Pour la première fois, un de ses films, Vic + Flo ont vu un ours, a été vendu dans neuf pays. Son prix à Berlin, l'Ours d'argent de l'innovation, y est certes pour quelque chose. Le choix de ses comédiennes, Pierrette Robitaille et Romane Bohringer, sûrement aussi. On le dit formaliste. Ça ne l'insulte pas. Au contraire. Il a horreur du cinéma réaliste, façon télévisuelle. Et voici qu'après son long métrage le plus «accessible», il s'apprête à filmer les travailleurs. Son film ne sera ni pamphlet ni plaidoyer. Denis Côté, bien sûr, se réjouit des retombées de Vic + Flo, qui prendra l'affiche au Québec le 6 septembre et en France aujourd'hui.

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Cet après-midi-là, il faisait chaud. Il m'avait donné rendez-vous dans un bistrot de la rue Duluth. Les ventilateurs au plafond tournaient à plein régime, donnant l'illusion du vent. On était loin de Berlin, en février, loin de ce festival où, grâce à son film Vic + Flo ont vu un ours, Denis Côté recevait des mains du cinéaste Wong Kar-wai l'Ours d'argent de l'innovation.

Il n'y a pas que son corps de tatoué, la critique et le monde du cinéma l'ont aussi marqué au fer, enfermé dans une marginalité. Or, cette fois-ci, on parle d'accessibilité.

Q. Ça te dérange, l'accessibilité?

R. Non, ce qui me gêne, c'est quand les gens me disent: enfin, le film de la maturité. Je ne suis pas carriériste, pas très calculateur. Je ne pense jamais au budget de mon prochain film... [...] Pour moi, chaque film est une brique et je monte un mur avec ces briques-là. J'arrive à 40 ans et je réalise que ça fait huit ans que je fais le tour du monde pour présenter mes films à 20, 40, 100 personnes. Je ne suis pas dans la quête du chef-d'oeuvre. C'est juste que je suis obsédé par le langage cinématographique. Les cahiers du cinéma ont déjà écrit que je suis «le seul cinéaste qui autodétruit ce qu'il a construit».

(Je le regarde et je ne sais pas quoi penser de lui. Difficile à cerner. Une bibitte, Côté, mais une bibitte qui résiste, refuse de se rendre, de rentrer dans le rang. Ça me le rend, d'emblée, sympathique. J'avoue.)

Q. Qu'est-ce qui t'inspire?

R. Pas les histoires. Vic + Flo est plus narratif que mes autres films, c'est vrai, mais je ne suis pas intéressé par les récits. Je voulais juste faire parler un peu plus les femmes, écrire un peu plus de dialogues. Cela dit, il y a trois sortes de cinéma qui m'horripilent: les hommes d'un certain âge qui essaient d'appliquer des clichés sur la jeune femme, le cinéma homo fait pour et par des homos et le film de femme qui veut te rappeler qu'il est fait par une femme.

Q. Après huit films, qu'est-ce qui te fait le plus plaisir?

R. C'est quand on me dit: c'est un film de Denis Côté. Ça me fait du bien d'être juste moi-même, d'avoir une signature, de ne pas être le cinéaste qui ne fait que filmer ses influences...

Q. Peut-être que, jusqu'à maintenant, on ne connaissait pas vraiment ton travail ni qui tu étais...

R. Il y a quelque chose de banalisé autour de moi. On a beaucoup écrit: l'ancien critique de cinéma, le gars qu'on voit dans la rue, dans les festivals... Je n'arrive pas à créer l'évènement avec un nouveau film. Je ne sais pas pourquoi. Pas de gros lancement à la Place des Arts, par exemple.

Q. Ça te manque?

R. C'est pas le manque de reconnaissance. Ça me titille. On dirait que je reste le gars de la relève.J'ai toujours l'impression qu'il y a des mises en garde par rapport à mes films.

(En dépit de ce qu'il dit, ça ressemble à un souci de reconnaissance. Par moments, j'ai l'impression qu'il y voit un désaveu.)

Je ne suis plus capable d'entendre la formule: à prendre ou à laisser... ce n'est pas pour tout le monde... À force de cultiver les mises en garde autour de moi, les gens y ont cru. Ça m'agace.

Q. Tu as changé, ton discours a changé? Avant, tu étais plus sur tes gardes, plus intransigeant.

R. C'était un mécanisme d'autodéfense, je crois. Aujourd'hui, je suis un peu plus au-dessus de mes affaires. On peut le voir péjorativement. Bien oui, j'ai gagné un prix à Berlin et je sais que pour mon prochain film, je peux téléphoner directement au sélectionneur de Cannes, si je veux. J'ai le droit de bomber le torse.

Q. Toi qui cours de la Corée à Locarno et Berlin, comment on se retrouve dans tous ces festivals de par le monde?

R. C'est un business. Il ne suffit pas de claquer des doigts pour être dans un festival. Et ce ne sont pas toujours les meilleurs films qui s'y retrouvent. Il y a des cinéastes qui pensent que le savoir-faire est plus important que l'âme.

Q. Et tu penses quoi du discours sur le financement et sur les films québécois qui ne font pas de box-office?

R. C'est un discours de contamination de droite, mais je suis fier de vivre dans un pays où on croit encore à la culture. C'est juste un peu décevant quand je rentre de Berlin et que 50% des gens applaudissent et que les autres 50% affirment que «tu ne rempliras pas tes salles». Je suis un des rares qui te dira qu'on produit trop de films au Québec.

Q. Pourquoi?

R. Un réflexe culturel pour dire qu'on existe plus que tout le monde? Ça se peut. Regarde les sorties en ce moment: Hot Dog, Les 4 soldats, Lac Mystère, Vic + Flo, La maison du pêcheur, Gabrielle... C'est un film québécois par semaine. Qui va se garrocher pour voir tout ça en salle? On est juste condamnés à se partager des petites pointes de tarte.

(Son analyse est juste, troublante aussi. Et il la déballe sans animosité, sans amertume. Ça ressemble davantage à un questionnement. Intrigant, ce gars. Lucide? Je crois. Sincère? Sans aucun doute.)

Q. Au fait, je suis curieux, pourquoi ces tatouages?

R. Une volonté inconsciente de changer mon corps? Le plaisir d'être marqué? ...