François Ozon revient à la compétition cannoise pour la quatrième fois avec, cette fois, Tout s’est bien passé, un film grave qui aborde la délicate question de l’aide à mourir dans la dignité. Vedette d’Annette, Marion Cotillard a de son côté exprimé sa vision de la notoriété.

Aussi prolifique qu’éclectique, François Ozon lance cette année sur la Croisette un film qui pourrait être classé dans la frange de ses œuvres aux tonalités plus graves. Tout s’est bien passé est l’adaptation cinématographique d’un récit qu’Emmanuèle Bernheim a publié en 2013 (quatre ans avant sa mort), dans lequel celle qui, par quatre fois, a collaboré aux scénarios du réalisateur d’Été 85 (notamment celui de Swimming Pool) a raconté la fin de vie de son père.

Ce long métrage, le quatrième de François Ozon sélectionné en compétition officielle, pourrait d’ailleurs très bien s’intituler J’ai tué mon père, tant le sentiment qu’éprouve la protagoniste, interprétée par Sophie Marceau, envers la requête de cet homme diminué et imprévisible, campé par André Dussollier, brasse intérieurement des choses qui forcent à visiter des zones qu’on préfère ne pas fréquenter.

Après avoir fait un AVC, un homme de 85 ans, très apprécié du milieu culturel, n’est plus que l’ombre de lui-même. Aussi demande-t-il à sa fille Emmanuèle — et non à son autre fille — de « l’aider à mourir ». Cette dernière rejette l’idée au départ, bien sûr. Tout le récit est cependant construit autour de l’acceptation progressive de cette option, et de la façon de la réaliser. À cause des lois mises en place en France, mourir dans la dignité veut souvent dire devoir organiser sa fin de vie dans une clinique en Suisse. Et dans le cas de l’histoire racontée dans ce film, être impliqué dans une intrigue quasi policière.

Portrait de famille

La force de Tout s’est bien passé réside dans le portrait de famille que trace François Ozon, privilégiant ainsi l’aspect psychologique du récit plutôt que son aspect médical. La dynamique entre les deux sœurs (Géraldine Pailhas incarne celle à qui le père n’a rien demandé), solidaires malgré quelques différends, est illustrée de façon très juste. Sophie Marceau, plus rare sur les écrans au cours des dernières années, livre une performance vibrante, dénuée de tout sentimentalisme. On retiendra également la présence forte de Charlotte Rampling, si bouleversante il y a 20 ans dans Sous le sable, dans le rôle d’une épouse et mère dont le cœur a fini par s’assécher à force de ne pas avoir pu être aimée comme elle le souhaitait par l’homme avec qui elle a fondé une famille.

Cela dit, la star de ce long métrage est sans contredit André Dussollier. Dans le rôle de cet homme bien décidé à en finir et absolument convaincu de sa décision, le vétéran est tout simplement magistral. Et devient d’office le premier candidat sérieux au prix d’interprétation masculine.

Tout s’est bien passé sera distribué au Québec par la société MK2 | Mile End. Il prendra l’affiche en France au mois de septembre et, on l’espère, dans la foulée chez nous.

Marion Cotillard en toute franchise

Les films n’étant plus présentés aux journalistes en matinée afin d’éviter les mises à mort avant même que les équipes aient effectué leur montée des marches, les horaires n’ont plus les mêmes séquences. Pendant des années, les conférences de presse avaient lieu le jour de la présentation officielle d’un long métrage sélectionné, mais celles-ci se tiennent maintenant le lendemain, quitte à provoquer un décalage. Ainsi, l’équipe d’Annette, le drame musical qui a lancé le festival mardi, s’est prêtée au jeu mercredi, en l’absence d’Adam Driver. L’acteur a fait un saut de puce sur la Croisette, le temps d’accompagner la projection du nouveau film de Leos Carax, pour aussitôt regagner aux États-Unis le plateau du long métrage que Noah Baumbach (Marriage Story) tourne en ce moment.

PHOTO JOHANNA GERON, REUTERS

Marion Cotillard lors de la conférence de presse de l’équipe d’Annette, tenue mercredi au Palais des festivals

Si l’accueil d’Annette n’est pas unanime et n’appelle aucune réaction tiède, une séquence a rapidement fait le tour du web, soit celle où, au bout de cinq minutes d’ovation au Grand Théâtre Lumière, Leos Carax, dans un acte transgressif en cette époque, grille une cigarette et en offre une à l’acteur. Qui l’a acceptée avec panache.

De son côté, Marion Cotillard a parlé avec franchise de son rapport à la notoriété, l’un des thèmes explorés par Leos Carax dans le sixième long métrage de ce dernier.

Je sais ce que c’est que d’être reconnue parce que j’en ai eu l’expérience, mais ce besoin est toujours là, en moi.

Marion Cotillard

« C’est d’ailleurs l’une des grandes questions que je me pose, même dans ma vie personnelle. Pourquoi a-t-on besoin d’être regardée, entendue, aimée par tant de gens qu’on ne connaît même pas ? D’une certaine façon, ça peut aider à construire une confiance, mais ça peut te détruire aussi, particulièrement si tu ne t’aimes pas assez toi-même. »

Du chant en direct

Ayant par ailleurs déjà incarné une chanteuse à l’écran — son incarnation d’Édith Piaf dans La vie en rose lui a valu l’Oscar de la meilleure actrice en 2008 —, l’actrice a décrit une expérience complètement différente dans Annette, où elle campe une cantatrice de renommée internationale.

« Habituellement, quand on chante dans un film, on entre en studio pour enregistrer et on fait ensuite du lip synch sur le plateau. Là, nous chantions en direct. Ce qui veut dire que la performance vocale pouvait changer au gré des mouvements du corps et il y a beaucoup d’action dans ce film. Je me suis entraînée à chanter tout en courant, en marchant et en me penchant ! »

L’actrice a également évoqué en riant les exigences d’un cinéaste, Leos Carax en l’occurrence, qui possède sa façon bien à lui de faire les choses.

« Nous ne savions jamais à quoi la journée allait ressembler. Certaines journées, j’ai cru que la journée serait facile et puis je me suis retrouvée à devoir chanter avec des talons de 30 centimètres sur une plateforme inclinée. C’est la seule fois où j’ai dit que j’étais incapable de faire ça parce que j’étais certaine de tomber et de me casser la jambe ! »

Rappelons qu’Annette prendra l’affiche le 6 août au Québec.

Vu sur la Croisette : Le genou d’Ahed, de Nadav Lapid

Il arrive assez fréquemment que les organisateurs choisissent un film en forme d’électrochoc au lendemain des festivités entourant la cérémonie d’ouverture. Comme si l’on demandait aux festivaliers de revenir rapidement à la réalité, parce que l’art sert aussi à proposer des visions du monde allant souvent à l’encontre des idées reçues.

Le genou d’Ahed (Ha’berech en hébreu), présenté mercredi en compétition officielle, est le quatrième long métrage du cinéaste israélien Nadav Lapid, le premier après le triomphe de Synonymes, long métrage lauréat de l’Ours d’or de la Berlinale en 2019.

En partie autobiographique, le récit relate le parcours d’un cinéaste en rupture de sa société, que le besoin d’intégrité et de maîtrise absolue de son art amène vers une crise existentielle qui fera des dégâts.

Tout comme il l’avait fait lui-même en allant présenter son film L’institutrice dans un village du désert israélien il y a quelques années, le protagoniste du Genou d’Ahed, magnifiquement interprété par le chorégraphe de danse contemporaine Avshalom Pollak, doit signer un formulaire destiné au ministère de la Culture, où sont précisés les sujets de discussion autorisés au cours de la séance de questions et réponses qui suivra la projection.

Cette forme de censure, juxtaposée à la maladie de sa mère, qui était aussi sa monteuse, a provoqué chez le cinéaste une réflexion l’ayant mené à éructer dans un état d’urgence et de révolte ce film brutal et sans compromis. La mise en scène, parfois survoltée, est également ponctuée de nombreuses ruptures de ton, notamment musicales, et le fossé entre le torturé cinéaste et la lumineuse fonctionnaire qui l’accueille dans ce village perdu au milieu du désert ne pourrait être plus large. Ni plus fatal.

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Nur Fibak, Nadav Lapid et Avshalom Pollak lors de la montée des marches précédant la présentation, en compétition officielle, du film israélien Le genou d’Ahed.

Il sera intéressant de voir comment Le genou d’Ahed – le titre fait référence à une jeune militante palestinienne sur laquelle un soldat israélien a tiré une balle dans le genou avec l’intention de l’empêcher de marcher à tout jamais — sera reçu dans le pays du cinéaste. Les mots qu’il met dans la bouche de son alter ego sont par moments d’une violence inouïe envers le système établi par l’État hébreu — une longue tirade est particulièrement marquante — et tout le film revêt les allures d’une espèce d’exorcisme intellectuel auquel se prête un homme qui, comme le dit Nadav Lapid lui-même, est en train de faire le deuil d’une mère, mais aussi d’un pays.

Et c’est très fort.

Cannoiseries

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Jodie Foster, lauréate d’une Palme d’or d’honneur, a offert mercredi aux festivaliers une leçon de cinéma.

C’est le moment pour les femmes, selon Jodie Foster

Incontestablement la grande vedette de ce début de festival, Jodie Foster, lauréate d’une Palme d’or d’honneur, s’est livrée mercredi à l’exercice de la leçon de cinéma, au cours de laquelle elle s’est exprimée — dans un français impeccable — sur la place des femmes dans l’industrie cinématographique. « Là, c’est le moment, parce qu’il y a actuellement une “conscience”, même si les choses n’ont pas entièrement changé, a-t-elle dit. C’est un peu cliché de dire “racontez vos propres histoires”, mais c’est surtout s’interroger et se poser des questions sur la véracité des choses. »

Quant à une éventuelle parité à Hollywood, l’actrice et réalisatrice a constaté beaucoup de changement sur ce plan, même s’il reste encore du chemin à faire. « Quand j’ai commencé mon métier, il n’y avait pratiquement pas de femmes, sinon la maquilleuse et la scripte. Ça, ça a changé. »

PHOTO VIANNEY LE CAER, ASSOCIATED PRESS

Même avec une Palme d’or et un Oscar du meilleur film en poche, Bong Joon-ho, réalisateur de Parasite, affirme ne pas avoir changé.

Bong Joon-ho reste le même

Le cinéaste coréen Bong Joon-ho était certes connu des cinéphiles avant de réaliser Parasite, mais la notoriété acquise à la suite de l’obtention de la Palme d’or il y a deux ans, et de l’Oscar du meilleur film en 2020, n’a aucune mesure avec celle d’avant. « Je n’avais aucune idée que Parasite pouvait connaître un aussi grand succès mondial. Tout est allé au-delà de mes attentes, a-t-il déclaré lors d’une leçon de cinéma tenue mardi à la salle Buñuel du Palais des festivals. Mais il [le succès] ne m’a pas changé. Regardez-moi, je suis toujours le même ! » Appelé à se prononcer sur le rôle des plateformes, le cinéaste a rappelé qu’Okja, un film produit par Netflix présenté en compétition officielle à Cannes en 2017 — se retrouvant du même coup au centre d’une controverse — n’aurait jamais pu exister sans le géant de la diffusion en ligne. « Aucun studio ne voulait le produire. Ce fut la même chose pour Martin Scorsese avec The Irishman. Personne d’autre n’en voulait ! »

PHOTO JOHN MACDOUGALL, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’un des centres de dépistage où les festivaliers non européens doivent passer leur test

Les scribes non européens l’ont dans le nez !

Les journalistes venus de pays non membres de l’Union européenne croyaient pouvoir vivre leur festival l’esprit tranquille, à la condition d’être en mesure de prouver une pleine vaccination remontant à plus de 14 jours. Une précision des organisateurs du festival a cependant quelque peu gâché leur arrivée. Les lecteurs des préposés du Palais des festivals ne pouvant lire que le « certificat COVID-19 numérique UE », délivré par 28 pays européens, les ressortissants d’ailleurs — canadiens, américains, israéliens, britanniques et autres — sont considérés comme des non-vaccinés, même s’ils ont en leur possession un beau code QR accompagné du sceau d’une deuxième injection. Résultat ? Ces festivaliers, y compris l’envoyé spécial de La Presse, doivent se soumettre à un test tous les deux jours pendant toute la durée du festival. Et ça râle. Certains l’ont même vraiment dans le nez !