Alors que la Mostra de Venise s’est déroulée dans toute la splendeur d’une édition quasi « normale », le Festival international du film de Toronto (TIFF) s’est tenu dans une ambiance beaucoup plus feutrée, en formule hybride. La pâleur apparente de l’évènement torontois est-elle seulement attribuable à l’interminable pandémie ou signale-t-elle plutôt un mouvement plus profond sur l’échiquier des grands festivals de cinéma de l’automne ? Marc-André Lussier s’est rendu dans la Cité des Doges. Marc Cassivi a séjourné dans la Ville Reine. Ils en discutent.

Marc Cassivi : Pour qui est habitué à se rendre au TIFF, ça semblait bien triste cette année. Pas de kiosques, pas de tapis rouge extérieur, pas de spectateurs curieux autour du Bell Lightbox. La rue King n’était pas fermée à la circulation, comme d’habitude. C’était très sobre. Le contraire d’une ambiance de fête. Il fallait vraiment savoir qu’il y avait un festival. Je comprends les organisateurs de vouloir être prudents vis-à-vis de la COVID-19, mais il y a des impacts. Moins de primeurs, moins d’invités, moins d’entrevues et de conférences de presse, moins de buzz. Et on ne peut s’empêcher de se demander s’il y aura des conséquences à long terme.

Marc-André Lussier : À Venise, c’était tout le contraire. Même si les badauds étaient tenus à distance, ils se sont quand même présentés nombreux pour tenter d’apercevoir les nombreuses vedettes qui s’y étaient donné rendez-vous. Le contraste entre ce qui s’est passé à la Mostra et au TIFF est vraiment frappant. Un seul exemple : 10 – oui, 10 ! – vedettes de Dune ont accompagné Denis Villeneuve pour la première mondiale de son film à la Sala Grande, alors que seule Rebecca Ferguson était au côté du cinéaste québécois à Toronto pour la présentation spéciale du film en IMAX. Il n’y a pas si longtemps, pareille chose aurait été impensable. On peut bien entendu mettre ça sur le compte de la pandémie, même si, précisons-le, les exigences sanitaires à Venise étaient aussi rigoureuses qu’à Toronto. J’ai cependant l’impression que le malaise est plus profond et que la pandémie n’a fait que l’accentuer.

PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE

À Toronto, Rebecca Ferguson a accompagné Denis Villeneuve pour la présentation de Dune en IMAX

M. C. : La pandémie est mondiale. À Cannes et à Venise, il fallait être sur place pour voir les films. La formule hybride a certainement nui à l’attrait de Toronto, avec des journalistes et gens de l’industrie qui ont préféré regarder les films chez eux. Encourager les gens à rester à la maison pendant la pandémie est louable. Mais le résultat, pour un festival comme le TIFF, c’est une édition en demi-teinte, forcément. À Venise et à Cannes, même à Telluride, on sentait qu’il y avait un évènement. On ne le ressentait pas à Toronto.

M-A. L. : Et cela a pour conséquence de confirmer une certaine tendance que l’on constate depuis quelques années : la Mostra est en train de damer le pion au TIFF. En plus d’avoir l’avantage du calendrier – il se déroule une semaine avant l’évènement torontois –, le festival de Venise a repris tout son lustre et attire désormais en primeur les plus belles pointures du cinéma mondial, y compris les grandes productions hollywoodiennes. Ce changement de paradigme, je le sens depuis 2014, l’année où, de façon plutôt arrogante, la direction du TIFF a posé un ultimatum aux producteurs et aux distributeurs en leur imposant une nouvelle règle pour tenter de contrecarrer l’appétit du festival de Telluride. Pour avoir droit à une présentation au TIFF pendant le premier week-end – le seul qui compte dans ce festival que tous les journalistes et professionnels quittent au bout de cinq jours –, le film devait leur être offert en primeur mondiale ou nord-américaine. Se pourrait-il que cette directive se soit retournée contre le TIFF et qu’on assiste à un lent déclin depuis ?

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Alors que la Mostra de Venise a tenu une édition quasi « normale », le Festival international du film de Toronto (TIFF) s’est déroulé en formule hybride, dans une ambiance beaucoup plus feutrée.

M. C. : C’est fort possible. Le TIFF a manifestement fait le pari cette année de la diversité et de la mise en valeur des réalisatrices. Tout ça est nécessaire. Et ça fait du bien de voir qu’un festival de cette envergure bouge en ce sens. Mais est-ce que c’est possible d’évoluer sans renier ce qui a fait son prestige ? Le TIFF était la rampe de lancement des Oscars. C’était le festival attitré d’Hollywood, qui s’y sentait plus en contrôle qu’ailleurs : il n’y a pas de compétition suivie scrupuleusement par toute la presse internationale, le public a le dernier mot sur le prix le plus important, etc. Est-ce toujours le cas ? Même les « films à Oscars » présentés au TIFF ont eu cette année leur première mondiale ailleurs. Dune et The Power of the Dog de Jane Campion à Venise. Belfast à Telluride alors que le film de Kenneth Branagh devait d’abord être présenté à Toronto. Le TIFF ressemblait au Festival of Festivals qu’il était au départ, avec le meilleur des autres manifestations. C’est bien pour le public, mais c’est beaucoup moins intéressant pour les médias, non ?

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Malgré des règles sanitaires très strictes, la Mostra de Venise a tenu à garder son caractère évènementiel. Même Jennifer Lopez et Ben Affleck n’ont pas voulu rater le rendez-vous !

M-A. L. : Sans oublier Spencer, lancé aussi à Venise, qui devrait en principe valoir à Kristen Stewart d’être citée aux Oscars. Le TIFF garde l’avantage d’être aussi doté d’un marché du film très important, ce que Venise n’a pas. Il reste ainsi un rendez-vous incontournable pour les professionnels du cinéma. À mes yeux, et je l’ai toujours dit, le TIFF, dans sa formule même, relève davantage d’un marché du film luxueux que d’un festival de cinéma. Et qu’à défaut d’une compétition digne de Cannes, Berlin ou Venise, il ne pourra jamais s’inscrire dans l’imaginaire des cinéphiles de la même façon que les autres. Alors, oui, il reste obligatoire pour les gens de l’industrie – tous les films y sont – et très attrayant pour le public, qui a l’embarras du choix, mais, honnêtement, moins pour les médias. L’un des signes les plus probants est l’absence de conférences de presse avec les artisans des films les plus en vue – cette réduction remonte à l’époque prépandémique – alors qu’il y a quelques années à peine, il fallait jouer du coude pour assister aux conférences de presse les plus courues.

M. C. : Je me souviens d’une époque, pas si lointaine, où des conférences de presse très attendues se chevauchaient, dans deux endroits différents. C’était un autre genre de casse-tête. Ce festival, que je fréquente depuis 1999, n’a jamais été très invitant pour les médias. C’est un grand marché, comme tu dis, et un énorme « junket » où on fait des entrevues à la chaîne. Ce n’était pas ça cette année. Je me demande, dans un calendrier des festivals congestionné, si le TIFF retrouvera son lustre prépandémique. Tout ça est bien fragile. On n’a qu’à penser au FFM. Il ne faudrait pas que le « Big Four » redevienne le « Big Three ». Et je ne parle pas de Pointu, de Big Bird et du Sénateur (vous irez « googler » ça, les jeunes), mais bien de Cannes, de Venise et de Berlin.

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Jessica Chastain fait partie des rares vedettes qui se sont rendues à Toronto après avoir séjourné à Venise.

M-A. L : Le festival de New York, qui a lieu à la fin du mois, ne fait pas partie des ligues majeures comme ceux du carré d’as, mais il n’est pas en reste non plus sur le plan des primeurs. Venise, Telluride, Toronto et New York en moins d’un mois, ça commence à faire bien du monde qui s’arrache les mêmes films. Le TIFF ne deviendra pas moribond dès demain matin, mais, à mon humble avis, il aura du mal à retrouver un lustre qu'il commençait déjà à perdre un peu avant cette interminable pandémie. Il pourra toutefois s’encourager en se rappelant qu’au cours de sa longue histoire, la Mostra de Venise a aussi connu des années plus sombres avant de redevenir le plus beau festival de l’automne.

78

Créée en 1932, la Mostra de Venise (Mostra internazionale d'arte cinematografica di Venezia) est le plus ancien festival international de cinéma du monde. Elle a tenu cette année sa 78e édition sans aucun volet virtuel.

46

Créé en 1976, le Festival international du film de Toronto (Toronto International Film Festival - TIFF), connu sous le nom Festival of Festivals jusqu’en 1994, a tenu cette année sa 46e édition dans une forme hybride.