Au lendemain d'une découverte étonnante sur ses origines, Sarah Polley a traqué sa vérité à travers le regard que portent sur son histoire les membres de sa famille.

Il y a des surprises dans Stories We Tell, l'essai documentaire que propose la Torontoise Sarah Polley. À travers cet exercice intime, au cours duquel elle interroge les membres de sa famille, la réalisatrice met en lumière les perceptions que peuvent avoir différents individus dotés d'une histoire familiale commune.

Du coup, elle s'interroge aussi sur le cinéma. Ces «histoires qu'on raconte» sont celles qui se transmettent au sein d'une même cellule, tout autant que celles avec lesquelles un auteur cinéaste décide de jouer. En abordant des questions très personnelles, Sarah Polley a visiblement choisi de s'amuser avec son histoire, quitte à parfois déstabiliser son public.

«Je ne voulais quand même pas confondre le spectateur, affirme la réalisatrice au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse. Mais je l'invite à se poser des questions. Je souhaite qu'il aborde cette histoire de la même manière qu'un individu qui tente de se rapprocher de la vérité dans sa propre histoire familiale.»

Une rumeur insistante

Révélée enfant dans la série télévisée Road to Avonlea, Sarah Polley est née dans une famille d'acteurs. Sa mère, Diane MacMillan-Polley, est morte depuis plus de 20 ans. L'image de cette femme libre, qui a dû payer en son temps le prix de sa liberté, est évidemment très présente dans les conversations familiales. D'autant qu'il fut très longtemps suggéré au sein même de la famille que la petite dernière (Sarah) était le fruit d'une liaison extraconjugale. En séjour à Montréal pendant quelques mois à la fin des années 70 pour jouer dans une pièce au Centaur, maman aurait eu un moment de faiblesse pour le bel acteur à qui elle donnait la réplique.

«Nous avons toujours discuté des choses très ouvertement chez nous, explique Sarah Polley. Pour moi, il n'y avait pas grand-chose d'inédit dans les propos qu'ont tenus mes proches devant la caméra. Pendant des années, on s'est amusé du fait que j'étais probablement née d'une aventure qu'a eue ma mère. Seulement voilà: celui que nous soupçonnions d'être mon père biologique ne l'était pas, finalement. Il s'agissait d'un autre homme!»

Par la force des choses

La véritable identité du père de Sarah Polley - le producteur Harry Gulkin - fut confirmée il y a quelques années à peine. Cette histoire aurait dû rester dans le domaine privé. C'est du moins ce que Sarah a souhaité pendant un moment. L'idée de tirer un film de cette histoire est venue d'un concours de circonstances.

«Je ne voyais pas du tout l'intérêt de m'exposer publiquement de cette façon, pas plus que les membres de ma famille, explique Sarah Polley. Mais un jour, mon père, Michael, a commencé à écrire l'histoire qu'il a vécue avec ma mère. Mon père biologique avait aussi l'intention d'écrire. Je trouvais intéressant de mettre les visions de tout le monde en commun, à travers un récit qui raconterait le parcours de ma mère. Cela dit, jamais je ne m'étais engagée dans un projet comme celui-là, c'est-à-dire sans avoir aucune idée du résultat. Je n'ai jamais été à mon aise en faisant ce film; je n'ai jamais non plus été certaine de la pertinence de le faire. Je trouvais important de reconnaître ces doutes dans tout ce processus.»

Stories We Tell est un projet «à part» auquel Sarah Polley a travaillé pendant près de cinq ans. Parallèlement, elle aura poursuivi sa carrière d'actrice et de cinéaste. Avant d'entreprendre ce projet singulier, elle avait déjà réalisé un long métrage de fiction, Away from Her, qui lui valut des éloges et de nombreuses accolades (parmi lesquelles une nomination aux Oscars dans la catégorie du meilleur scénario). Take This Waltz, son deuxième film, fut lancé l'an dernier. Pour Stories We Tell, Sarah Polley a pu obtenir l'appui de l'Office national du film.

«Ce fut formidable, car les gens de l'ONF ont été très enthousiastes pour un projet qui ne pouvait être produit de façon traditionnelle. J'ai eu ce très grand luxe de pouvoir explorer, essayer des choses, prendre du temps. Dans un autre contexte de production, cela n'aurait pas été possible, car la pression est trop grande.»

Phénomène d'identification

Lancé à la Mostra de Venise, présenté ensuite au Festival de Toronto, Stories We Tell a obtenu un accueil chaleureux, ce que n'attendait pas du tout Sarah Polley.

«J'ai été estomaquée de constater que ce petit film sur mon histoire familiale pouvait intéresser les gens et les toucher de cette façon. Je crois que les spectateurs pensent à leur propre famille en regardant ce film. Et s'identifient d'une manière ou d'une autre à mon histoire. Pour ma part, il y a fort à parier que je ne pourrai jamais réaliser un autre film qui résonnera en moi de façon aussi personnelle.»

Sarah Polley, maman depuis huit mois, travaille présentement à l'écriture de l'adaptation du roman de Margaret Atwood Alias Grace. La comédienne sera aussi l'une des têtes d'affiche d'Everything Will Be Fine, le film que Wim Wenders tournera prochainement en nos terres.

«J'ai beaucoup d'affection pour le Québec, dit Sarah Polley. Après tout, j'ai été conçue là!»

Stories We Tell est à l'affiche en version originale. Une version sous-titrée en français sera en salle le 26 octobre.