Inspiré par cinq polaroids de la photographe Anouk Lessard, le réalisateur François Delisle réussit un tour de force en nous invitant à « un voyage à l'intérieur de notre propre prison» dans un film magnifique, ouvert, et, paradoxalement, libre.

Gros plan sur une chute d'eau dont la blancheur fait écho à la voix de Pierre qui parle des cheveux blancs de sa mère. Pendant une heure quinze, le cinéphile qui regardera Le météore, dernier film François Delisle (Deux fois une femme, Le bonheur est une chanson triste), entendra les monologues de cinq personnages enfermés dans leur solitude pendant qu'à l'écran défileront des images belles et souvent fixes évoquant la photographie. Introspection, contemplation: expérience unique de cinéma. Ce septième art qui, de nos jours, la plupart du temps, a la fâcheuse tendance à vouloir prendre le spectateur par la main, sinon lui imposer toujours les mêmes modèles narratif et visuel.

Il fallait de l'audace pour réaliser un tel film qui ne fera pas courir les Guzzo de ce monde. Depuis le début de sa carrière, François Delisle a cette audace, lui qui a créé sa propre maison de production, 53/12, pour pouvoir faire les films qu'il veut et produire ceux d'autres cinéastes qui partagent sa vision. Un pari risqué ? « C'est la meilleure chose que je pouvais faire, pas de farce, répond-il. Pour moi, la crise du cinéma québécois est inexistante.»

En effet, Le météore a dernièrement été présenté à Sundance et Berlin et sera lancé aux Rendez-vous du cinéma québécois. L'absurdité est qu'il ne prendra l'affiche que dans deux salles au Québec. François Delisle souligne avec ironie que le cinéma d'auteur québécois a plus de difficulté à franchir la barrière du 450 que les frontières à l'international. Mais il ne se plaint pas du débat engendré par les propos de Guzzo: «C'est une superbe visibilité, on n'a jamais autant parlé du cinéma d'auteur!»

Quête de libération

Le Météore est né d'un projet de correspondance avec sa compagne, la photographe Anouk Lessard, qui a mené à un livre. Cinq polaroids qui ont inspiré à Delisle cinq personnages, cinq monologues. Pierre, qui purge une peine de 14 ans de prison; sa vieille mère, dans la tristesse du crime de son fils et de la vieillesse ; Suzanne, l'ex de Pierre qui peine à refaire sa vie ; un gardien de prison au bord du divorce à force de ramener son attitude à la maison ; finalement Max, petit dealer qui tente de réussir dans le difficile monde de la rue. Nous entendons les voix de François Papineau, Andrée Lachapelle, Dominique Leduc, Stéphane Jacques et Pierre-Luc Lafontaine, mais ce ne sont pas eux que nous voyons à l'écran. Plutôt des proches de Delisle qui, par un concours de circonstances une scène qu'il voulait capter , incarne Pierre.

Le réalisateur a tourné son film pendant deux ans, sa ns équipe technique , sans contrainte d'argent ou d'horaire, au gré de son inspiration, ce qui a représenté pour lui un véritable retour aux sources, dont le résultat l'étonne lui-même. « Je suis heureux que ça se soit déroulé ainsi, mais honnêtement, je suis un peu dépassé par mes propres gestes. On dirait que c'est de l'ordre de l'inconscient et je suis maintenant obligé de l'expliquer. Mais je ne suis pas un théoricien, je suis un praticien. Je pense que la forme du film vient beaucoup de la façon dont il a été fait. Il y a une bonne part de moi là-dedans, sans pudeur. J'ai toujours eu l'impression que le plus important est d'être honnête, et d'aller à la rencontre des gens.»

Un film lumineux

Tous les personnages de Delisle parlent en quelque sorte d'enfermement, en premier Pierre pour qui c'est une réalité tangible. Et pourtant, nous ne verrons aucune image de prison. Au contraire, c'est un film lumineux, qui respire. «C'est un peu le but de l'opération. Je ne suis pas un expert de la vie carcérale. Je me suis contenté d'aller plus loin dans des thèmes assez chers. Il y a dans ce film des réflexions qui sont tout à fait personnelles sur la vie. J'ai un désir d'absolu, je me dis qu'on n'est pas seulement sur la terre pour apparaître et disparaître. Mais il y a toujours quelque chose qui nous retient, et je m'aperçois en vieillissant que c'est souvent nous-mêmes. Le film parle de ces prisons intérieures, de ces tentatives de libération. Le Météore, c'est l'aboutissement de tout ce que j'ai fait avant.»

Et le cinéaste, en se permettant une telle liberté dans sa création, offre en retour une totale liberté au cinéphile, ce qui n'est pas rien. «Nous lisons les scénarios avec un regard standardisé, nous faisons des films avec un langage standardisé et pourtant, le cinéma est un art plutôt jeune, on en est aux balbutiements, mais on ne fait pas assez de recherche, d'expérimentations. Je pense que les gens sont plus ouverts qu'on pense à des formes d'expériences comme celles- là. Les autres arts les arts visuels, la danse ou le théâtre repoussent beaucoup plus les frontières que le cinéma en ce moment. On ne fait pas assez confiance aux gens.»

Film de clôture des Rendez-vous du cinéma québécois, Le Météore est présenté ce soir à 19h, au cinéma Quartier latin. Il prendra l'affiche le 8 mars.