(Los Angeles) Au début de la course, personne ne plaçait CODA parmi les favoris pour remporter le plus grand honneur hollywoodien. Comment expliquer ce spectaculaire revirement de situation ? Essayons d’y voir clair.

Oui, ils sont beaux à voir. Chaque trophée glané par les artisans de CODA au cours de la saison des récompenses était accompagné d’un sentiment de fierté, avec cette conscience d’avoir la responsabilité de bien représenter la communauté malentendante sur les plus belles tribunes du monde. On ne peut faire autrement que d’être touché par cette joie sincère et communicative. Être enfin vu, reconnu, et recevoir le plus grand honneur qui soit lors de la plus importante soirée hollywoodienne de l’année procure forcément un moment d’exaltation incomparable.

Mais CODA, plus bel accomplissement cinématographique de 2021 ? Vraiment ? Plus grand que The Power of the Dog et sa poésie visuelle ? Plus vibrant que West Side Story et sa mise en scène inspirée ? Et plus virtuose que Dune, ce pari d’adaptation quasi impossible, relevé avec brio par Denis Villeneuve ? C’est un peu là que ça accroche quand on y pense…

Quand le vent tourne…

En principe, la soirée des Oscars célèbre ce qu’il y a de meilleur dans l’industrie du cinéma. Les membres votants, tous des professionnels qui travaillent dans le domaine, sont justement à même de reconnaître ce qui constitue un accomplissement exceptionnel dans la pratique de l’art cinématographique.

Il arrive pourtant, parfois, que l’émotion l’emporte sur le mérite. Il arrive aussi, parfois, qu’un sentiment de lassitude fasse subitement tourner le vent dans une autre direction quand un long métrage désigné favori obtient pratiquement tous les lauriers depuis le début du mois de janvier. Comme si les membres votants, qui sont les tout derniers à se prononcer à la fin d’un processus trop long, estimaient inconsciemment qu’il serait temps qu’une autre production ait également droit à son grand moment de gloire. C’est arrivé en 2006 avec Crash (devant Brokeback Mountain), en 2013 avec Argo (devant Lincoln), en 2017 avec Moonlight (devant La La Land), en 2019 avec Green Book (devant Roma), et en 2020 avec Parasite (devant 1917).

Dans le cas de CODA, premier lauréat de l’Oscar du meilleur film à avoir été lancé au festival de Sundance (où il avait tout raflé), il faut ajouter un autre élément : les circonstances. Déposé dans une relative indifférence sur la plateforme Apple TV+au mois d’août, ce remake américain de La famille Bélier, écrit et réalisé par Siân Heder, fait partie de ces œuvres qui réconfortent et « qui font du bien ». En cette époque où, en plus d’une pandémie interminable, une guerre fait rage dans un pays européen, il est à peu près certain que ce facteur a joué. La communauté du cinéma a préféré diriger son affection vers une histoire consensuelle, qui redonne foi en l’humain.

Aux alentours du Dolby Theatre, nombre d’observateurs faisaient d’ailleurs valoir les avantages du système préférentiel pour les productions plus modestes comme CODA. L’Oscar du meilleur film – et seulement celui-là – est en effet déterminé par les bulletins sur lesquels les votants doivent classer les 10 films en lice selon leur ordre de préférence, ce qui signifie qu’un film qui plaît bien à tout le monde peut quand même se faufiler vers une victoire. The Power of the Dog a sans doute recueilli beaucoup de premières positions, mais a aussi pu être mal classé par ceux qui n’ont pas été aussi enthousiasmés.

Un concours de popularité

Le fait que CODA ait été cité seulement trois fois au cours de la cérémonie, remportant les trois statuettes dorées pour lesquelles il était en lice (film, scénario adapté et acteur dans un rôle de soutien – Troy Kotsur), indique très bien l’évolution du vote. De nombreux membres de l’Académie ont sans doute découvert CODA après le dévoilement de la liste des finalistes. Ils ont regardé ce « petit film » qu’ils n’avaient pas eu le temps de voir encore, ont été touchés et lui ont accordé leur appui.

Le fait que les votants – ils sont maintenant plus de 9000 – ont accès à une plateforme où sont regroupées toutes les productions retenues, sans obligation de les regarder dans une salle, amène aussi une interrogation. Il y a en effet lieu de se demander si CODA n’aurait pas été avantagé par un format passant beaucoup mieux sur un écran de télé que des productions comme The Power of the Dog ou Dune, lesquelles s’apprécient d’abord et avant tout sur grand écran.

À l’instar d’Army of the Dead, lauréat de l’Oscar du film le plus populaire grâce un scrutin organisé sur les réseaux sociaux, CODA a finalement remporté un concours de popularité auprès des membres de l’Académie. Aussi heureux soit-on pour ses artisans, CODA ne passera pourtant pas à l’histoire pour ses qualités cinématographiques. L’Académie serait-elle en train de perdre de vue sa mission première, qui est de récompenser l’excellence ? La question mérite d’être posée.