(Toronto) Qui devrait raconter l’histoire du célèbre pianiste de jazz Oscar Peterson, musicien noir né dans le quartier de la Petite-Bourgogne, à Montréal ?

C’est cette question délicate, aux frontières de l’appropriation, que le cinéaste canadien Barry Avrich, juif blanc, s’est posée au tout début de la production de son documentaire Oscar Peterson : Black + White, qui sera présenté en avant-première, dimanche, au Festival international du film de Toronto.

Le documentaire retrace les hauts, exceptionnels, et les bas, parfois dévastateurs, de l’un des musiciens noirs canadiens les plus aimés au pays. Le documentaire évoque ses humbles débuts dans un quartier défavorisé du sud-ouest de Montréal, son héritage dans le paysage musical mondial et le racisme auquel il a été confronté lors de ses tournées en début de carrière.

Barry Avrich a beau avoir grandi lui aussi à Montréal, non loin d’ailleurs de l’endroit où Oscar Peterson a vécu, il était parfaitement conscient que certains pourraient être moins à l’aise avec l’idée qu’un juif blanc réalise un documentaire sur un artiste noir.

« J’ai compris le fardeau que j’avais : qui suis-je pour raconter son histoire ? », a expliqué Avrich dans une récente entrevue. Déjà réalisateur de dizaines de documentaires canadiens, dont plusieurs sur des artistes tels Howie Mandel et le producteur David Foster, Avrich compte parmi les cinéastes les plus actifs au pays.

Pour éviter que son implication dans le documentaire détourne l’attention du film lui-même, il s’est efforcé de donner au défunt musicien le plus de place possible pour raconter lui-même son histoire. Car Oscar Peterson, décédé d’une insuffisance rénale en 2007 à l’âge de 82 ans, a laissé derrière lui des heures et des heures d’entrevues et de performances sur vidéo.

« Nous avons parcouru le monde entier, retraçant son histoire à partir d’entretiens à Copenhague, Stockholm, Tokyo, Berlin, et au Canada », a déclaré Avrich. « C’est donc devenu l’histoire d’Oscar Peterson dans ses propres mots, pas les miens. »

Sa veuve collabore

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Kelly Peterson, veuve d’Oscar Peterson

Lorsqu’une bonne partie de cette recherche a été achevée, Avrich a approché la veuve du musicien, Kelly Peterson, pour lui expliquer son approche. Mme Peterson a alors commencé à suivre le développement du documentaire et a parlé au réalisateur de certaines personnes qu’il pourrait interviewer — elle est même devenue officiellement « productrice conseil » sur le film.

« Ce sera intéressant pour moi de voir si les gens pensent, en fait, que cela dessert Oscar — parce que ce n’est pas le cas », a déclaré Kelly Peterson, qui est blanche. « Je pense que Barry a très bien raconté l’histoire d’Oscar dans les mots d’Oscar. »

Avrich a déniché de nouvelles conversations avec des musiciens qui ont accompagné Peterson sur scène et des anecdotes d’autres artistes célèbres, dont Herbie Hancock, Quincy Jones et, étonnamment, Billy Joel, qui se considère comme profondément influencé par le style jazz de Peterson. Le film consacre aussi beaucoup de temps à Hymn to Freedom de Peterson (1962), qui a beaucoup été repris par le mouvement des droits civiques à cette époque.

Oscar Peterson : Black + White a été bouclé en quelques mois. Avrich a obtenu le feu vert de Randy Lennox, alors président de Bell Média, il y a un an seulement et les caméras ont commencé à tourner en février dernier. « Le film a été réalisé aussi vite qu’Oscar a joué sa propre musique », souligne Avrich.

Dans la salle de montage, le documentariste s’est efforcé de reproduire « le rythme d’un train de marchandises » en suivant la progression de Peterson et en intégrant des numéros musicaux avec une énergie cinétique qui ralentit rarement.

De temps en temps, par contre, le rythme s’apaise pour digérer les expériences les plus douloureuses de cette carrière, notamment le racisme dont Peterson a été victime lors de ses tournées dans le sud des États-Unis.