Notre envoyé spécial sur la Croisette fait un compte rendu des dernières nouvelles du Festival de Cannes.

Nitram, de Justin Kurzel

Dans la tête d’un tueur

Six ans après Macbeth, Justin Kurzel effectue un retour en compétition en proposant un film d’un genre complètement différent. Pour Nitram, mot en forme de miroir de Martin (le prénom du protagoniste), le cinéaste australien s’est inspiré d’une tragédie survenue en Tasmanie en 1996 – 35 personnes ont été tuées et 23 ont été blessées lors d’une fusillade – pour amener une réflexion sur le port d’armes. Un peu comme l’a fait Gus Van Sant avec Elephant, le réalisateur d’Assassin’s Creed s’intéresse aux circonstances ayant pu mener à un tel drame en suivant le parcours psychologique de l’auteur, plutôt que de décrire les détails violents de l’évènement. Fils unique, Nitram vit avec ses parents dans un climat de solitude et de frustration. En proie à des crises pouvant surgir à la moindre contrariété, le jeune homme tente d’offrir ses services au voisinage pour effectuer de menus travaux, jusqu’à ce qu’il tombe sur Helen (Essie Davis), femme mûre, seule, qui le prend sous son aile. Kurzel suit ainsi l’inéluctable destin d’un garçon dont la maladie est exacerbée par un sentiment de rejet. L’acteur américain Caleb Landry Jones campe l’assassin de façon remarquable, appuyé par deux vétérans qu’il fait bon revoir : Judy Davis et Anthony Lapaglia. Plaidoyer pour un resserrement des lois envers ceux qui veulent acquérir des armes et les porter, Nitram propose un portrait qui glace le sang par moments (même si tout est prévisible), et qui se distingue aussi par la qualité des interprètes.

Les intranquilles, de Joachim Lafosse

Un regard juste sur la bipolarité

Joachim Lafosse a réalisé d’excellents drames comme Nue propriété, Élève libre, À perdre la raison ou L’économie du couple. Trois ans après s’être égaré en terre étrangère à la faveur de Continuer, le cinéaste belge est rentré au pays pour réaliser ce qu’il sait faire de mieux : un drame intimiste dans lequel un malaise s’installe. Les intranquilles relate ainsi la vie d’un couple qui s’aime, dans lequel vient s’immiscer un trouble bipolaire non traité. L’engagement amoureux de Leïla (Leïla Bekhti) est ainsi mis à rude épreuve quand Damien (Damien Bonnard), dont on comprend qu’il a récemment séjourné à l’hôpital, devient jour et nuit une increvable dynamo qui impose aux siens son trop-plein d’énergie, de même que les risques qu’il ne mesure plus, notamment auprès de son jeune fils (Gabriel Merz Chammah). Pour élaborer son récit, Joachim Lafosse s’est inspiré de son père, photographe et aussi maniacodépressif. Il a fait de Damien un peintre, histoire d’utiliser les talents véritables de Damien Bonnard à cet égard, mais on doit probablement à l’expérience que le cinéaste a vécue avec son père la justesse de son regard. Aussi, la réflexion qu’il propose sur le couple est bien amenée. Ce long métrage, le tout dernier des 24 présentés en compétition officielle (le tout premier film de Lafosse en lice pour la Palme d’or), pourrait peut-être venir brouiller les pistes, surtout dans les catégories d’interprétation. Tout comme Nitram, d’ailleurs.