Théodore Pellerin est de retour d'un tournage de cinq mois à La Nouvelle-Orléans pour une série télé dont il partage la vedette avec Kirsten Dunst (On Becoming a God in Central Florida, en principe destinée à la chaîne YouTube Premium). L'acteur de 21 ans, que l'on a vu dans le film Boy Erased l'an dernier et que l'on verra bientôt dans la série The O.A., enchaîne les tournages, au Québec et aux États-Unis. Il tient le rôle principal de Genèse de Philippe Lesage, qui prendra l'affiche le 15 mars.

Marc Cassivi : Je m'intéresse à où tu en es dans ton parcours. Il y a l'appel des États-Unis, évidemment, dont on te parle souvent. As-tu l'intention de continuer de travailler au Québec ? Pour certains, ça semble difficile de faire les deux...

Théodore Pellerin : Ce qui est difficile, c'est de s'adapter à des horaires qui changent constamment. C'est plus normal là-bas qu'ici de ne pas faire un film à un mois de préavis. Ces changements soudains sont plus fréquents aux États-Unis. Ici, on est plus rancunier. J'ai dû quitter des projets de théâtre. Même six mois avant les répétitions, ça insultait l'équipe. Je comprends, mais ça devient plus difficile d'accepter des projets ici. Parce que si je dis « oui », ça m'engage sur le long terme. Alors que là-bas, les choses changent souvent. Je devais tourner un film, par exemple, et il a été reporté de six mois.

M.C. : On entend plus souvent parler de changements dans la distribution de films aux États-Unis. Il faut dire que le bassin d'acteurs est plus grand...

T.P. : Le bassin est plus grand et il y a tellement plus de projets ! Ce qui est difficile aussi, c'est que tu t'habitues à travailler dans certaines conditions. C'est sûr que ce ne sont pas les mêmes au Québec. À un moment donné, tu te dis que si tu peux travailler là-bas, tu devrais continuer de travailler là-bas. Mais ce que je souhaite avant tout, ce sont les rôles les plus intéressants. Je suis en préparation pour un film ici.

M.C. : C'est plus facile de faire du cinéma que de s'engager dans une série télé au Québec ?

T.P. : Oui. Je ne pourrais pas, je crois. Surtout que je suis déjà associé à une série américaine et que je n'ai pas le droit, je pense, de faire une autre série tant que ça dure.

M.C. : Et si ça dure 15 saisons ?

T.P. : Je me suis engagé pour six saisons !

M.C. : C'était une offre que tu ne pouvais pas refuser...

T.P. : C'était une belle occasion. Le scénario était très bien écrit, et c'est moi qui ai le « lead » avec Kirsten Dunst. Je travaille avec des gens qui viennent du cinéma indépendant. Le but est de créer un show singulier qui a des qualités cinématographiques.

M.C. : Tu es devenu, peut-être même malgré toi, l'un des visages du cinéma indépendant québécois actuel, avec Chien de garde, Isla Blanca ou encore Genèse. Ça te plaît ?

T.P. : Oui ! C'est ce que je veux. J'ai envie de travailler avec des gens qui ont un langage, qui sont passionnés par ce qu'ils font. Je n'ai pas vraiment d'intérêt à faire des choses populaires qui ne sont pas bonnes.

M.C. : Tu n'as pas besoin, pour l'instant, de faire des jobs alimentaires...

T.P. : C'est un immense privilège. J'en suis conscient. J'ai la chance de pouvoir faire des choses qui me tentent vraiment. J'ai tellement eu de plaisir à jouer avec Kirsten. J'ai rarement travaillé avec quelqu'un d'aussi généreux, d'aussi présent dans une scène. J'ai travaillé avec plusieurs réalisateurs sur la série. J'ai vraiment fait de belles rencontres.

PHOTO FOURNIE PAR FUNFILM

Théodore Pellerin et Noée Abita dans Genèse, un film de Philippe Lesage

M.C. : Crains-tu la notoriété qui vient avec le fait d'avoir un premier rôle dans une série qui pourrait potentiellement avoir un certain rayonnement ?

T.P. : Je n'y pense pas trop. Aux États-Unis, plus tu es connu et plus tu as de choix et d'accès à des rôles intéressants.

M.C. : C'est le prix à payer ?

T.P. : Tu n'es pas obligé d'être une starlette ! C'est un choix, je crois. Je continue de faire des films plus pointus qui ne sont pas nécessairement grand public. On n'est pas dans les Marvel encore !

M.C. : Tu dirais non à un film de Marvel ?

T.P. : J'ai dit non à des auditions pour des X-Men. Ça ne me plaît pas, ce qu'ils sont en train de faire pour l'instant. Mais chez Marvel, ils font de super bons films, pleins d'humour et d'autodérision. Il y a de la bonne musique et de super bons acteurs. Je trouve que c'est du bon entertainment. Alors, bien sûr que ça me ferait plaisir ! Cate Blanchett joue dans Thor : Ragnarok, alors je peux bien...

M.C. : Tu peux bien « t'abaisser » à ça ! (Rires)

T.P. : Oui ! (Rires)

M.C. : Tu as un pied au Québec et un pied aux États-Unis. Les plateformes de multinationales comme Netflix prennent beaucoup de place et menacent les cultures nationales. Mes ados découvrent tout par YouTube ou Netflix et regardent peu la télévision québécoise. À terme, c'est dangereux pour notre télé et notre cinéma, non ?

T.P. : C'est sûr. Surtout avec Netflix qui ne paie pas de taxes. En même temps, c'est aux gouvernements à leur imposer des limites. On ne peut pas reprocher à Netflix de ne pas être un bon Samaritain alors qu'on ouvre grand la porte aux multinationales.

M.C. : Comment, comme artiste, tu te situes dans le débat ? En continuant de faire du cinéma québécois, tu soutiens ta culture nationale ?

T.P. : Je fais des films de festivals, à petits budgets. Certains ont plus été vus que d'autres, mais c'est ce que je fais. C'est la première fois que je participe à un projet qui a autant d'argent et l'ambition de rejoindre un large public. Et qui a la plateforme pour le faire. Je pense que c'est ça, le futur. Je comprends les gens d'aller vers ces séries-là. Ils prennent le temps de bien faire les choses. Il y a des créateurs qui ont une vision et qui vont jusqu'au bout de cette vision. La dernière série québécoise que j'ai vue faire aussi peu de compromis, c'est Série noire. Si on veut faire concurrence à ces séries-là, il faut mettre le temps et l'argent. Je sais qu'on n'a pas les mêmes budgets, mais il faut développer des projets qui ont ce genre d'ambitions aussi. Pour l'instant, je n'en vois pas beaucoup.

M.C. : On tente surtout de retenir le public qui est encore là, et ce public est vieillissant. On est moins dans l'audace, parce qu'on se dit que de toute façon, les jeunes ne sont pas à l'écoute. Mais il y a un danger à ça...

T.P. : La plupart de nos séries sont filmées et éclairées de la même façon. Il y a des exceptions, bien sûr. Il y a des shows magnifiques, des bijoux. Faits divers, c'est excellent. Les gens veulent voir du cinéma à la télévision. C'est ça, maintenant, la télé : c'est du cinéma, sur dix épisodes ou sur cinq saisons. Il faut avoir l'ambition de faire ça, sinon les gens vont aller voir ailleurs.

M.C. : Aux États-Unis, il y a plus de moyens, mais il y a aussi plus de contraintes liées à ces importants investissements, non ?

T.P. : Comme partout... Je pense que c'est dans les gros films à 300 millions de budget que l'on sent plus ces contraintes. Avoir plus de moyens, c'est aussi avoir une loge où je peux me reposer entre deux scènes pour faire une sieste, plutôt que d'attendre sur le plateau. Je comprends plus ce que j'ai besoin d'exiger, sans être diva, pour bien faire mon travail. Avant, j'étais gêné de demander une collation quand j'avais faim. Plus maintenant ! (Rires) On s'excuse tellement d'avoir des demandes au Québec, parce qu'on n'a pas beaucoup de moyens. Il y a une façon de demander les choses quand c'est justifié.

M.C. : Ça me fait penser au cliché de la génération décomplexée. Les gens de ton âge n'ont pas peur de leurs ambitions. Pour toi, le terrain de jeu est mondial...

T.P. : Aujourd'hui, oui. Mais ç'a été hyper stressant. Je suis encore surpris quand je pense à tout ce qui m'a été proposé. Je ne parlais pas anglais avant ! Mais je me voyais quand même travailler aux États-Unis, parce que les performances d'acteurs américains étaient celles qui me touchaient et m'habitaient le plus. Je ne savais vraiment pas comment j'allais m'y rendre. C'est un peu venu vers moi par hasard. J'ai compris l'occasion qui se présentait à moi et je l'ai saisie.

M.C. : Tu avais cette ambition-là.

T.P. : Oui, bien sûr, j'avais cette ambition-là. Aussi, ma mère [la danseuse et chorégraphe Marie Chouinard] avait un succès international et un discours de « Va jusqu'au bout, aie de l'ambition ! » Ma mère était un exemple de réussite, et pas juste au Québec. C'est sûr que dans mon éducation, on ne m'a jamais mis de freins. On m'a toujours encouragé et motivé à faire ce que j'avais envie de faire. On m'a toujours dit que ces rêves et ces désirs-là étaient valables, qu'ils n'étaient pas « too much », insultants ou déplacés. Je l'ai bien compris !

PHOTO WILLY SANJUAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Kirsten Dunst partage la vedette avec Théodore Pellerin
dans la série On Becoming a God in Central Florida.