Grand amateur de cinéma, Jacques Boulanger était trop heureux d'avoir enfin l'occasion de tourner un film. Trente-huit ans plus tard, ne lui parlez plus de Parlez-nous d'amour...

N'espérez pas voir Jacques Boulanger à la projection de Parlez-nous d'amour au FNC ce soir. Le populaire animateur, aujourd'hui retraité, garde un bien mauvais souvenir de toute cette aventure.

«Quand on m'a contacté au moment où Éléphant a entrepris la restauration du film, j'ai fait savoir que je ne voulais plus jamais en entendre parler, explique-t-il à La Presse. Avec Aurore l'enfant martyre, c'est le film québécois le plus cruel que j'ai jamais vu. Au lendemain de la première, je me suis terré chez moi. Je venais de réaliser à quel point j'avais été inconscient. Mon personnage était censé être seulement un témoin de ce qui se passait. Là, tout le monde a pensé que je jouais ma propre vie! J'ai beaucoup de difficulté à comprendre ceux qui cherchent à réhabiliter ce film aujourd'hui en le qualifiant de chef-d'oeuvre. À mes yeux, Parlez-nous d'amour reste un mauvais film!»

Si son envie de dénoncer les travers du milieu était bien réelle à l'époque, Jacques Boulanger estime qu'il aurait dû mieux discuter avec le réalisateur Jean-Claude Lord à propos de la manière de le faire.

«On aurait sans doute pu dénoncer les mêmes choses en s'y prenant autrement, dit-il. Je sais qu'on a évoqué un suicide professionnel à l'époque, mais il n'en était rien. Ma participation au film ne découlait pas non plus d'une envie de donner une nouvelle orientation à ma carrière. Pas du tout. On m'offrait un immense cadeau: un premier rôle dans un film écrit par Michel Tremblay et réalisé par Jean-Claude Lord. Difficile d'avoir plus hot que ça dans le temps! Le sujet me tenait à coeur et j'ai fait confiance. J'ai dit oui à tout et je me suis réveillé le soir de la première en me disant que ça n'avait vraiment pas de bon sens. Et en plus, j'adore le cinéma.»

Pas vraiment de conséquences

Quand il a vu ses patrons de Radio-Canada sortir au beau milieu de la projection le soir de la grande première, Jacques Boulanger a cru sa carrière finie.

«J'étais certain d'être congédié. Mais, honnêtement, mes patrons ont été extraordinaires. Plutôt que de me jeter à la rue, ils m'ont envoyé à la radio pendant deux ans. J'ai ensuite repris contact avec le public de la télévision en allant chanter aux Coqueluches, l'émission animée par Guy Boucher et Gaston L'Heureux, qui avait pris la relève de Boubou. Ça s'est tellement bien passé qu'un nouveau patron a eu l'idée de faire revenir Boubou le midi à la télévision! J'y ai réfléchi et j'ai replongé. J'ai fait trois autres belles années à la télévision tous les midis. J'ai payé beaucoup moins cher que je ne l'aurais cru!»

Aujourd'hui, Parlez-nous d'amour comporte surtout une valeur sociologique tout en affichant un aspect indéniablement divertissant. Les nouvelles générations regardent l'oeuvre avec une certaine distance, d'autant que les dialogues - aussi colorés que les décors et les costumes - sont pour le moins gratinés. Et mémorables.

«J'ai rencontré des universitaires qui m'appellent Jeannot gros comme le bras parce qu'ils ont étudié le film dans leurs cours! raconte Jacques Boulanger. Des jeunes m'arrêtent en me disant à quel point ils trouvent ça drôle. Les gens de ma génération ont rejeté le film violemment et ils se sont sentis blessés. Celle de mon fils le trouve encore un peu raide. Et celle de mes petits-enfants tripe beaucoup!»

Si l'épisode fut difficile à vivre sur le plan personnel à l'époque, Jacques Boulanger range aujourd'hui l'expérience au rayon des mauvais souvenirs.

«Sur le plan psychologique, je m'en suis sorti il y a très longtemps, dit-il. Dès que j'ai repris Boubou au Complexe Desjardins, tout est rentré dans l'ordre. Ça m'a guéri. Ma carrière n'en a pas souffert, car j'ai pu vite retomber sur mes pattes.»

Aujourd'hui âgé de 75 ans, Jacques Boulanger profite de sa retraite depuis maintenant cinq ans. «J'ai eu le privilège de commencer ce métier à l'âge de 18 ans et de l'exercer jusqu'à 70 ans. J'ai été comblé. Je ne pourrais pas avoir le culot de cracher sur ceux qui m'ont permis de vivre autant d'années de bonheur. Je serais vraiment le dernier des goujats.»