On s’attendait à ce que les Oscars offrent plus de punch, mais pas à ce point…

Après une chute dramatique de ses cotes d’écoute – en particulier l’an dernier –, la 94e cérémonie des Oscars semblait jouer son va-tout, dimanche, sur les ondes d’ABC (CTV au Canada). C’est une soirée qui sentait un peu le désespoir. Le « maintenant ou jamais ». Le « ça passe ou ça casse ».

L’Académie a décidé d’y mettre toute la gomme, en direct du Dolby Theatre, en invitant des vedettes de tous les horizons à remettre des prix et en embrassant tout ce que le cinéma a à offrir, du plus pointu au plus populaire. Tout en gérant quelques controverses…

Celle dont on parlera le plus au cours des prochains jours – trop violente pour être arrangée avec le gars des vues – a obligé le télédiffuseur à mettre longuement en sourdine la réplique courroucée de l’acteur Will Smith à une blague de l’humoriste Chris Rock sur la coiffure de sa femme Jada Pinkett Smith.

« J’ai hâte de te voir dans G.I. Jane 2 », a dit Rock avant de présenter un prix – sans rapport avec le couple Smith –, en faisant référence au film de 1997 mettant en vedette Demi Moore (et son coco rasé). Will Smith n’a manifestement pas apprécié la vanne. Il s’est levé de son siège, est monté sur scène et a frappé au visage Chris Rock qui, alors qu’il animait le 88e gala des Oscars, s’était aussi moqué du fait que le couple avait décidé de boycotter la cérémonie.

Jada Pinkett Smith souffrirait d’alopécie, une condition qui provoque la chute des cheveux. « Garde le nom de ma femme hors de ta sale bouche », a-t-on pu lire sur les lèvres de Will Smith (traduction libre de mon cru de « fucking » par « sale »). « Je ne pensais pas que j’allais participer au plus inoubliable des galas des Oscars », a dit Sean Combs, alias P. Diddy, avant de souligner les 50 ans du Parrain, et proposant de jouer aux médiateurs au party des Oscars.

« Richard Williams était un défenseur farouche de sa famille », a déclaré Will Smith, les larmes aux yeux, en allant cueillir son Oscar du meilleur acteur pour son rôle du père des sœurs Venus et Serena Williams, King Richard. « Dans ce métier, on nous apprend qu’il faut encaisser les coups bas. Même quand on nous manque de respect et qu’on dit des choses folles à notre sujet, il faut sourire et faire semblant que tout est correct. »

« Je veux m’excuser à l’Académie et aux autres finalistes, a déclaré Smith. L’art imite la vie. J’ai l’air d’un père fou comme Richard Williams ! »

En effet, il a eu l’air fou. Ce qui ne l’a pas empêché d’être acclamé comme un héros dans la salle du Dolby Theatre, alors qu’il venait de commettre des voies de fait en direct à la télévision. Et vive la banalisation de la masculinité toxique ! La vraie, pas celle jouée à l’écran par le meilleur acteur finaliste cette année (Benedict Cumberbatch dans The Power of the Dog). Ils sont fous, ces Américains…

La soirée avait du reste commencé sur les chapeaux de roue autour de King Richard, avec les sœurs Serena et Venus Williams présentant Beyoncé Knowles, qui a chanté Be Alive, pièce tirée du film, depuis le quartier de Compton, à Los Angeles, où les championnes de tennis ont grandi et où ce long métrage complaisant sur leur père, produit notamment par Will Smith et Jada Pinkett Smith, est campé.

Beyoncé, impériale comme toujours, était accompagnée d’une section de cuivres et de danseuses habillées en jaune « balle de tennis ». C’était comme si le spectacle de la mi-temps du Super Bowl avait été présenté dès le coup d’envoi du match. Et qu’un jeu controversé avait meublé toutes les conversations jusqu’au sifflet final…

« Après des années sans films sur des femmes, on a enfin eu la chance d’avoir un film sur… le père des sœurs Williams ! », a dit Amy Schumer, très comique, pendant le numéro de stand-up qui a suivi la prestation de Beyoncé, en compagnie de ses deux coanimatrices, Regina Hall et Wanda Sykes.

« J’étais en coulisse en train d’enlever mon costume de Spider-Man. Ai-je raté quelque chose ? », a dit Amy Shumer, peu après l’incident entre Will Smith et Chris Rock. L’humoriste, lorsqu’elle s’est ensuite retrouvée seule à l’animation, a été juste assez grinçante (bien davantage que Chris Rock…), dans la tradition d’Amy Poehler, Tina Fey et Ricky Gervais aux Golden Globes. Elle a notamment parlé de l’engagement écologiste de Leonardo DiCaprio, star de Don’t Look Up !, et de sa réputation de fréquenter en série des femmes dans la vingtaine : « Il veut léguer une planète plus verte… pour ses copines. »

Le numéro de la célibataire Regina Hall se cherchant un amoureux était lui aussi plutôt comique, même s’il s’en trouvera sans doute pour dire que si les rôles étaient inversés, on parlerait d’objectification du corps. Or voilà, les rôles ne sont pas inversés. On se serait passé en revanche de la visite guidée trop longue de Wanda Sykes au musée des Oscars. Même si les animatrices, de façon générale, ont laissé la lumière aux présentateurs et aux lauréats.

Le gala, s’il est toujours trop long à plus de 3 h 30 min, a été assez rondement mené, les remerciements pour la plupart inspirés… et courts (on prend des notes au Québec). Sauf pour les producteurs français de CODA, lauréat de l’Oscar du meilleur film – il n’en méritait pas tant – qui, en toute fin de cérémonie, ont dû croire qu’ils étaient aux Césars tellement ils s’éparpillaient.

Parmi les discours les plus émouvants, il y a eu ceux, en début de soirée, de la lauréate de l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle, Ariana DeBose, l’Anita de West Side Story, qui n’a évidemment pas manqué de souligner le prix remis à Rita Moreno pour le même rôle en 1962.

« Je suis une femme de couleur, latino et queer, qui a trouvé sa force dans la vie grâce à l’art, a-t-elle déclaré. C’est ce que nous célébrons ici. Alors, si vous avez déjà douté de votre identité, si vous vous trouvez à vivre en zone grise, je vous promets qu’il y a une place pour nous ! »

« C’est notre moment », a de son côté déclaré Troy Kotsur, Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour CODA, qui a livré ses remerciements en langue des signes. La scénariste et cinéaste de CODA, Sian Heder, était accompagnée sur scène par une interprète de la langue des signes.

Ce gala était décidément placé sous le signe de la diversité, comme l’a souligné John Leguizamo, en rappelant que le modèle de la fameuse statuette dorée était un acteur mexicain, Emilio Fernandez.

Les numéros musicaux, moins spectaculaires que la mise en scène en plein air de Beyoncé, étaient sobres et plutôt réussis, avec une mention spéciale à Billie Eilish et son frère Finneas pour la chanson-thème du plus récente James Bond, No Time To Die. Cela dit, aucune des chansons en lice ne marquera l’histoire…

Les organisateurs ont fait un effort particulier, manifeste (et désespéré ?) pour attirer un public plus jeune grâce à des présentateurs tels que le chanteur Shawn Mendes et le boys band sud-coréen BTS. Seule interprétation possible : les jeunes ne sont plus au poste.

L’an dernier, le gala n’a retenu que dix millions de téléspectateurs – dont seulement deux millions d’auditeurs âgés entre 18 et 49 ans – alors que les Oscars étaient présentés à la Union Station de Los Angeles sans maître de cérémonie. Les cotes d’écoute du gala étaient de près de 40 millions il y a 10 ans (avec 11 millions de téléspectateurs âgés entre 18 et 49 ans).

Une autre controverse, du moins pour les plus cinéphiles, était l’absence en direct de la remise de huit prix, dont quatre pour Dune, de Denis Villeneuve, décernés peu avant la cérémonie télévisée. Le téléspectateur moyen n’y aura vu que du feu. Les remerciements des lauréats ont été montés et intégrés à la soirée de manière quasi imperceptible.

Denis Villeneuve n’était pas finaliste à l’Oscar du meilleur réalisateur, mais il a été remercié par tous ses collaborateurs. « Merci du fond du cœur », ont dit en français le monteur de Dune (et de tous les films récents de Villeneuve), Joe Walker, ainsi que l’un des lauréats de l’Oscar du meilleur son. « Denis est un maître », a quant à lui dit le lauréat de l’Oscar de la meilleure direction photo, Greig Fraser. « Merci, Denis, de nous permettre de rêver », a déclaré Patrice Vermette, qui a regardé le ciel en remerciant son ami, le regretté Jean-Marc Vallée.

Les Oscars ont souligné les anniversaires de James Bond (60 ans), The Godfather (50 ans), Pulp Fiction (28 ans ?), Juno (15 ans) ou encore White Men Can’t Jump (25 ans). Tous les prétextes sont bons pour jouer la corde de la nostalgie et réunir des acteurs qui ne se sont pas côtoyés depuis un moment.

« Viva Ukraine ! », a déclaré Francis Ford Coppola en allant saluer le public à l’occasion des 50 ans du Parrain. L’actrice Mila Kunis, qui est née en Ukraine, a évoqué en des termes sibyllins le conflit, et un moment de silence a été observé pour les victimes du conflit. Mais on aura finalement moins évoqué la guerre en Ukraine que le conflit entre Will Smith et Chris Rock…