux yeux du public grâce à ses films. Monique Mercure (J.A. Martin photographe), Louise Portal (Cordelia), Guillaume Lemay-Thivierge (Le matou), pour n'en nommer que quelques-uns. Sans oublier, bien sûr, Marina Orsini et Roy Dupuis (Les filles de Caleb).

«Je suis fier d'avoir eu la chance d'avoir de maudits beaux scénarios et d'avoir eu de bons moyens, commente Jean Beaudin. Pour Les filles de Caleb, on me donnait 11 jours pour tourner une heure, avec un budget de presque 1 million de dollars par épisode. Aujourd'hui, c'est quatre ou cinq jours de tournage par heure avec deux fois moins de budget. La différence est là.»

En revanche, l'expérience de Nouvelle-France, une superproduction de 35 millions qui n'a pas obtenu le succès escompté, lui inspire «le désespoir».

«Je n'aime pas trop en parler, dit-il. Ce film aurait tellement pu être extraordinaire. Beaucoup de belles scènes ont dû être retranchées, faute de budget, dont celle de la bataille des plaines d'Abraham. Il y avait trop de comptes à rendre à trop de monde. Il fallait que tout soit approuvé non seulement par le producteur québécois, mais aussi par les producteurs français et britanniques. C'est déjà difficile de dealer avec un, imaginez avec trois!»

Un film intime et personnel

N'ayant rien tourné depuis 10 ans, Jean Beaudin se consacre depuis quelques années à l'écriture d'un scénario inspiré par les dernières années qu'a vécues avec lui sa compagne Domini Blythe, alors très malade. Récemment, le cinéaste a d'ailleurs évoqué sa relation amoureuse de façon très touchante dans L'érotisme et le vieil âge, le film de son grand ami Fernand Dansereau.

«Le titre de travail est Quand les mots perdent la parole, annonce-t-il. J'espère vraiment pouvoir le tourner.»

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Being at Home with Claude, version restaurée par Éléphant - mémoire du cinéma québécois, sera présenté ce soir, à 19 h, à la Cinémathèque québécoise, en présence de Jean Beaudin, Roy Dupuis et Jacques Godin.