Le récent feu vert donné par le gouvernement du Québec pour la réouverture des salles de cinéma a été salué par les gens de l’industrie avec certaines réserves, notamment quant à l’interdiction de vendre des produits alimentaires. Mais dans les coulisses, les acteurs de l’industrie appréhendent également un effet d’engorgement dans les salles.

Autrement dit, plusieurs craignent que le nombre de films proposés soit trop élevé dans les mois à venir par rapport au nombre de salles disponibles. Avec pour résultat que les œuvres risquent d’avoir une vie éphémère, bousculées par de nouveaux titres.

Il faut comprendre que le cinéma québécois n’est pas le seul concerné. Distributeurs et exploitants ont accès à des œuvres du cinéma mondial et surtout à celles du géant hollywoodien et sa réserve de blockbusters en attente.

Dans ce contexte, la perspective que tout arrive en même temps est digne d’un scénario de film catastrophe.

L’acteur américain, c’est l’éléphant dans la pièce, indique Mario Fortin, directeur général du cinéma Beaubien et vice-président de la Confédération internationale des cinémas d’art et d’essai. Lorsque les tournages des films québécois ont repris [à la mi-juillet 2020], ils ne se sont plus arrêtés. Cela nous assure qu’il n’y aura pas de sécheresse. Mais la question est de savoir s’il y aura un afflux trop grand de produits qui sont prêts à être mis en marché.

La scénariste Valérie Beaugrand-Champagne, qui a participé à de nombreux projets comme conseillère à la scénarisation, exprime aussi cette crainte.

Plusieurs films terminés avant le début de la pandémie ne sont pas encore sortis. D’autres ont été faits au cours de l’été 2020. Cela crée un arriéré dans la chaîne de distribution. Comme scénariste, je me demande comment ils seront distribués.

Valérie Beaugrand-Champagne, scénariste

Dans une récente entrevue accordée à La Presse au sujet d’une entente avec Netflix pour la diffusion internationale du film Le guide de la famille parfaite, Louis Morissette manifestait une crainte identique pour justifier l’entente passée avec le géant du streaming.

« Il a continué à se tourner beaucoup de films pendant la pandémie. Au retour, il va y avoir un pipeline de films bien garni. Notre film va sortir, mais dans combien de salles et pour combien de temps ? », demandait le dirigeant de KOTV, producteur du film réalisé par Ricardo Trogi qui, à l’origine, devait sortir à l’été 2020.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le tournage du film Le guide de la famille parfaite, en septembre 2019. Craignant une congestion de films en salle, le producteur Louis Morissette en a vendu les droits internationaux à Netflix.

De nombreux films québécois attendent depuis des mois une date de sortie. Maria Chapdelaine, Le club Vinland, Gallant : confessions d’un tueur à gages, Tu te souviendras de moi, My Salinger Year, La contemplation du mystère, Bootlegger, Souterrain et Les vieux chums n’en sont que quelques exemples. S’ajoutent à cela bien des œuvres tournées en 2020 telles Au nord d’Albany, Sam, L’arracheuse de temps, Babysitter…

Tout le monde se parle

La solution pour éviter l’étranglement ? Se parler. Tous les acteurs de l’industrie le soutiennent. Et le font. Depuis quelques mois, l’enjeu d’une sortie coordonnée des films québécois est discuté au sein du Comité de relance du cinéma au Québec.

Créé en avril 2020, l’organisme, qui regroupe les exploitants de salles, les distributeurs et les producteurs, planche sur un calendrier de sorties de films destiné à mettre en valeur les œuvres québécoises et éviter qu’elles se cannibalisent.

« Le fait que l’industrie se parle ne fait pas disparaître les enjeux qui nous attendent », indique Alexandre Hurtubise, coordonnateur des activités de cette association.

Les films américains ont aussi été pelletés par en avant et il y aura un volume. Mais le fait de se parler et d’arriver à trouver la meilleure place possible pour chaque film fait un monde de différences.

Alexandre Hurtubise, coordonnateur du Comité de relance du cinéma au Québec

Par volume, M. Hurtubise signale que, oui, il y aura sans doute des périodes de grande densité, en 2021. Au moment de cette entrevue, il entrevoyait « un trou en avril » et une période « très dense » à partir de la fin du mois de mai.

Mais attention, toutes sortes de variables influencent le calendrier à construire. Une troisième vague de pandémie remettrait encore une fois en question la stratégie adoptée. Autre variable possible : un déplacement de l’heure du couvre-feu plus tard en soirée, ce qui permettrait d’ajouter au moins une plage de projections.

Les quelques dizaines de personnes qui discutent à l’intérieur du Comité de relance sont bien au fait de ces variables. M. Hurtubise en a pour preuve que le fameux calendrier de sortie a été plusieurs fois révisé ces derniers mois. « Des calendriers dans le beurre, on en a fait plusieurs », dit ce dernier, directeur général de la Maison du cinéma de Sherbrooke et du cinéma Lido, à Rimouski.

Mais à l’écouter, on comprend que l’ensemble des membres du comité sont prêts à travailler et à retravailler leur calendrier aussi longtemps que nécessaire. « Personne, ni les Américains ni les Québécois, n’a intérêt à voir tous les films sortir en même temps, conclut M. Hurtubise. D’autant que, si c’est le cas, on risque de se retrouver avec un problème inverse [un creux] plus tard. »