Si les mots mort, vieillissement, maladie et dépression vous font peur, ce film n'est peut-être pas pour vous. Si vous aimez réfléchir à la condition humaine et à l'amour du prochain, par contre, le long métrage de Bernard Émond saura vous émouvoir.

«C'est un film qui fait la part des choses entre la beauté de l'existence et sa douleur, dit le cinéaste. Peut-être parce qu'on vit dans une société adolescente, on n'est plus capables de voir qu'on meurt tous à la fin de l'histoire. On voudrait tous mourir dans notre lit entouré des nôtres, mais ça arrive à bien peu de gens.»

Dans ce Journal, Nicolas (Paul Savoie) raconte la fin de sa vie. Il n'en a plus pour longtemps, mais comme il est doté d'une grande force morale, il ne le dira à personne. Médecin, professeur d'université, cet homme a eu une bonne vie. Il a connu une belle carrière et a été utile, mais il se demande s'il a été un bon mari et un bon père pour sa fille Katia (Marie-Eve Pelletier).

«La douleur de ses derniers jours n'invalide pas le reste, souligne Bernard Émond. C'est comme si on pensait que quelque chose nous était dû, qu'on mérite une belle mort. On aura la mort qu'on aura. Le film dit deux choses: il y a des gens pour lesquels on ne peut rien, en même temps, l'amour n'est jamais perdu. Il y a des moments dans la vie où l'on ne peut rien pour les personnes qu'on aime, mais on peut leur faire du chocolat chaud et les prendre dans nos bras.»

Tchekhov

L'amour dans ce film et dans ce projet, c'est aussi celui que porte le cinéaste à l'oeuvre d'Anton Tchekhov. Le long métrage est librement adapté du récit Une banale histoire de l'écrivain russe.

«J'ai gardé tout ce que je pouvais. J'ai voulu m'en tenir très près. C'est d'une grande richesse. Il y a à la fois de la compassion et un peu d'ironie envers ses personnages. Tchekhov était prisonnier d'une époque autoritaire. On est, nous, dans une société qui s'en va dans le mur. On sent une certaine impuissance. Mais si on baisse les bras et on ne fait qu'en rire cyniquement, comme on nous encourage à le faire, on va ajouter au malheur du monde.»

De beaux échanges ont lieu dans Le journal entre Nicolas et Michel, un jeune professeur d'université qui voit tout en noir.

«Si le sens critique n'est pas tempéré par un amour du monde, on ne va nulle part. C'est pour ça que Nicolas est si important quand il dit que le désir des jeunes d'apprendre est toujours intact. La beauté sera toujours là, même après sa mort. On est les gardiens du monde, si on baisse les bras, c'est fini.»

Cinéma réaliste

Certains reprocheront pourtant à Bernard Émond son pessimisme. Le cinéaste s'en défend bien.

«Je ne suis pas pessimiste. Je suis un réaliste. J'aime profondément la vie. La beauté de l'existence est réelle. L'attention au monde, à la nature et aux gens qui nous entourent est une vraie raison de vivre. C'est sûr que ça va très mal. On est en train de répandre de la laideur et du malheur d'une façon terrible. Mais la nature est forte, les sociétés humaines aussi. Il ne faut pas désespérer malgré l'époque désespérante. L'avenir, c'est long.»

Côtoyer les grands artistes nous aide à mieux voir la beauté, croit-il. Il cite Camus, Racine, évidemment Tchekhov et Chostakovitch, dont on peut entendre plusieurs extraits dans le film.

«Les grands artistes nous lèguent une façon de voir le monde et d'être au monde. C'est indispensable. Une partie de l'enseignement contemporain, j'ai bien peur, est de donner aux jeunes ce qu'ils veulent. Oui, ça vaut la peine de mettre les jeunes en contact avec la grande musique et la grande littérature. L'éducation, c'est de nous forcer à lire Guerre et paix. Je ne me suis jamais ennuyé dans ma vie à cause de professeurs qui m'ont fait lire des choses difficiles.»

Bernadette Payeur, productrice

Elle a tellement produit de films de Bernard Émond qu'elle ne les compte plus. Bernadette Payeur défend à la fois le cinéaste et sa vision.

«C'est nécessaire ce qu'il apporte, Bernard, sa réflexion, sa profondeur, tout en faisant découvrir Tchekhov. Il répond à un besoin d'un public souvent orphelin. Personne d'autre ne fait ce qu'il fait. C'est un cinéma qui s'adresse à un public mature qui n'a pas peur de regarder la mort en face.»

On en connaît qui refuseront peut-être de programmer un tel film. Bernadette Payeur n'est pas tendre avec ceux-là, pour qui l'argent prime l'art.

«Trop de monde a été traumatisé par ces histoires de box-office, les institutions notamment. Elles ont tellement peur et veulent répondre aux critiques d'un certain M. Guzzo, qui ne comprend ni du cul ni de la tête le monde du cinéma. C'est sûr qu'on a un peu peur. Les pressions sont énormes, mais il faut continuer.»

Tristesse et beauté

Paul Savoie (Nicolas)

Paul Savoie défend son premier grand rôle au cinéma dans Le journal d'un vieil homme. À 69 ans, cet amoureux de Tchekhov reçoit le film de Bernard Émond comme un cadeau.

«Il y a plein de films qui s'adressent aux ados, avec du punch, des rebondissements. Ce n'est pas un film de sensations qu'on a fait. C'est un film adulte. C'est ça que je veux dans la vie. Les premiers films que j'ai vus, ce sont ceux de Bergman, Kobayashi, Ray. Des hommes sérieux qui réfléchissent et font un film en accord avec leur pensée. Je ne suis pas fâché d'en faire. Le personnage de Nicolas est très beau.»

Il était donc en pays de connaissance chez Tchekhov. Il a lu sa biographie et ses nouvelles, en plus de le jouer beaucoup.

«J'aime Tchekhov. Parfois, on lit la biographie de quelqu'un et le personnage s'écroule, comme Charlie Chaplin. J'ai arrêté de voir ses films par la suite. Tchekhov, ça n'a fait que confirmer ce que j'aimais de cet homme. C'est vraiment quelqu'un d'extraordinaire.»

Tout comme Bernard Émond, qui a le courage de l'adapter au cinéma et d'en faire un film «nourrissant, nécessaire». Même si incarner Nicolas, un homme qui vit ses derniers mois, n'a pas toujours été facile. Les deux hommes ont longtemps travaillé en studio pour trouver le ton juste de la narration en voix hors champ dans le film.

«Je ne suis pas sportif, mais je suis actif, ajoute Paul Savoie. D'accepter d'avoir cette diminution physique, c'était toute une expérience. J'ai vécu pendant un mois dans un corps de vieux malade. C'était dur. Comme bien des gars, je suis un peu adolescent. Je ne sentais pas mon âge. Mais avec ce film-là, j'ai atteint mon âge. C'est comme si mon corps avait su, tout d'un coup, mon âge.»

Marie-Eve Pelletier (Katia)

Marie-Eve Pelletier fait beaucoup de théâtre depuis 16 ans. Elle interprète la fille de Nicolas, Katia, dans Le journal d'un vieil homme.

«Pour moi, une adaptation de Tchekhov, ça correspondait tout à fait à ce que j'aime et avais le goût de faire. C'est un ton qu'on connaît moins sur nos écrans. Mais pour moi, c'était du bonbon du début à la fin, même si le ton est grave. C'est une très belle partition. J'avais Luce à défendre, la mère de Katia, et Katia à deux âges différents. C'est un très beau défi pour une actrice. Katia vit un manque de confiance et une crise existentielle. On est vraiment impuissant à changer la vie des autres, mais comment fait-on pour garder la lumière, malgré cela? Entre Paul et moi, ce qui est beau, c'est la danse à deux du soulagement. C'est un film où il n'y a pas de déni ni de complaisance. Tchekhov-Émond, c'est un mariage exceptionnel.»

Marie-Thérèse Fortin (Barbara)

Marie-Thérèse Fortin n'a pas le beau rôle ici, mais comme elle le dit, c'est le récit qui importe avant tout.

«Nicolas est dans une étape de sa vie où plus grand-chose ne lui fait envie. Barbara, elle, essaie de le tirer du côté de la vie, mais elle ne peut pas aller là où il est. Ça l'affole. Elle représente un effet repoussoir. Si j'avais essayé de détourner ce personnage pour que le public retrouve Marie-Thérèse... disons qu'ils ont d'autres places pour m'aimer. Je suis plus encline à bien raconter l'histoire qu'à penser à ce que les gens vont penser de moi. On est dans la dictature du rire. Personne ne va perdre la vie parce que tout à coup on parle de questions graves, intelligentes et sensibles. Je n'ai rien contre les films légers, mais le rôle de Bernard Émond est important dans le cinéma québécois. Il me semble qu'on se sent vivant quand on touche à ces grandes questions.»

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Marie-Thérèse Fortin, Marie-Eve Pelletier, Paul Savoie et Bernard Émond.

Les incontournables de Bernard Émond

Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de traces (1992)

Magnifique documentaire où le cinéaste montre que tout homme a une histoire, que tout humain est partie intégrante de la grande famille de l'humanité.

La femme qui boit (2001)

Premier long métrage de fiction avec l'incomparable Élise Guilbault qui voit sa performance récompensée par un Jutra, un Génie et un Bayard d'or à Namur.

La neuvaine (2005)

Premier film d'une trilogie sur les vertus de la foi, de l'espérance et de la charité. Le film remporte trois prix à Locarno. Il est élu film québécois de la décennie par les critiques d'ici.

Contre toute espérance (2007)

Cinéaste des grands rôles féminins, Bernard Émond? Cette fois, c'est une Guylaine Tremblay formidable de sobriété qui remporte le Jutra pour son interprétation dans ce film.

La donation (2009)

Élise Guilbault dans un autre de ses grands rôles. Le film remporte trois prix à Las Palmas, deux à Locarno, en plus d'une mention spéciale du jury au TIFF.

PHOTO FOURNIE PAR K-FILMS AMÉRIQUE

La neuvaine