Aux yeux de plusieurs observateurs, Un + Une constitue le grand retour de Claude Lelouch au cinéma. Dans la mesure où il y avait très longtemps qu'un film réalisé par le cinéaste, maintenant âgé de 78 ans, n'avait obtenu un tel succès. Le principal intéressé, visiblement très revigoré par cet accueil, ne voit évidemment pas la chose du même oeil. Même si, au cours des 20 dernières années, on compte peu de films vraiment marquants dans sa filmographie, Lelouch n'a jamais cessé d'exercer son art. Toujours à sa façon.

«J'y vois plutôt une continuité, explique-t-il lors d'un entretien accordé à La Presse dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français, tenus récemment à Paris. Film après film, j'ai l'impression de retourner à l'école. Chacun d'entre eux est le brouillon du prochain. Je cherche dans l'écriture cinématographique comment partager avec le plus grand nombre - même si, parfois, c'est le plus petit - mes observations sur le monde. Le spectacle de la vie me ravit. Le genre humain me fascine autant dans ses horreurs que dans ses générosités. J'ai souvent le sentiment que nous sommes dans un grand laboratoire visant à parfaire l'être humain. La Terre est un paradis, mais c'est nous qui le transformons en enfer. »

Dujardin, acteur lelouchien

Un + Une marque la première rencontre cinématographique entre Jean Dujardin et Claude Lelouch. L'alliance est d'une telle évidence qu'on se demande comment diable celle-ci ne s'est pas faite plus tôt. L'acteur, lauréat d'un Oscar grâce à The Artist, se glisse cette fois dans la peau d'un compositeur de musique de film, invité en Inde à venir travailler avec l'un des éminents cinéastes du pays.

Sa rencontre avec l'épouse de l'ambassadeur de France (Elsa Zylberstein) servira de point de départ à une liaison entre deux êtres très contrastés. L'homme est un séducteur invétéré qui cherche à ne jamais s'attacher; la femme est en pleine crise existentielle. Et entraînera le compositeur dans une quête spirituelle à laquelle il ne croit pas du tout.

«C'est vrai qu'il y a eu une osmose formidable entre nous. Je pense avoir trouvé en Jean un acteur qui me va parfaitement. Il a compris que la vie était un jeu qu'il fallait prendre très au sérieux.»

«D'ailleurs ce film découle d'une rencontre entre Elsa Zylberstein et Jean Dujardin ayant eu lieu par hasard lors d'un vol entre Paris et Los Angeles. Ils ont, semble-t-il, beaucoup parlé de moi. À l'arrivée, Elsa, avec qui je voulais travailler depuis longtemps aussi, m'a téléphoné depuis Los Angeles pour me signaler qu'ils souhaitaient jouer ensemble dans un de mes films. Moi qui carbure aux déclarations d'amour, comment résister? Je crois que les acteurs m'apprécient parce que je les aime. J'adore les adultes qui restent dans le jeu comme des enfants. Ceux qui choisissent le métier d'acteur ne grandissent pas dans leur tête.»

Foi en la vie, foi en l'amour

Malgré le climat incertain qui règne présentement dans le monde, et les replis identitaires que l'on observe un peu partout, Claude Lelouch ne s'inquiète pas du tout pour l'avenir de l'humanité.

«Pour l'instant, la plus belle invention de l'être humain, c'est l'amour. C'est ce moment où tout bascule et où l'on peut aimer un autre être humain plus que soi-même. Je ne suis pas inquiet pour l'avenir du monde. Je trouve ce qu'on vit aujourd'hui quand même moins grave que tout ce qu'on a vécu pendant la guerre. Il y a pas mal d'incendies à droite à gauche, mais ils sont ponctuels. Avant, il y avait le feu partout. Toutes les puissances s'accordent pour combattre un même ennemi, inconnu et invisible, qui fait plus peur qu'autre chose. Nous sommes aussi très conscients aujourd'hui de l'importance de l'écologie. Malgré tout ce qui va mal, je crois que le monde est quand même en train de s'améliorer. Je suis plutôt optimiste.»

Foi dans le cinéma

Claude Lelouch aime dire que ses deux acteurs favoris dans les films qu'il tourne sont toujours les mêmes: la caméra et la vie.

«Je fais du cinéma comme d'autres font du jazz. Il y a le thème. Et puis, ce qu'on en fait. Il y a ce qu'on écrit. Et il y a ce qu'on vit. Pour moi, le jazz, c'est la vie. L'avenir du cinéma en salle ne m'inquiète pas. Tout le monde est cinéaste maintenant. Mais certains filment mieux que d'autres. Je trouve la nostalgie de Quentin Tarantino bien intéressante, mais j'ai rêvé des petites caméras numériques toute ma vie. Je me suis fait chier autant avec le 70 mm qu'avec le 35 mm. C'est bon pour la mémoire du cinéma qu'un cinglé comme lui tourne avec ces vieilles caméras, mais enfin, soyons raisonnables!»

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À l'affiche le 12 février. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

Claude Lelouch en cinq films

Un homme et une femme (1966): Un homme (Jean-Louis Trintignant), une femme (Anouk Aimée), quelques chabadabadas, une caméra qui tourne, une Palme d'or, deux Oscars. Cinquante ans plus tard, ce film définit toujours l'oeuvre de Claude Lelouch.

L'aventure c'est l'aventure (1972): Sur le versant de la comédie, Claude Lelouch marque les esprits grâce à ce film dans lequel cinq truands abandonnent les braquages de banque pour se recycler dans l'enlèvement de personnalités publiques. Avec Lino Ventura, Jacques Brel, Charles Denner, Aldo Maccione, Charles Gérard. Et Johnny Hallyday dans son propre rôle.

Les uns et les autres (1981): Un film ambitieux et très musical. L'histoire de quatre familles - française, allemande, russe et américaine - étalée sur plus de 30 ans. Certaines scènes sont passées à l'histoire (le boléro final notamment). À Montréal, Les uns et les autres a tenu l'affiche dans les cinémas pendant... deux ans!

Tout ça... pour ça! (1993): Vingt ans après L'aventure c'est l'aventure, Lelouch renoue avec la franche comédie grâce à ce chassé-croisé entre deux couples. Fabrice Luchini fait ici flèche de tout bois, d'autant que le cinéaste le laisse improviser. Parfois, Francis Huster a même du mal à se contenir...

Roman de gare (2007): Après plusieurs films accueillis dans l'indifférence, Lelouch se refait une santé artistique grâce à cette comédie policière qu'il a d'abord élaborée confidentiellement en ayant recours à un prête-nom (Hervé Picard). Roman de gare, son 40e film, a été lancé au Festival de Cannes dans le cadre d'un hommage au cinéaste.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Un homme et une femme