Sourde oraliste, Marie-Andrée Boivin a eu envie de donner la parole aux femmes qui, comme elle, souffrent de l'absence de l'ouïe, ce qui a des répercussions évidentes sur la parole.

Elle est passé aux actes et a réalisé un film, Femmes sourdes, dites-moi, qui a remporté deux prix à ses deux premières sorties dans des festivals spécialisés.

Alors que son film est présenté aujourd'hui à 14h au Cinéma ONF, La Presse s'est entretenue avec elle.

Expliquez-moi la genèse du film. Comment ce projet vous est venu?

Je suis sourde oraliste (je parle et je fais de la lecture labiale, et j'utilise aussi la langue des signes) et j'ai besoin du sous-titrage pour écouter la télévision et écouter des films au cinéma.

J'ai toujours trouvé difficile de ne pas pouvoir aller au cinéma comme tout le monde. Je n'ai jamais compris pourquoi les DVD des séries québécoises, qui passent à la télé sous-titrées, sont diffusées sans sous-titres. Où se perd le sous-titrage dans la chaîne?

Bref, l'impulsion a été quand les oreilles de lapin sont devenues désuètes et que je me suis tournée vers internet pour écouter la télé, comme tout le monde le faisait autour de moi. J'ai constaté qu'aucune plateforme numérique ne transférait les sous-titres de la télé à la version numérique. Ça m'apparaissait une absurdité de plus.

Or, à ce moment-là, j'ai découvert que dans les pays d'Europe il y a des émissions sous-titrées, en langue des signes et audibles, destinées au grand public, incluant les sourds et malentendants. Pour les uns, il est source d'information en langue des signes, pour les autres il est aussi source de sensibilisation. Ces diffusions m'ont passionnée

Est-ce votre premier travail de cinéaste?

Oui, c'est mon premier moyen métrage documentaire. J'ai réalisé des vidéos avant, sur le thème de l'isolement provoqué par la surdité, qui est un handicap qui touche la communication. Je réalise que la sensibilisation est refaire constamment. Cela m'a donné l'idée de créer des vidéos où je donnerais l'impression à des personnes capables d'entendre qu'elles sont sourdes.

Quel est votre premier but avec ce film? Divertir? Instruire? Dénoncer?

D'abord, mettre les femmes sourdes sur la carte. En fait, donner aux personnes sourdes une tribune, une possibilité de s'exprimer, et surtout, d'être entendues. Les personnes sourdes sont rendues invisibles dans la société actuelle. Pour les femmes sourdes, c'était un geste d'«empowerment» que je voulais réaliser. Les rendre fières. Je voulais rendre les femmes fières de leur histoire tout en mettant les sourds sur l'échiquier social, transmettre l'histoire des sourds et du Québec, sensibiliser les personnes qui entendent et assouvir aussi ma curiosité personnelle.

Pour vous et ces femmes interviewées, est-ce que ces rencontres se sont faites dans le bonheur ou la douleur?

Je dirais dans le bonheur... Pour une fois, elles étaient entendues, écoutées. La surdité touche la communication. Donc, pour une personne sourde gestuelle, rencontrer une personne avec qui elle peut communiquer facilement est une délivrance. Les entrevues duraient facilement 3 heures. Les personnes sourdes sont intarissables lorsqu'elles peuvent être comprises. Aussi, c'était peut-être pour certaines l'occasion de raconter à leur famille et leur entourage leur vécu personnel, car certaines ne peuvent communiquer avec leur famille, qui n'a jamais appris la langue des signes. Pour d'autres, c'était le plaisir de transmettre, de retourner sur les lieux de leur enfance.

Étant vous-mêmes sourde, qu'est-ce que le fait de faire ce film vous a appris?

L'histoire des femmes sourdes au Québec, l'histoire de l'oralisme, l'histoire de la langue des signes qui était perçue de façon très négative, le fait que certaines des premières étudiantes sourdes ont voulu joindre les ordres et qu'on a créé une communauté pour elles, qui avait un statut distinct de celles des religieuses de la Providence.