Le cinéma me manque. Pas seulement la discipline artistique, mais son lieu de diffusion. La salle obscure, l’écran géant, le son enrobant. Se caler dans un fauteuil confortable et s’abandonner à un film…

Cette semaine, je suis presque allé au cinéma. Je me suis rendu avec Fiston dans l’un des deux cinéparcs en activité du Québec (auxquels s’ajouteront trois autres cinéparcs ce week-end et au moins un autre, à Montréal, le 21 juin). Celui de la station de ski Belle-Neige, à Val-Morin, dans les Laurentides.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

« Les cinéparcs ont eu mauvaise presse depuis que la ministre Nathalie Roy a annoncé leur réouverture il y a quelques semaines. Les artistes n’y voyaient pas de quoi se réjouir. On le comprend en constatant que leur programmation ne fait pratiquement aucune place au cinéma québécois », écrit notre chroniqueur.

Les cinéparcs ont eu mauvaise presse depuis que la ministre Nathalie Roy a annoncé leur réouverture il y a quelques semaines. Les artistes n’y voyaient pas de quoi se réjouir. On le comprend en constatant que leur programmation ne fait pratiquement aucune place au cinéma québécois.

Sur les 24 films proposés ce week-end dans les cinéparcs du Québec, un seul est québécois, Menteur, d’Émile Gaudreault, le succès populaire de l’été dernier. On trouve en revanche quantité de ce que j’appelle des films « avec » (Bloodshot avec Vin Diesel, Bad Boys for Life avec Will Smith et Martin Lawrence, Aquaman avec Jason Momoa…).

IMAGE FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Scène de Menteur, d’Émile Gaudreault

On s’en doute : le cinéparc n’est pas le royaume du cinéphile. On y va davantage pour se divertir que pour contempler le septième art. Il reste que du divertissement cinématographique québécois, ce n’est pas ça qui manque.

Après avoir fait une heure et quart de route et croisé les écrans rouillés d’un cinéparc lavallois abandonné en bordure de l’autoroute 15, nous étions à destination, dans un joli cadre montagnard. Il pleuvait, et je craignais que l’on doive rebrousser chemin. À moins de 10 voitures, le cinéparc se réserve le droit d’annuler ses représentations. Il n’y avait que sept ou huit voitures dans le grand stationnement.

Quelques retardataires, leurs phares éclairant la moitié de l’écran, sont finalement arrivés pendant et après le générique d’ouverture. Nous avions le choix entre deux programmes : Trolls 2 et L’appel de la forêt ou Star Wars : L’ascension de Skywalker et Sous pression. Nous avons choisi L’ascension de Skywalker, « avec » John Boyega (qui a manifesté cette semaine à Londres contre la brutalité policière).

IMAGE FOURNIE PAR LUCASFILM

John Boyega, interprète de Finn, dans Star Wars : L’ascension de Skywalker

Fiston en était à son quatrième visionnement du film, et moi à mon troisième. Mais c’était la première fois que nous le voyions ensemble hors de la maison. Avec la pluie, le moteur et les essuie-glaces à l’arrêt, franchement, je craignais qu’on n’y voie pas grand-chose.

Heureusement, la pluie a cessé, et nous nous sommes dirigés vers la cantine. Je me suis dit que le cinéparc sans pop-corn, ce n’était pas le cinéparc. Fiston m’attendait dehors. J’étais seul à serpenter dans les allées jusqu’à la caisse. Tous les employés avaient le visage masqué comme moi. Le grand pop-corn, l’équivalent du « petit format » au cinéma, n’était pas donné. J’ai regretté de ne pas en avoir acheté à l’épicerie, au tiers du prix.

« C’est un début de saison tranquille », ai-je dit à la caissière.

« Il n’y a pas grand monde parce qu’il fait gris, mais à l’ouverture, vendredi, c’était plein.

— Les gens ont besoin de sortir…

— Ça se comprend ! »

Il n’y avait personne à l’extérieur de sa voiture dans un fauteuil pliant, comme dans un « tailgate party » d’avant-match de football (l’image que je m’étais faite du cinéparc). Il faut dire qu’il faisait 12 degrés et qu’il menaçait toujours de pleuvoir.

J’ai ouvert ma portière pour demander à nos voisins de « char », un jeune couple dans la vingtaine de Val-Morin, sur quelle chaîne je pouvais écouter le film en version originale. J’avais vu qu’il y avait deux fréquences, mais je n’avais pas compris que c’était pour chaque écran. Ils m’ont regardé d’un air interloqué et m’ont expliqué que c’était en français, en me suggérant de consulter le site internet du cinéparc.

Je n’y avais évidemment pas pensé.

Pour moi, le cinéparc est synonyme d’analogique, de pré-numérique. Comme si cette activité était restée figée dans le temps depuis ma dernière visite, c’est-à-dire à l’enfance, alors qu’il fallait décrocher un haut-parleur d’un poteau et l’installer dans sa voiture pour entendre la bande sonore du film.

Fiston avait déjà incliné son siège vers l’arrière lorsque je le lui ai suggéré. Il m’a souri comme seuls les enfants savent sourire à leurs parents, avec ce mélange d’ironie et d’exaspération au contact de paroles inutilement prononcées.

À 21 h, alors qu’il ne faisait pas encore tout à fait nuit — et que le contraste et la qualité de l’image n’étaient pas tout à fait au point —, la projection a débuté. Nous avons sorti les couvertures, les noix et l’eau plate (comme le père que je suis), puis nous avons réglé le son pratiquement au maximum. Le célèbre thème de John Williams a fait vibrer la voiture. Fiston avait le sourire fendu jusqu’aux oreilles.

J’ai rapidement constaté un inconvénient majeur : les voitures qui se déplacent à tout moment d’un écran à l’autre, les phares allumés. Il y en a une qui s’est dirigée tout droit vers nous avant de bifurquer au dernier moment. À 22 h 45, alors que le film tirait vers la fin, un homme est venu se garer à côté de nous pour nous demander à son tour quelle chaîne il fallait syntoniser.

J’ai moi-même dû redémarrer trois fois ma voiture, qui s’éteignait automatiquement pour ne pas vider la batterie. Il s’est mis à pleuvoir de plus belle et, malgré les essuie-glaces, on ne voyait plus grand-chose. Pour le cinéphile que je suis, disons que les conditions n’étaient pas optimales. En revanche, le père était comblé de partager cette expérience avec son fils.

À la princesse Leia qui lui demandait d’être plus optimiste devant la bataille qui s’annonce, un membre de la Rébellion a répondu machinalement, ironique : « Je suis sûr que ça va bien se passer. On n’a pas idée à quel point ça va bien se passer… » On a ri, en pensant aux arcs-en-ciel désormais honnis de la pandémie.

À 23 h 10, pendant le générique de la fin, nous avons conclu qu’il valait mieux ne pas rester pour le deuxième film du programme double. Il y avait de la route à faire, plus de toilettes à notre disposition (ni de pop-corn). Nous sommes repartis, le thème de John Williams jouant à tue-tête.

Pa-pa-paaa-papapa-paapa !