(Berlin) Le palmarès de la 72Berlinale sera dévoilé ce mercredi, six jours à peine après l’ouverture du festival. Il est toujours improbable de faire des pronostics dans les festivals, mais alors que s’apprête à prendre fin une édition aussi particulière, tenue dans des conditions inédites, l’exercice, cette fois, est pratiquement impossible à faire.

Depuis des années, la Berlinale s’étire sur une dizaine de jours au beau milieu du mois de février. Quand la vague Omicron a submergé le monde il y a trois mois, les organisateurs ont tenu à sauver les meubles en tenant néanmoins le festival en présentiel, dans les conditions les plus normales possibles, mais en version réduite. D’où, ce mercredi, la dernière journée, déjà, d’un évènement qui se poursuivra quand même jusqu’à dimanche pour les cinéphiles berlinois.

Le jury, présidé par le cinéaste américain M. Night Shyamalan, a vu les 18 longs métrages en lice pour l’Ours d’or en peu de temps, probablement à raison de 3 par jour. À quoi ressemblera son tableau d’honneur ? Personne ne sait. D’abord, il faut savoir qu’à Berlin, on célèbre souvent des propositions de cinéma très fortes, plus originales que consensuelles. L’an dernier, l’Ours d’or a été attribué au décapant film du Roumain Radu Jude, Bad Luck Banging or Loony Porn (rebaptisé Mauvaise baise ou porno barjo pour le Québec !).

PHOTO JOHN MACDOUGALL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Denis Côté (ici avec Larissa Corriveau) peut-il prétendre aux plus grands honneurs ? Selon le critique du Guardian, il n’est pas impossible qu’Un été comme ça obtienne la récompense suprême.

Est-ce à dire que Denis Côté pourrait décrocher les plus grands honneurs grâce à Un été comme ça ? Dans sa critique trois étoiles publiée par le journal britannique The Guardian, Peter Bradshaw affirme que cela ne serait pas impossible, compte tenu de ce que l’histoire de la Berlinale nous a appris. « Les jurys à Berlin ont un intérêt pour les œuvres conflictuelles et la transgression. Mon intuition est que ce film pourrait bien gagner le grand prix. »

Aucune rumeur substantielle

Mis à part cette « intuition » du journaliste, pratiquement aucune rumeur substantielle n’a circulé. Plusieurs raisons expliquent cette absence de buzz. Dans tous les grands festivals, Cannes, Venise, Toronto et quelques autres, les festivaliers se précipitent habituellement sur les éditions quotidiennes spéciales que publient les journaux spécialisés (Variety, The Hollywood Reporter, Screen, Le Film français notamment). Avec, souvent, ces fameuses grilles où sont recensées les humeurs des journalistes internationaux. Or, il n’y a rien de tout ça à Berlin cette année.

Les restrictions sanitaires étant très strictes (tests antigéniques quotidiens pour professionnels et journalistes adéquatement vaccinés, port du masque FFP2 – l’équivalent du N95 en Europe – en tout temps dans les endroits intérieurs), nombre de festivaliers réduisent leurs contacts au strict minimum, avec, pour résultat, que les conversations entre collègues se font plus rares, ou alors, très brèves. Difficile, dans ces circonstances, d’avoir une idée générale des goûts et des couleurs. Même en temps normal à Berlin, les projections destinées à la presse suscitent rarement des réactions. Alors qu’à Cannes, applaudissements et huées, souvent les deux à la fois, sont monnaie courante. On ne trouve ainsi aucun indice de ce côté non plus.

L’avantage de cette absence de buzz ? Le dévoilement de ce palmarès constituera une surprise totale, tant pour les festivaliers que pour les artisans.

Paolo Taviani en solo

PHOTO STEFANIE LOOS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Paolo Taviani était présent à la conférence de presse tenue en marge de la présentation, en compétition officielle, de Leonora addio, un film qu’il signe seul pour la toute première fois.

Les cinéphiles des années 1970 et 1980 ont gardé en mémoire les films des frères Vittorio et Paolo Taviani, célèbre tandem dont les œuvres ont été célébrées dans les plus grands festivals de cinéma. En 1977, Padre Padrone a valu aux cinéastes la Palme d’or du Festival de Cannes. Cinq ans plus tard, le Grand Prix du jury a été attribué à La nuit de San Lorenzo. Leur palmarès à Berlin est tout aussi reluisant, décrochant même l’Ours d’or en 2012 grâce à César doit mourir.

Il y a maintenant presque quatre ans, Vittorio, l’aîné, s’est éteint. Paolo, 90 ans bien sonnés, est venu présenter mardi à la Berlinale le premier film qu’il a tourné en solo, qu’il dédie évidemment à son frangin disparu. Leonora addio, en lice pour l’Ours d’or, est une chronique construite autour de Luigi Pirandello, célèbre auteur ayant inspiré aux cinéastes Kaos, contes siciliens (1984) et Kaos II (1998).

PHOTO FOURNIE PAR LA BERLINALE

Fabrizio Ferracane dans Leonora addio, un film de Paolo Taviani

La première partie, tournée en noir et blanc, emprunte la forme d’un road movie funéraire, alors qu’en cette année 1936, les cendres de Pirandello doivent être transportées de Rome en Sicile pour y être enterrées. Cette évocation de l’époque du cinéma néo-réaliste italien est truffée de quelques clins d’œil et rappelle à quel point les Taviani se sont intéressés aux histoires de leurs contemporains. La deuxième partie, en couleur cette fois, est une adaptation d’une étrange nouvelle que Pirandello a écrite peu de temps avant sa mort.

La structure même de Leonora addio en fait d’office un film un peu bancal, mais l’on ne peut que s’émouvoir devant cette offrande inattendue, livrée par l’un des plus importants artisans du cinéma italien.