Philippe Falardeau a voté en début de semaine en prévision de la soirée des Oscars. Le cinéaste québécois, qui monte en ce moment son prochain film américain, The Bleeder avec Liev Schreiber, est membre de l'Académie des arts et des sciences du cinéma depuis sa sélection à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2012 pour Monsieur Lazhar.

J'avais envie d'avoir ton point de vue de cinéaste qui a déjà vécu l'expérience des Oscars sur le gala de cette année... Tu as vu les films?

J'ai fait un blitz en fin de semaine et j'ai voté en ligne lundi. C'était la date limite.

Tu votes depuis que tu as été finaliste avec Monsieur Lazhar?

Oui, mais être en nomination ne te permet pas automatiquement de voter. Il faut que quelqu'un de ta guilde te sponsorise, et à ce jour, je ne sais pas qui a proposé ma candidature. Ça reste un mystère! Je sais que c'est un réalisateur, mais je ne sais pas c'est qui.

Est-ce que tu prends plaisir à voter?

Oui et non. C'est-à-dire qu'au final, il y a beaucoup de films qui se retrouvent en nomination que je ne trouve pas intéressants. Mais je le fais consciencieusement. Je ne vote pas dans les catégories dont je n'ai pas vu tous les films. Je fais la même chose au Québec.

Tu as voté dans la catégorie de la réalisation?

Tu veux savoir pour qui j'ai voté? Je n'ai pas le droit de le dire avant le 29, selon le règlement... Cette année, pour la première fois depuis des années, je trouve qu'il y a un réalisateur qui mérite le prix pour un film qui est purement un divertissement. C'est George Miller, le réalisateur de Mad Max. Je me souviens quand j'étais enfant et que je regardais les Oscars avec mes parents, c'était systématiquement des films que je trouvais ennuyeux qui gagnaient. C'était pas E.T., c'était pas Raiders of the Lost Ark. C'était Terms of Endearment ou Chariots of Fire et je ne comprenais pas. Aujourd'hui, je comprends mieux.

Ma mère avait tellement aimé ça, Terms of Endearment...

Le dernier film popcorn à avoir gagné, c'est le troisième volet de la trilogie du Seigneur des anneaux, qui ne méritait pas le prix. Mais Mad Max, oui. Parce que derrière chaque plan, il y a une idée de réalisation, une idée de mise en scène. Qu'on aime ça ou pas comme style de film. Par contre, c'est très difficile de comparer la réalisation de Mad Max à celle de Room, par exemple, qui est un huis clos claustrophobique. Ce qui m'amène à un autre film contre lequel je suis parti en croisade, qui est The Revenant et qui n'a pas sa place là à mon avis...

Pourquoi?

C'est un film surévalué. C'est un beau western, mais je ne comprends pas mes pairs partout à travers la planète de voter pour ce film-là. C'est un film qui est extrêmement redondant à mon avis. Je pense qu'on confond l'exploit du tournage avec le résultat.

Parce qu'il faisait - 40 degrés dans les Rocheuses! C'est un film qui ne m'a pas plu particulièrement, surtout parce que son scénario est d'une minceur absolue et qu'Iñárritu ne nous a pas habitués à ça. J'avais l'impression qu'il se prenait pour un Tarantino qui se prend trop au sérieux.

Il se prend pour Kurosawa.

Aussi. Il reste que dans la mise en scène, dans le visuel, même dans la manière de filmer le flot de la rivière, il y a quelque chose de très maîtrisé.

C'est vrai que c'est beau. On a vu la réaction viscérale de Roy Dupuis vis-à-vis de la représentation des Canadiens français dans le film. Je pense qu'il a tort. Tout le monde est un salaud dans ce film-là. Et même sans doute le personnage principal!

On les soupçonne tous d'avoir violé ou tué des Amérindiens. Pas juste les francophones.

Pour moi, ce n'est pas un film à propos social, et c'est correct. Si Leonardo DiCaprio gagne, il gagne en raison de performances antérieures et pas en raison de celle-là.

Il va gagner parce qu'il n'a jamais gagné.

Je ne voterai pas pour quelqu'un qui grogne pendant deux heures et quart... Parce que grogner, ramper et avoir l'air d'avoir mal partout, je vais dire une énormité, mais c'est assez facile pour un comédien. C'est encore plus facile pour un bon comédien. Ils ont beaucoup insisté sur les conditions de tournage difficiles. Mes conditions de tournage n'étaient pas faciles à New York non plus! Ça n'a rien à voir avec la qualité du film.

Oui, mais toi, t'es un Québécois qui tourne dans le froid à New York. Lui, c'est un Mexicain qui tourne dans le froid en Alberta!

Bouhouhou! Cela dit, je suis plutôt fan d'Iñárritu d'ordinaire et j'avais beaucoup aimé Birdman.

Moi aussi. Ce qui m'a fait décrocher, c'est de voir DiCaprio survivre à mille et une péripéties.

Ma blonde est partie à rire!

Moi aussi, et pas juste à la scène de l'ours. Cela dit, Mad Max a aussi un scénario assez mince. On part du point A pour se rendre au point B. Et on refait le chemin inverse.

Le Seigneur des anneaux, ils ont fait trois films de 12 h avec un aller-retour du point A au point B! Mad Max, au moins, c'est l'arrivée de la féminocratie.

Je n'ai pas trouvé que c'était une année de grands films. C'est un peu par dépit que je choisis Spotlight comme meilleur film. Le propos est intéressant, mais la réalisation est assez quelconque.

En effet. Je crois que c'est un choix d'être aussi sobre. On a voulu s'effacer derrière le sujet, qui est autant un type de journalisme en voie de disparition que la pédophilie dans l'Église. J'ai beaucoup aimé le film et le scénario, mais j'avais une réserve sur le jeu de Ruffalo qui s'est composé un personnage avec beaucoup de tics peut-être pas nécessaires. Pour moi, The Big Short, c'est le film qui, sur papier, aurait dû se planter et qui surprend. On parle de subprimes...

C'est un tour de force d'avoir rendu ça intéressant. Parce que c'est très dense et très rébarbatif comme matière.

Et très déprimant. Mais il a rendu ça divertissant. Il a rendu ça drôle. Je le considère comme faisant partie du top 3 pour l'Oscar du meilleur film. Pour moi, c'est clairement le meilleur scénario.

Même si tout le monde prédit l'Oscar à The Revenant, j'ai l'impression que Spotlight pourrait causer la surprise.

Ce n'est pas facile de créer une tension dans un film avec des personnages qui attendent des appels téléphoniques dans une salle de nouvelles. La sobriété était probablement le choix judicieux.

C'est assez réaliste aussi. Ça ressemble pas mal au début des années 2000 dans un journal. Si on parlait de Room?

Je ne vois pas qui d'autre que Brie Larson pourrait gagner l'Oscar de la meilleure actrice. Elle est formidable.

C'est sans aucun doute le film qui m'a le plus ému cette année. Mais tout en étant ému, je me rendais compte des mécanismes mis en oeuvre pour m'émouvoir. Ce côté racoleur m'a dérangé un peu, même si je reconnais des qualités au film...

Je suis d'accord, mais je vais t'arrêter là! J'ai vu La famille Bélier, qui est une très mauvaise comédie française. À la fin, j'étais une rivière de larmes. Je ne suis pas autorisé après à dire aux gens de ne pas aller le voir. Je suis autorisé à me fermer la gueule. Honnêtement, si un film te fait pleurer, c'est qu'il porte une vérité. On ne peut pas faire pleurer avec des faussetés.