La Franco-Algérienne Soria Zeroual, nommée en France pour le César de la meilleure actrice, n'était jamais allée au cinéma jusqu'à la première de Fatima à Cannes l'an passé: cette femme de ménage est aujourd'hui «fière» d'avoir tenu le premier rôle d'un film qui «donne du courage» à toutes les Fatima.

Le film de Philippe Faucon, l'un de ceux qui illustrent la diversité parmi les oeuvres en lice cette année pour les plus prestigieuses récompenses du cinéma français qui seront décernées vendredi soir, est également nommé dans la catégorie du meilleur film.

Le scénario - le quotidien d'une mère qui élève seule ses deux filles - «m'a touchée», confie à l'AFP Soria Zeroual, franco-algérienne de 45 ans, arrivée en France en 2002.

«Les Maghrébines, les immigrées qui ne parlent pas bien le français souffrent parce qu'elles n'arrivent pas à parler avec leurs enfants qui sont nés en France ou avec leurs copains», souligne cette mère de trois garçons qui vit à Givors, dans la métropole lyonnaise.

«Elles ne savent pas écrire, elles ont du mal à avoir des contacts. C'est une histoire vraie», explique-t-elle.

L'apprentie actrice, qui a quitté l'école à 16 ans, a suivi trois mois de cours d'alphabétisation seulement à son arrivée en France, après son départ de Batna, la «capitale» des Aurès.

«Moi aussi comme dans le film, je parle à mes enfants en arabe et en français, ils me répondent toujours en français, ils ne parlent pas arabe».

Portant le voile, elle assure que son intégration s'est «bien passée» et qu'elle n'a, contrairement à la Fatima du film, jamais été confrontée au racisme.

Visage lumineux, chaleureuse, Soria a donné vie à ce personnage de «Mère Courage», qui augmente ses heures de ménage pour payer le studio de son aînée, étudiante en médecine.

À deux doigts de rater le rôle

«C'est important d'avoir tourné ce film pour toutes les Fatima. Elle est courageuse Fatima! C'est un film qui donne du courage».

Pourtant, elle a bien failli rater le rôle de sa vie.

L'aventure commence lorsque son frère, en contact avec la production, lui demande de trouver des femmes et des jeunes filles pour le casting.

«J'ai appelé des voisines, des copines. On est allées à deux voitures à Vénissieux (banlieue populaire de Lyon, ndlr). La salle était pleine de monde. J'ai pensé «Non non, c'est pas pour moi». On nous a donné des fiches à remplir», raconte-t-elle.

«Très timide», elle laisse quand même ses coordonnées et repart faire le ménage dans la banque où elle travaille tous les samedis après-midi. Suivront deux autres séances d'essais.

On la rappelle un peu plus tard pour lui annoncer qu'elle est engagée.

«Félicitations! Vous êtes le premier rôle dans Fatima. J'ai dit merci. Jamais je n'avais imaginé tourner dans un film. J'étais heureuse, avec le stress», se souvient-elle.

Le stress ne l'a guère quittée pendant les sept semaines du tournage qui s'est déroulé à Lyon et Marseille.

«Ça a été difficile... La caméra, la lumière... J'ai beaucoup travaillé, j'ai répété tous les soirs. Tout le monde m'a donné du courage, mes enfants, l'équipe du film, Philippe (...). Après, c'est devenu plus naturel. Comme chez moi avec mes enfants. J'ai improvisé certains mots, Philippe les a laissés».

Son père est venu la voir d'Algérie le dernier jour du tournage à Marseille. «J'ai pleuré» comme à la première au festival international de Cannes. «J'ai pensé «C'est pas moi, c'est quelqu'un d'autre»».

Après le film, Soria a repris sa vie d'avant mais a diminué le nombre de ses heures de ménage car elle veut davantage s'occuper de ses trois fils de 12, 11 et 8 ans.

L'argent qu'elle a gagné sur le tournage? Bien loin du cachet d'une star. «Il est parti tout de suite. J'ai fait des cadeaux et ça remonte déjà à 2014». Un autre rôle? «Pourquoi pas», conclut-elle en riant.