Le film Elvis, de Baz Luhrmann, est peut-être la mégaproduction de ce début d’été. Mais qu’en pensent les vrais connaisseurs ? On a demandé à deux personnificateurs du King de nous donner leurs impressions et leur critique. Conversation avec Elvis Lajoie, 62 ans, et John Carpenter, 33 ans, deux Elvis québécois qui n’ont rien d’Elvis Gratton.

Q. Cassons la glace, messieurs. Vos impressions générales sur le film ?

Elvis Lajoie : J’avais peur d’être déçu. C’est un chef-d’œuvre. Très fidèle à sa vie. Je mets 10 sur 10. C’est les mêmes costumes, les mêmes décors, pour les détails, ils sont allés chercher l’intégrale, ça n’a pas de bon sens. J’ai même reconnu les gilets et les bas qu’il a portés.

John Carpenter : Les images, le jeu d’acteur, chapeau. L’historien que je suis dirait qu’il y avait des petites failles à droite et à gauche. Par exemple, Elvis n’a pas pu chanter Trouble en 1956, puisqu’il l’a enregistrée en 1958. Mais c’était peut-être voulu pour servir le propos du film.

Q. Et Austin Butler dans le rôle du King ? Il s’en sort ?

PHOTO SYLVAIN MAYER, LE NOUVELLISTE, ET FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Elvis Lajoie et John Carpenter (Jean-Philippe Carpentier), personnificateurs d'Elvis,

E.L. : On a remarqué des petits accrocs. Trop exagéré sur des « shakages » ou les sourires, mais c’est minime. Il est particulièrement bon quand il interprète l’Elvis de 1956 jusqu’au comeback de 1968. Après 1970, il y a des petits trucs qu’Elvis ne faisait pas. Mais je trouve qu’il est resté lui-même, j’aime ça.

J.C. : Son jeu d’acteur, chapeau. C’est un rôle extrêmement difficile parce qu’avec Elvis, on est toujours sur une ligne. C’est très facile de tomber dans la clownerie, la parodie. Pas lui. Il a bien compris qui était Elvis Presley.

Q. Ça prend quoi pour être un bon personnificateur du King ?

E.L. : La voix avant tout. Austin Buster fait son possible, même s’il n’a pas exactement la voix. Je préfère ça à une voix trop exagérée.

J.C. : La voix, la gestuelle, une certaine ressemblance physique. Le souci du détail, pour que les gens puissent revivre le spectacle de l’époque. Surtout, éviter l’imitation bas de gamme. Les gars qui faussent, qui n’ont pas un beau look, qui ont des perruques pas avantageuses à la Elvis Gratton, personnellement, je déplore.

Q. C’est un film sur Elvis, mais aussi sur l’emprise de son imprésario, le fameux colonel Parker. C’est le grand méchant de cette histoire.

E.L. : Oui. Le colonel en a fait un roi, mais il l’a brimé dans ses rêves. Il l’a emprisonné, en quelque sorte. Il a abusé de lui financièrement. Il prenait 50 % des recettes. Il n’y a pas un gérant qui fait ça. À l’époque on ne voyait pas ça, mais Elvis ne l’a pas eue facile.

J.C. : C’était une relation tellement nébuleuse. Il y a eu beaucoup de rumeurs. Mais avec ce film, on comprend beaucoup de choses. On peut voir jusqu’où le colonel était prêt à presser le citron. Et pourquoi il pressait le citron : il avait une dette de jeu épouvantable !

Q. Est-ce qu’ils auraient pu avoir du succès l’un sans l’autre, selon vous ?

E.L. : Le colonel a été important pour Elvis. Un gérant qui vendait des bébelles, des jouets, des articles de Noël, ça n’existait pas avant lui. C’était un forain, il avait ça dans l’âme. Il avait une grande gueule, il était capable d’aller chercher des contrats. Mais à un certain moment, Elvis aurait pu se passer de lui.

J.C. : C’était deux hommes qui avaient un seul but : devenir plus grands que nature. Malheureusement, ça les a menés à leur perte... Le problème, c’est qu’à partir du moment où les Beatles sont arrivés, le colonel a été dépassé par ce qui se passait dans le monde de la musique. Après, il a enfermé Elvis dans une cage en or à Las Vegas, alors que la tendance était aux tournées mondiales. Et il a regardé son poulain dépérir.

Q. Dans le film biographique de Baz Luhrmann, le colonel Parker affirme que c’est l’amour du public qui a tué Elvis. Qu’en pensez-vous ?

E.L. : Ce qui l’a tué, c’est les drogues. Il en avait besoin pour tenir ce rythme infernal. Il pouvait faire jusqu’à trois shows par soir. Personne n’est capable de faire ça. Il s’est usé. Quand il est mort, il paraît qu’il avait le corps de quelqu’un de 80 ans. C’était un vieillard.

J.C. : Elvis s’est brûlé, tout simplement. Il était arrivé au bout de ce qu’il était capable de faire. Il n’avait plus de nouveaux défis. Mais il s’est donné jusqu’à la toute fin pour son public. J’espère que les gens vont le voir comme ça après avoir vu le film.

Q. Il y a cette scène, assez forte, où Elvis finit par congédier le colonel. Ça se passe en plein milieu d’un concert à Las Vegas. Authentique ?

E.L. : On s’est posé la question. C’est arrivé qu’Elvis se foute de la gueule du colonel, mais de là à avoir fait une scène sur le stage, je pense pas. Il a peut-être fait une scène, mais pas agressive comme ça. Finir un show comme ça ? On l’aurait su.

J.C. : C’est romancé, disons. Ils se sont vraiment engueulés devant les musiciens, mais c’était après le spectacle. Le public était parti.

Q. Quel est l’héritage d’Elvis aujourd’hui, selon vous ? Encore pertinent ou il appartient à une autre époque ?

E.L. : Son histoire va peut-être s’effacer avec les années, mais sa voix va rester. Sa voix est unique.

J.C. : Il a été le premier à faire un vidéoclip [Jailhouse Rock]. Le premier artiste à faire entrer la musique noire dans le grand public. Si Elvis n’est pas là, les Beatles ne sont pas là. Il a influencé beaucoup de monde. Jusqu’à Céline Dion et Elton John.

Q. Mais qui aime encore Elvis ? Il y a des jeunes dans vos spectacles ?

E.L. : C’est sûr que 70 % du monde qui vient à mes shows sont dans la cinquantaine en montant. Mais j’ai des parents qui amènent leurs jeunes de 15-20 ans. Et je vois souvent des jeunes qui écoutent du Elvis.

J.C. : Moi, je présente surtout l’époque 1954-1957, l’époque très rock’n’roll, limite rockabilly, très sauvage en soi. Je dirais que cette époque-là va beaucoup chercher les nouvelles générations.

Q. Et vous, finalement, est-ce que vous avez un gérant ?

E.L. : J’en ai eu un au début, mais on l’a mis dehors après deux ou trois shows. Il manquait de l’argent dans le pot ! Après, je me suis toujours géré moi-même. C’est beaucoup de travail. Depuis la COVID-19, je donne moins de shows. J’ai 62 ans, j’ai moins la force de tout préparer ça pour monter sur le stage et être en forme.

J.C. : En ce moment, non. J’ai eu quelques agents, mais malheureusement, ça ne s’est pas très bien passé. Depuis le début de la pandémie, je m’occupe de mes choses moi-même. Mais quand on regarde le colonel, je me dis que c’est aussi bien comme ça !