Des artisans du cinéma québécois étaient sous le choc, vendredi. Qu’une personne meure atteinte par une balle sur un plateau de tournage leur paraît impensable.

La mort de la directrice de la photographie du western Rust, tuée accidentellement sur le plateau de tournage du film par un tir de l’acteur américain Alec Baldwin, a créé une onde de choc dans le milieu cinématographique québécois.

« J’ai lu ça [jeudi soir] très tard et je ne pensais pas que c’était vrai », dit le directeur artistique André Chamberland, en entrevue avec La Presse. Il a notamment travaillé sur le plateau de Beans, long métrage dont l’histoire se déroule en pleine crise d’Oka. « C’est un choc, c’est sûr », poursuit-il.

Les armes sur un plateau de tournage ne sont jamais chargées. Des munitions à blanc, soit des cartouches vides, sont plutôt utilisées.

PHOTO ROBERT VROOM, FOURNIE PAR ANDRÉ CHAMBERLAND

André Chamberland

Ce n’est jamais arrivé qu’une vraie balle se rende sur un plateau, c’est impossible.

André Chamberland

« La seule chose qu’on peut faire [c’est utiliser] des fusils à air qui lancent des billes. Et ça, ce n’est pas le comédien qui va le faire, c’est [une personne spécialisée dans les] effets spéciaux », précise le directeur artistique, qui a aussi travaillé sur la production de la série policière Victor Lessard.

Protocoles et façons de faire

La manipulation de toute arme qui n’est pas une réplique est confiée à un armurier. André Chamberland a engagé celui qui a travaillé sur le plateau de Beans.

IMAGE FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Kiawentiio et Rainbow Dickerson dans Beans, de Tracey Deer

L’armurier est responsable des armes. En plus de les superviser, le professionnel forme les acteurs sur l’utilisation des armes et leur apprend les méthodes de tir.

« Quand il y a un meeting où l’on présente les armes, l’armurier est là, et il n’y a personne qui touche aux armes », dit M. Chamberland. Il est également interdit de pointer une arme, même si elle n’est pas chargée, vers qui que ce soit en dehors du moment où une scène qui le requiert est filmée.

« Jamais je n’ai pensé qu’il pourrait arriver quelque chose », insiste M. Chamberland.

Une responsabilité légale et morale

Andrew Campbell, armurier depuis 32 ans, s’explique mal comment le drame impliquant Alec Baldwin a pu se produire. Il travaille sur les plateaux de 80 à 120 films par an. Il a notamment été embauché sur le plateau de Polytechnique, qu’a réalisé Denis Villeneuve.

« Il y a une responsabilité légale pour les armes sur un plateau. C’est moi, comme armurier, qui suis responsable de toutes les armes vides sur un plateau », explique M. Campbell.

C’est obligatoire pour nous d’arriver sur un plateau avec des armes sécurisées.

Andrew Campbell, armurier

Au Québec, un permis spécifique est requis pour qu’un armurier puisse exercer sa profession. Le professionnel est aussi assujetti à des vérifications annuelles, précise M. Campbell.

L’Alliance québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son (AQTIS) exige également qu’un armurier ait suivi une formation sur la responsabilité criminelle en matière de santé et sécurité au travail, et une formation de secouriste, entre autres.

Selon Andrew Campbell, son emploi implique une responsabilité morale. Chaque personne doit se sentir en sécurité.

IMAGE TIRÉE D'IMDB

Maxim Gaudette dans Polytechnique, de Denis Villeneuve

La journée où la scène de l’attentat dans Polytechnique a été filmée, M. Campbell a réuni toutes les comédiennes et a donné des roses blanches à chacune d’elles, raconte-t-il à La Presse. « Je suis votre protecteur sur le plateau aujourd’hui. Je garantis que votre peur [n’a pas à être réelle], mais que c’est du acting [du jeu] », leur a-t-il dit.

M. Baldwin [va demeurer] pour le reste de sa vie avec [le souvenir] qu’il a tué une personne, même si ce n’est pas de sa faute. C’est énorme [comme] responsabilité.

Andrew Campbell, armurier

Alors, comment explique-t-il qu’un tel drame soit survenu chez nos voisins du Sud ? L’armurier estime que l’encadrement des armes et de la profession d’armurier est « plus relax » aux États-Unis. Il est possible qu’un accessoiriste soit armurier occasionnellement, ou qu’une personne qui possède un magasin d’armes occupe cette fonction sur un plateau. Une pratique qui n’est pas sécuritaire, selon M. Campbell.

« Pour les films, certaines armes demandent que l’on fasse des modifications pour tirer des balles à blanc, qui n’existent pas pour les vraies armes », précise l’armurier, qui a travaillé sur des plateaux américains.

L’AQTIS n’a pas été en mesure de commenter cette situation vendredi.