Le thème de l'intégration figure au coeur de l'oeuvre de Philippe Faucon. Il y a quatre ans, le cinéaste français a même intitulé un film La désintégration. Il y relatait l'endoctrinement de trois adolescents nés en France, qui se radicalisent à un point où ces jeunes se transforment en kamikazes. À l'époque, on parlait de fiction. Depuis les horribles attentats survenus à Paris, on sait maintenant que l'inimaginable est devenu réalité.

Philippe Faucon était de passage au Québec il y a quelques semaines pour accompagner la présentation de son plus récent long métrage, intitulé Fatima. Très différent de ton, Fatima pourrait être l'envers de La désintégration. Inspiré du livre Prière à la lune, qu'a écrit Fatima Elayoubi, le film dresse le portrait d'une femme modeste, mère de deux adolescentes nées en France, qui gagne sa vie en faisant des ménages. C'est au moment d'un arrêt de travail forcé que Fatima décide de tenir un journal, qu'elle écrit en arabe, dans lequel elle peut enfin exprimer ce qu'elle est incapable de dire en français dans sa vie quotidienne.

«Le livre de Fatima Elayoubi empruntait plutôt la forme d'un recueil dans lequel l'auteure couchait ses pensées et ses réflexions, expliquait le cinéaste en entrevue à La Presse. Je ne voyais pas vraiment comment en tirer un film au départ, car l'approche était très introspective. Cela dit, on peut sentir à la lecture la frustration d'une femme ayant le sentiment d'avoir perdu la communication avec ses filles. À cause, notamment, de la barrière de la langue.»

Les immigrés «invisibles»

À cet égard, la situation de Fatima évoque celle de tous ces immigrés ayant fui leur pays pour trouver une vie meilleure ailleurs. Les propres grands-parents du cinéaste ont en outre fui le régime franquiste en Espagne pour s'installer en France. Ils ne maîtrisaient pas du tout la langue de Molière.

«Ils étaient eux aussi des "invisibles", rappelle-t-il. Je me souviens avoir eu des échanges avec mes grands-parents de même nature que ceux qu'ont les filles de Fatima avec leur mère.»

«En plus de la séparation linguistique, il y a ce décalage entre les générations. Les nouveaux codes sociaux, que maîtrisent parfaitement les jeunes nés au pays, échappent alors complètement aux parents.»

Pour faire écho au parcours d'une brave femme qui tente de s'intégrer du mieux qu'elle peut, même si de nombreux obstacles se posent sur sa route (le petit racisme ordinaire est toujours présent), Philippe Faucon a choisi une approche à l'image du personnage. Les films français abordant des thèmes liés à l'immigration sont par ailleurs souvent campés dans les cités parisiennes. Le cinéaste a plutôt choisi de faire de Fatima une Lyonnaise.

«Je me suis dit qu'il y avait quelque chose à donner et à entendre aux spectateurs par le simple fait de faire exister les personnages, explique-t-il. On plante toujours les histoires liées à l'immigration dans les cités parisiennes, mais il est important de sortir de cet espace. Ce genre de thèmes - l'islamisme, la radicalisation, les gangs de rue - est déjà beaucoup évoqué au cinéma. Je l'ai d'ailleurs fait moi-même avec La désintégration, car ça correspond à une réalité. Mais on ne doit pas verser non plus dans le sensationnalisme ou la caricature. Il y a aussi des gens - en grande majorité - qui vivent dans ces quartiers de façon tout à fait paisible, et qu'on ne voit jamais au cinéma. Comme Fatima.»

La belle inconnue

Trouver l'interprète de la douce héroïne n'a toutefois pas été facile. Philippe Faucon s'est résolu à chercher une actrice non professionnelle dont la situation serait à peu près similaire à celle du personnage.

«Une femme qui ne parle pas bien le français ne peut pas vraiment être incarnée par une actrice professionnelle, fait-il remarquer. Même avec une comédienne de très grand talent, il est difficile d'atteindre une réelle authenticité dans ces circonstances. Le rôle n'est pas à la portée de n'importe quelle inconnue non plus. Car le film repose sur les épaules de ce personnage.

«J'ai rencontré Soria Zeroual grâce à une association de femmes. Soria fait aussi des ménages dans la vie. Très vite, elle a eu cette capacité de faire vivre Fatima à l'écran. Il y a instinctivement dans son jeu une finesse, une intelligence, une grande subtilité. Soria s'est beaucoup investie dans le projet. Elle me disait qu'à travers ce personnage, elle voulait faire parler toutes les Fatima du monde.»

Réflexes viscéraux

Dans un entretien accordé au journal Les Inrockuptibles au lendemain des attentats parisiens, Philippe Faucon a tenu à peu près le même discours que celui qu'il tenait le mois dernier, au moment où des dizaines de milliers de migrants tentaient de trouver refuge en Europe.

«Nous avons déjà été confrontés à ce genre de crise par le passé et, chaque fois, elle s'accompagne de sentiments de peur, de fermeture, de crispation, avait-il alors déclaré à La Presse. Un certain discours politique exploite ces réflexes viscéraux et primaires. Tout ce qui joue contre ces réflexes, même à petite échelle, est utile et important. Si, après avoir vu Fatima, le spectateur peut avoir une perception différente, un pas sera fait. Il y a quelque chose d'un peu diffus qui pèse sur la société française présentement. On sent de l'inquiétude et de l'incertitude à propos d'une identité supposément menacée. Si Fatima peut contribuer à remettre les choses en perspective un peu, ce sera tant mieux.»

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Fatima prend l'affiche le 27 novembre.

PHOTO FOURNIE PAR LE FNC

Fatima aborde le racisme ordinaire auquel font face les nouveaux arrivants sur une base quotidienne.