Pendant la pandémie, notre critique vous propose chaque semaine trois longs métrages de répertoire à (re) découvrir. Au programme cette semaine : des films à connotation politique, pour rire ou en pleurer…

Cinéma d’ici : Guibord s’en va-t-en guerre (2015)

Philippe Falardeau

Lors de sa sortie en 2015, Guibord s’en va-t-en guerre n’a pas obtenu le succès prévu. Peut-être les spectateurs québécois n’ont-ils pas eu envie d’aller voir un film de cette nature alors que la campagne électorale en vue des élections fédérales battait son plein. S’avançant sur un terrain déjà arpenté par Nanni Moretti, Philippe Falardeau emprunte un ton similaire, de même que cette façon de traiter un sujet lourdement chargé politiquement — dans ce cas-ci le système démocratique — avec humour et légèreté.

Cela dit, force est de constater que le ton satirique de son film reste plus espiègle que féroce. Ce mélange aigre-doux caractérise d’ailleurs cette comédie, fort divertissante au demeurant, à défaut d’être exutoire. Si les travers d’un système aux contours surréalistes — et le cynisme qu’il engendre — sont ici exposés dans toute leur splendeur, l’œil du cinéaste reste quand même très empathique. Et jette un regard compatissant sur les gens qui, un jour, décident de se lancer dans le service public, malgré les ratés du système.

Steve Guibord (excellent Patrick Huard) fait partie de ceux-là. Député indépendant, élu dans la circonscription fédérale (fictive) de Prescott-Makadewà-Rapides-aux-Outardes, dans le nord du Québec, cet ancien hockeyeur est visiblement proche de ses ouailles.

Mais voilà qu’entre deux barrages routiers, alors qu’il tente de trouver des solutions pour répondre aux revendications de tout un chacun, notamment celles des communautés autochtones, Guibord se retrouve plongé au milieu d’une crise nationale. Par un extraordinaire concours de circonstances, ce député d’arrière-ban détient le vote décisif qui déterminera si le Canada entre en guerre — comme le souhaite le premier ministre (Paul Doucet imite formidablement bien Stephen Harper) — ou non.

Guibord s’en-va-t’en guerre, dont la bande-annonce est réalisée par Xavier Dolan, ne joue évidemment pas sur la même fibre émotive que Monsieur Lazhar, le film québécois précédent de Falardeau, mais l’ensemble — très riche en détails qui font mouche — révèle finesse, drôlerie et intelligence.

Dans une présentation à la Hitchcock, Philippe Falardeau prévient par ailleurs le spectateur que son film « est basé sur des faits véridiques qui ne se sont pas encore produits, mais qui ne sauraient tarder ».

À voir vendredi 29 mai, 20 h, à Radio-Canada. Offert sur les plateformes iTunes, YouTube, GooglePlay et Microsoft (parfois sous le titre anglais My Internship in Canada). Aussi en DVD.

Cinéma d’ailleurs : Quai d’Orsay (2013)

Bertrand Tavernier

Dans son plus récent film de fiction, qu’on pourrait qualifier de farce politique, Bertrand Tavernier nous entraîne dans les couloirs du Ministère des affaires étrangères en 2002 et 2003, alors soumis à de graves questions. D’une part, il y a cette guerre civile qui gronde en Côte d’Ivoire, pays avec lequel la France a entretenu jadis des liens coloniaux. Surtout, il y a cette menace d’intervention des troupes de George W. Bush en Irak sur la foi de faux prétextes.

La visite guidée nous est offerte grâce à la complicité d’Arthur (Raphaël Personnaz), un jeune diplômé de l’École nationale d’administration, embauché pour rédiger les discours du maître des lieux : le ministre Alexandre Taillard de Worms (Thierry Lhermitte, remarquable). Ce dernier s’affiche comme un personnage moliéresque sorti d’un autre âge, qui enrobe son discours de belles formules creuses. Chacune des présences de cet homme flamboyant emprunte les allures d’un ouragan. Pour répondre à ses exigences, ses collaborateurs doivent remettre leur ouvrage cent fois sur le métier, souvent en devant suivre des indications complètement contradictoires. Il convient de préciser ici que le personnage qu’interprète Thierry Lhermitte est directement inspiré de l’ancien ministre Dominique de Villepin. Le réalisateur de Capitaine Conan utilise ici les rouages d’une franche comédie pour mieux mettre en lumière le caractère parfois absurde du jeu politique. Il a aussi voulu poser son regard sur des personnages anonymes, mais essentiels au fonctionnement d’un ministère.

Quai d’Orsay, rappelons-le, est une adaptation cinématographique d’une bande dessinée à succès de Christophe Blain et Abel Lanzac. Le nom de plume ce dernier est Antonin Baudry, ancien conseiller de Dominique de Villepin sur les questions de culture et d’économie internationale. C’est dire à quel point le récit, malgré son caractère parfois loufoque, a été bien nourri...

À voir sur iTunes (titre anglais : The French Minister). Aussi en Blu-ray/DVD.

Hollywood : Milk (2008)

Gus Van Sant

Assassiné en 1978, Harvey Milk fut le premier politicien ouvertement gai à se faire élire aux États-Unis. Dans ce film inspiré de sa vie, réalisé par Gus Van Sant, on retrace les huit dernières années d’existence de celui dont le militantisme visant la reconnaissance des droits de la communauté LGBTQ devait obligatoirement passer par l’action politique. Et c’est là où le personnage devient particulièrement intéressant. Même si Harvey Milk, qui aurait célébré son 90e anniversaire de naissance la semaine dernière, n’était pas au départ doté des qualités oratoires habituellement requises pour mener à bien une carrière publique, il a pourtant su convaincre.

Insérant habilement de vraies scènes d’archives au récit, Van Sant recrée l’époque de façon très convaincante, sans jamais tomber dans les aspects plus folkloriques. Il a aussi su réunir autour de Sean Penn, lauréat de l’Oscar du meilleur acteur en 2009 grâce à sa performance, une galerie d’excellents interprètes, parmi lesquels se distinguent notamment Josh Brolin et James Franco.

Milk constitue ainsi, peut-être, le premier « grand » film à vocation populaire retraçant la lutte qu’ont dû mener les homosexuels pour la reconnaissance de leurs droits. Mais au-delà de cette particularité, Van Sant propose un drame biographique exemplaire, à la fois sobre et vibrant, mené de main de maître par un cinéaste en pleine possession de ses moyens, et porté par une performance exceptionnelle de Sean Penn dans le rôle-titre.

En complément, il faudra aussi revoir The Times of Harvey Milk, disponible sur The Criterion Channel et quelques autres plateformes. Cet excellent long métrage documentaire, qu’a réalisé Rob Epstein en 1984, a d’ailleurs obtenu un Oscar.

Milk est offert sur Boutique Cineplex, iTunes, YouTube et GooglePlay. Aussi en Blu-ray/DVD.