Après avoir incarné à l'écran Simone de Beauvoir, Juliette Gréco et Coco Chanel, Anna Mouglalis délaisse les icônes pour plonger à corps perdu dans l'univers réaliste et tragique du trafic de jeunes femmes.

Sa voix. Unique, grave. Qui peut être sensuelle ou tranchante. Parfois les deux à la fois. C'est cette voix qui a d'abord attiré l'attention de Charles-Olivier Michaud. Quand le cinéaste québécois a rencontré Anna Mouglalis une première fois à Paris afin de discuter de la possibilité qu'elle puisse incarner la Anna de son film, il lui a d'ailleurs dit sans ambages que cette rencontre était en grande partie due à sa performance dans Gainsbourg (vie héroïque). Où elle prêtait ses traits à Juliette Gréco.

Anna, la protagoniste de ce film intitulé Anna, n'a pourtant rien à voir avec un personnage d'icône. Photojournaliste réputée, cette dernière se rend en Asie afin de réaliser un reportage sur les jeunes femmes victimes du trafic humain perpétré par les triades asiatiques. S'enfonçant trop loin, elle sera kidnappée. Et subira les mêmes sévices que les jeunes femmes faisant l'objet de son reportage.

«Quand j'ai imaginé Anna Mouglalis dans ce rôle, je me suis dit qu'elle avait une voix tellement extraordinaire qu'il valait mieux la faire parler très peu, explique le jeune cinéaste. De cette façon, chacune de ses paroles traduirait une vraie compréhension des choses. Même si le scénario n'a pas été écrit spécifiquement pour elle, j'ai quand même ajusté certains éléments une fois que j'ai eu son accord. C'est à partir de là que le projet a pris forme pour vrai et que nous nous sommes alimentés l'un et l'autre. Quand une actrice est dotée d'une telle présence, tu peux te permettre d'épurer beaucoup, d'enlever des dialogues. Le scénario est passé de 100 à 80 pages en quelques semaines!»

Une approche simple et saine

L'actrice, qui était jusqu'à samedi il y a deux semaines sur la scène du Théâtre Monfort à Paris pour y jouer Sérénades (une pièce d'Arnaud Cathrine mise en scène par Ninon Brétécher), avait visiblement envie de se bousculer un peu en se glissant dans la peau de cette femme. Qui sera appelée à vivre le même enfer que les jeunes filles violentées et vendues au trafic humain.

«J'ai commencé à lire le scénario et je n'ai pas pu m'arrêter, explique l'actrice au cours d'une interview accordée à La Presse. Par chance, Charles-Olivier était à Paris au même moment et j'ai pu le rencontrer tout de suite. Comme je ne connaissais rien des films qu'il avait réalisés avant, je tenais à cette rencontre avant de m'embarquer. Ce genre d'histoire peut facilement tomber dans une esthétique de violence ou dans la complaisance. L'homme qui s'est présenté devant moi était sincère, et son approche était simple et saine. J'ai vite compris que je pouvais lui faire confiance.»

Le cinéaste, qui a écrit seul son scénario, a d'ailleurs mis ses cartes sur table dès le départ. Le scénario envoyé à l'actrice était déjà très descriptif. Et ne masquait rien des enjeux du film, ni du défi qui attendait la comédienne qui accepterait de jouer le personnage d'Anna.

«Tout était déjà décrit de façon très précise, indique Anna Mouglalis. Il y a quelque chose d'exaltant dans la perspective d'explorer de nouvelles choses. On ressent un trac et on se sent aussi investi d'une grande responsabilité. Il y a un souci de grand réalisme, même si on est quand même conscient d'être dans un environnement de cinéma. On sait qu'il y a des gens à qui tout cela arrive vraiment. Un tournage comme celui-là a quelque chose de très éprouvant, mais aussi, paradoxalement, de très épanouissant. C'est fou!»

«Mieux appréhender le monde»

L'actrice explique aussi que le plaisir du jeu, dans un cas comme celui-là, réside dans le fait de plonger dans la fiction et l'imagination, au point de ressentir les choses de façon très puissante.

«Oui, ça fait mal, dit-elle. Je ne vous cacherai pas que certains jours, j'étais heureuse que le tournage se termine. Dans ma démarche, j'ai toujours besoin d'apprivoiser mes peurs d'actrice à travers un travail intellectuel. J'ai lu beaucoup pendant ce tournage. Je suis allée chercher de quoi nourrir mon personnage dans des ouvrages poétiques ou dans des oeuvres photographiques qui évoquaient la barbarie inhérente à la nature humaine. C'est comme une chaîne sans fin. Mais ça rend plus fort. Ce sont des sensations redoutables qui nous permettent de mieux appréhender le monde.»

Anna Mouglalis sort en tout cas ravie de son expérience de plateau avec une équipe québécoise.

«J'ai déjà vécu plusieurs tournages à l'étranger et je vous assure que je n'ai pas toujours été accueillie de cette façon-là. Il n'y avait là aucun préjugé. J'ai aussi beaucoup aimé ce rapport très simple au cinéma, qui relève de l'artisanat. Il n'y a pas de rapports hiérarchiques non plus. Et beaucoup plus d'humilité que sur un plateau français. Et puis, tout s'est fait dans la douceur, la gentillesse et le plaisir, malgré la dureté de l'histoire que nous racontions.»

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Anna prend l'affiche le 23 octobre.