Le cinéma québécois semble faire l’impasse sur de grands pans et de grands personnages de notre histoire. Devrait-on s’en inquiéter ?

Pourquoi faire des fictions historiques ? Notamment en raison de leur pouvoir éducatif, croient ceux que La Presse a interrogés sur l’importance de ces films.

« Les films et séries historiques permettent aux jeunes d’en apprendre beaucoup et de façon ludique sur l’histoire, estime le comédien Emmanuel Bilodeau, qui a incarné René Lévesque dans une télésérie. Quand on romance l’histoire, quand on adopte une approche humaine et qu’on présente les personnages avec les failles et leurs faiblesses, on s’attache à ceux-ci. Et, de façon sous-jacente, à l’histoire. »

« Il me semble que le cinéma a une puissance particulière par rapport aux séries et aux documentaires, soutient l’ancienne ministre de la Culture et des Communications Louise Beaudoin. Cela ajoute beaucoup dans l’imaginaire collectif. »

Président de la Société des professeurs d’histoire du Québec, Raymond Bédard utilise le cinéma pour enseigner sa matière. Deux fois, il a projeté le film Octobre de Pierre Falardeau en invitant ce dernier à rencontrer ses élèves.

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Luc Picard et Pierre Falardeau sur le tournage du film 15 février 1839, en février 2000.

« Il a tellement été convaincant qu’après la deuxième rencontre, faite auprès de tous les jeunes de quatrième secondaire de mon école, ils ont fait une collecte pour l’aider à financer son film 15 février 1839 [sorti en 2001] », se remémore-t-il.

Petites et grande histoires

À défaut de faire des biopics couvrant plusieurs décennies ou des films onéreux, plusieurs cinéastes vont se circonscrire à un angle, ce qui aux yeux de l’historien a tout autant de valeur. C’est le cas des films Corbo de Mathieu Denis et Les rois mongols de Luc Picard qui, chacun à leur façon, abordent l’histoire du FLQ sans pour autant faire le tour de la question.

« Comme historienne, j’aime un film comme Les rois mongols parce qu’il propose une stylisation d’un évènement », analyse Éliane Bélec, cofondatrice du Festival international du film d’histoire de Montréal. « Fait avec de petits moyens, Corbo était un film inventif et intelligent », relève le réalisateur Denys Arcand.

Évoquant lui aussi ce film d’un jeune militant felquiste mort en 1966 en posant une bombe, le cinéaste Matthew Rankin prêche pour ce qu’il appelle les petits évènements capables de faire comprendre des réalités très complexes.

C’est la micro-histoire qui illumine la macro-histoire.

Matthew Rankin, cinéaste

Comme il est originaire de Winnipeg, La Presse lui a demandé si, comme au Québec, le Canada anglais était en carence de biopics sur d’anciens premiers ministres. Sa réponse est tranchante : « La collectivité du Canada anglais est peut-être la moins mythologisée au monde, dit-il. Elle ne s’interroge pas beaucoup sur sa propre histoire. »

Le désir reste

Afin de favoriser la présence de l’histoire dans la fiction québécoise, le Mouvement national des Québécois (MNQ) a déjà proposé une politique de commémoration. « Le but est de créer des moments qui nous pousseraient à faire des œuvres sur un personnage ou un évènement de l’histoire », dit Martine Desjardins, directrice générale du MNQ.

Le réalisateur Simon Lavoie aimerait de son côté qu’on ravive la conscience historique, ce qui passerait par un enseignement plus poussé des cours d’histoire.

Le cinéaste Simon Beaulieu, qui a fait des documentaires sur le peintre Serge Lemoyne, le poète Gaston Miron et l’ancien ministre Gérald Godin, partage ce point de vue. « À la sortie de mon baccalauréat en cinéma, j’ai fait, éberlué, le constat que je ne connaissais pas mon histoire, dit-il. Si on enseignait mieux l’histoire, il nous serait plus facile d’avoir le goût de la raconter. »

Affaires criminelles, vedettes et crises politiques

Un survol de la production québécoise de longs métrages de fiction historique permet de constater que certains évènements ou thèmes ont été plus souvent abordés que d’autres au grand écran. On compte ainsi une bonne dizaines de films sur des affaires criminelles ou des tragédies marquantes, comme L’affaire Dumont de Podz (2012), Monica le mitraille de Pierre Houle (2003) et Polytechnique de Denis Villeneuve (2009). Une dizaine de personnalités du monde culturel ont aussi eu droit à un film biographique, parmi lesquels Ma vie en cinémascope (sur Alys Robi) de Denise Filiatrault (2004), Dédé à travers les brumes de Jean-Philippe Duval (2009) et La Bolduc de François Bouvier (2018). La crise d’Octobre a aussi été traitée au cinéma au moins sept fois, et ce, dès 1974 avec Les ordres de Michel Brault. Si l’on recule plus loin dans l’histoire, on compte quatre films dont l’action de déroule en Nouvelle-France (dont Hochelaga, terre des âmes de François Girard, de 2017) et trois qui se penchent sur la Conquête et le soulèvement des Patriotes (dont 15 février 1839 de Pierre Falardeau, en 2001).