Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui marquent la vie urbaine

« Vous êtes ici pour une raison bien précise : vous avez su vous démarquer par votre authenticité », lance en introduction Harry Julmice, cofondateur de Never Was Average (NWA), collectif qui a recours à l’art comme moteur de changement.

Devant lui, les 10 élus sélectionnés pour suivre le programme d’autodéveloppement Des créateurs pas comme les autres, « axé sur la communauté et l’inclusivité » et conçu pour « faciliter le parcours atypique » des personnes noires dans les rouages du cinéma québécois.

Avec 95 candidatures soumises, la sélection a été difficile. « C’était important pour nous d’avoir des projets inspirants, mais aussi des créateurs qui ont une histoire à raconter par leur personnalité et leur parcours », souligne Harry Julmice.

L’une d’elles, Quintina Lawrence, a un projet de court métrage sur deux jeunes sans-abri. Une autre, Myriam Louis, veut écrire à propos de la relation entre une mère et sa fille trentenaire universitaire.

Le programme, soutenu par la Fondation Dynastie et le Fonds des médias du Canada (FMC), comprend d’abord une formation en ligne avec une dizaine de classes de maître – accessibles à tous – données par des cinéastes qui ont fait leurs preuves, dont Miryam Charles, Khoa Lê, Aziz Zoromba, Ella Cooper et Mélanie Brière.

Pendant neuf mois, les participants prendront part à des ateliers pour peaufiner leur écriture et apprendre à mener à terme un projet à travers sa production et son financement. Sans compter du mentorat et des visites de plateau. « L’objectif premier est de développer vos compétences pour faire un pitch final à des producteurs », fait valoir à la cohorte Harry Julmice. « Il y aura un évènement de clôture avec des membres de l’industrie », ajoute-t-il.

Nous avons assisté à la première rencontre entre les participants. Tous avaient déjà de belles histoires en tête. Kim Ninkuru en a une sur l’histoire d’amour entre deux personnes noires trans. Inspiré par le film Moonlight, Joys Sekpon parle plutôt d’« un coming-of-age pour une jeune femme noire ».

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Les participants au programme Des créateurs pas comme les autres étaient pour la première fois réunis le 1er mai dernier dans les bureaux de l’organisme Never Was Average.

Frankie Perez, photographe qui a fait l’équipe olympique américaine de breaking (mais qui n’a pas été qualifié pour Paris), souhaite faire une websérie sur la culture du street dance.

Il faut aussi souligner le projet de Darnly Dubois, animatrice de radio bien connue des auditeurs de CIBL, inspiré d’un livre qu’elle a reçu, mais qui est depuis épuisé, et dont le titre est D’Haïti au Québec : quelques parcours de femmes. « On retrouve les parcours de femmes haïtiennes qui sont arrivées au Québec des années  1950 aux années 2000. J’ai eu les droits d’auteur du livre et je veux lui redonner vie avec une websérie. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Harry Julmice et Joanna Chevalier, fondateurs de Never Was Average

Se faire confiance

« On laisse son syndrome de l’imposteur à la porte, insiste auprès des participants Harry Julmice. C’est un milieu difficile. Si tu ne crois pas en toi, le milieu va te briser. »

« Vos histoires sont importantes et il y aura toujours quelqu’un qui va vouloir les écouter », renchérit Joanna Chevalier, cofondatrice de NWA.

Après tout, c’est pour cette raison que les deux amis de longue date ont fondé l’organisme Never Was Average : pour que l’art favorise la parole et l’émancipation dans un esprit de communauté.

En 2020, NWA était derrière la fresque La vie des Noir.e.s compte, rue Sainte-Catherine. On lui doit aussi plusieurs expositions et de nombreuses tables rondes, du musée McCord au Musée de la civilisation.

PHOTO FOURNIE PAR NEVER WAS AVERAGE

La fresque La vie des Noir.e.s compte faisait en 2020 écho au mouvement Black Lives Matter.

D’une boutique à un collectif

Avant de fonder NWA, Harry et Joanna ont eu la boutique indépendante de vêtements 363, rue Beaubien. Une boutique que les deux amateurs de mode ont ouverte avec des idées plein la tête...… qui se sont vite transformées en désillusions. « Nous avons vécu de l’exclusion », raconte Harry en citant un tas d’exemples disgracieux.

« C’était de ne pas être pris sérieux par des fournisseurs, par exemple ?

— Encore pire, répond-il. C’était de sentir qu’on ne veut pas faire affaire avec toi. »

Harry a grandi en se faisant dire que la discrimination le guettait. « Mais tant que tu n’as pas vécu une situation injuste alors que tu veux faire ta place dans la société, ça reste quelque chose d’abstrait. »

Fermer la boutique a été un coup dur, d’autant plus qu’Harry et Joanna étaient devenus des mentors pour des jeunes qui voulaient les imiter.

Mais le sentiment d’échec s’est métamorphosé en révélation. « On voyait qu’il y avait un besoin pour faire partager nos savoirs et nos expériences, et un besoin de représentation et de mentors », raconte Harry.

Mais il fallait aller au-delà de la discussion avec des projets artistiques. « La créativité génère des conversations et rassemble les gens », fait valoir Joanna Chevalier.

NWA a facilité la naissance du collectif d’artistes By Us For Everyone, par exemple.

« C’est important que les artistes soient reconnus par leurs pairs », expose Harry Julmice, en rappelant que les créateurs doivent avoir la chance de se produire ou de s’exposer pour être reconnus.

« Le fait que des artistes aient participé à la murale La vie des Noir.e.s compte, ils ont pu postuler pour des bourses au Conseil des arts », illustre-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR NEVER WAS AVERAGE

Depuis 2020, Never Was Average a des bureaux et un studio au 3étage d’un immeuble de la rue Saint-Hubert, dans Villeray, au nord de la Plaza. C’est le quartier général de sa communauté. On y organise des projections comme on y offre des ateliers de yoga,

Des formations

Depuis plusieurs années, NWA offre également des formations afin de développer des pratiques plus inclusives. Il y a une soif d’apprentissage de la part des entreprises, une soif qui existait moins quand Harry et Joanna avaient leur boutique. « Mais je crois vraiment qu’il faut un accompagnement, fait valoir Harry. Il faut plus que de bonnes intentions : il faut les bons outils pour vraiment traduire des valeurs en actions positives et tangibles. »

« Il y a aussi beaucoup de craintes, observe-t-il. On veut passer à l’action, mais on ne veut pas faire de faux pas. »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Joanna Chevalier et Harry Julmice se considèrent comme des facilitateurs de changement social à travers le pouvoir de la conversation.

Joanna a par ailleurs raconté aux participants au programme de cinéma comment Harry et elle ne se doutaient pas que leur court métrage documentaire Amour is Love, produit modestement en 2017, allait être présenté aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) et même être offert sur ICI Tou.tv.

« Vous êtes tous des créateurs pas comme les autres. Vos histoires sont importantes », a-t-elle insisté.

Consultez le site du programme Des créateurs pas comme les autres