(Paris) Sa première montée des marches, c’était comme cinéphile pour Kung Fu Panda. Quatorze ans après, la déléguée générale de la Semaine de la critique Ava Cahen présente sa première sélection pour cette section parallèle au Festival de Cannes, l’une des plus pointues.

Le premier film de l’acteur Jesse Eisenberg (Mark Zuckerberg dans The Social Network), une plongée noire et mystique à Barbès, des films inclassables venus de Téhéran, de Colombie ou du Royaume-Uni… La liste des onze films retenus pour cette 61e édition, du 18 au 26 mai, a été dévoilée mercredi.

Tous seront projetés dans un modeste espace, à un kilomètre du tapis rouge de l’imposant Palais des Festivals qui accueille le Festival international du cinéma de Cannes, sur la Riviera française.

Ils sont fidèles à l’esprit de défrichage de cette section, qui prend un nouveau départ dans un créneau encombré : la Quinzaine des réalisateurs, qui cherche un successeur à son patron, le quadra Paolo Moretti, programme elle aussi de nombreux premiers longs, et du côté du festival, le délégué général Thierry Frémaux recentre la sélection Un certain regard sur les jeunes talents.

À 35 ans, Ava Cahen, journaliste et autrice, spécialiste notamment de Woody Allen et des séries, dont Game of Thrones, prend les manettes d’une institution qui entend continuer de découvrir des talents, de Ken Loach, Guillermo Del Toro ou Wong Kar Wai au siècle dernier, jusqu’au cinéma ultra-contemporain de Julia Ducournau, venue à la Semaine avec Grave en 2016 et couronnée l’an dernier de la Palme d’or pour son deuxième film, Titane.

La plus jeune sélectionneuse de l’histoire de cette section succède au sexagénaire Charles Tesson, qui a tenu la barre pendant dix ans, et dont elle veut « poursuivre la même ambition », qui passe par une radiographie permanente de la jeune création.

« Très près du sol »

Cette année, les sélectionneurs ont visionné 1100 longs métrages, pour n’en retenir… que 1 % ! « Il faut être très près du sol quand on est cueilleur de jeunes talents », résume Ava Cahen, qui écume avec ses équipes ateliers aux quatre coins du monde et commissions de lecture de scénarios pour dénicher des pépites. La sélection a été conçue « comme une invitation au voyage, à la rêverie, à l’imagination », résume-t-elle.

Dans un monde du cinéma qui peine à laisser toute sa place aux femmes, sa nomination est un signal de plus, le paysage des festivals restant dominé par les hommes, du patron de la Mostra de Venise, Alberto Barbera, 72 ans, au directeur artistique de la Berlinale, Carlo Chatrian, 50 ans, en passant par José Luis Rebordinos (61 ans) à San Sebastian.

La nouvelle déléguée générale a confié la présidence du jury à la cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania, jeune talent à la fois politique et onirique, remarquée avec La belle et la meute (2017), sur les violences sexuelles, et L’homme qui a vendu sa peau (2020), sur l’immigration.

« Il ne faut pas trop intellectualiser les choses », estime Ava Cahen, qui doit son prénom à « l’amour éternel » de ses parents pour l’actrice hollywoodienne Ava Gardner : « Le cinéma, on le vit, on le sent, il passe à travers notre peau et notre corps ».

Élevée dans une famille d’avocats amoureux du 7e art, Ava Cahen a vu Alien en VHS à 3 ans et Pulp Fiction à 10 ans. Elle fera de la critique son métier. Elle est aujourd’hui l’un des piliers du Cercle, l’émission cinéma de la chaîne de télévision française Canal+, d’Une heure en séries sur la radio France Inter, et a lancé FrenchMania, une revue sur le cinéma français.

À l’heure des réseaux sociaux et du streaming à tout va, le métier de critique, né avec les salles obscures, a de l’avenir devant lui, défend-elle : « C’est un travail fondamental de porte-voix vis-à-vis de la jeune génération d’auteurs. Le critique doit mettre en mouvement le spectateur, l’engager à aller au cinéma. C’est d’ailleurs aussi toute la mission de la Semaine de la critique ».

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