Des instruments inspirés de corps de femmes, une expédition martienne et une idylle entre un vieux musicien et une jeune photographe au souffle court sont au coeur de Mars et Avril. Un imaginaire éclaté cousin de Robert Lepage et placé dans un Montréal futuriste imaginé par un as de la bande dessinée belge.

L'écran montre un ciel étoilé et des planètes. Puis, d'un ton professoral, la voix de Robert Lepage expose la vision du cosmos de Johannes Kepler, astronome allemand qui a attribué une valeur musicale à chacune des planètes du système solaire. Ce mélange d'idées scientifiques et de principes esthétiques colle parfaitement à l'univers de l'inventif metteur en scène de Québec.

Or, Mars et Avril, qui flirte aussi avec la spiritualité et tente le grand écart entre l'intime et l'universel, est le premier long métrage de Martin Villeneuve - petit frère de Denis. Il y parle du temps, de l'espace, d'amitié, d'amour, de souffle et de musique. «Des thématiques abstraites auxquelles on vient greffer des images concrètes», expose-t-il.

Entre Lepage et Martin Villeneuve, il y a plus que cette «communauté d'esprit» qu'évoque le réalisateur. Il y a aussi collaboration formelle: le metteur en scène fait dans Mars et avril l'une de ses rares apparitions à titre de comédien. Il interprète un luthier capable de fabriquer les instruments inspirés de corps de femmes dessinés par son fils Arthur (Paul Ahmarani) pour le vénérable Jacob Obus (Jacques Languirand).

Ce musicien au souffle envoûtant vivra une aventure amoureuse inédite pour lui avec une jeune photographe asthmatique (Caroline Dhavernas). Science-fiction romantique? L'étiquette colle assez bien à ce scénario touffu, voire alambiqué, où il est aussi question de réalité virtuelle (ou subconsciente) et d'une expédition sur Mars.

«J'aimais bien le contraste entre la jeunesse et la vieillesse, dit le réalisateur et scénariste, parlant de l'inhabituel tandem amoureux que forment Languirand et Dhavernas. Je trouvais que c'était un défi intéressant de mettre à l'écran un monsieur de 80 ans et une femme de 30 ans.»

Montréal conjugué au futur

La conception visuelle et le Montréal du futur qu'on voit à l'écran ont été imaginés avec le concours de François Schuiten, bédéiste belge connu pour son affection pour les architectures urbaines. «Ce qu'il a aimé, c'est que Montréal est un personnage à part entière du film», assure Martin Villeneuve.

En se basant sur les «utopies architecturales montréalaises» d'hier et de demain, le dessinateur a inventé une ville futuriste ancrée dans des éléments de réalité. Ainsi, à l'écran, la boule de la Biosphère trône au sommet d'une tour et une version démultipliée d'Habitat 67 devient un «ghetto des artistes».

«Ce que je voulais, c'était d'avoir des collaborateurs de haut niveau», insiste le réalisateur, qui a dû composer avec un budget relativement mince (2,3 millions) pour une production aussi ambitieuse. «Souvent, ce sont eux qui peuvent se permettre de faire ce genre de choses puisqu'ils gagnent leur vie avec d'autres projets.»

Schuiten en était un, Lepage en était un autre. Qui lui était plus acquis, toutefois, puisque Martin Villeneuve l'avait croisé au Cirque du Soleil. En plus d'y trouver un rôle intrigant, le metteur en scène joue sous une forme novatrice: son personnage a une tête holographique...

«J'ai lancé l'idée comme une blague; après, on s'est dit que ce serait vraiment trippant. En plus, ça correspond tellement à Robert Lepage et à son personnage dans le film», fait valoir le réalisateur.

Tourner ces scènes fut un casse-tête technique, mais Martin Villeneuve est convaincu d'avoir eu le meilleur acteur pour ce boulot. «C'était un exercice d'abstraction totale, signale-t-il, et j'ai probablement eu l'artiste sur la planète le plus capable de se mettre dans l'abstraction totale!»

Mars et Avril prend l'affiche le 12 octobre.

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Schuiten: l'inventeur de villes

Confier la conception visuelle de Mars et Avril à François Schuiten a été l'une des idées les plus inspirées du réalisateur Martin Villeneuve. Passionné d'architecture urbaine, ce dessinateur a fait sa marque dans le monde de la bande dessinée avec la série Les cités obscures, amorcée en 1983 avec Les murailles de Samaris. Les aventures scénarisées par Benoît Peeters traitaient les villes comme des personnages à part entière auxquels François Schuiten donnait vie en s'inspirant de divers courants architecturaux (Bauhaus, Art déco, Art nouveau), d'utopies ou de mythologies anciennes (l'idée de la tour, les labyrinthes). De la dizaine de tomes que compte la série, on retient d'emblée La fièvre d'Urbicande, Brüsel, La tour et L'enfant penchée. Sa vision futuriste de Montréal s'appuie sur quelques lieux ou édifices montréalais à forte personnalité: le quai de l'Horloge, la Biosphère et Habitat 67.