C'est le contraire de Game of Thrones. Le contraire du blockbuster à la mode (et du Blockbuster démodé). C'est une niche pour les joyaux d'hier, aux antipodes de ce qui est le plus regardé aujourd'hui.

La prestigieuse société Criterion a lancé lundi sa plateforme de films en diffusion continue (streaming). C'était comme une veille de Noël, neige d'avril en prime, pour des milliers de cinéphiles nord-américains. Un accès simple et convivial à quelque 1600 oeuvres parmi les plus marquantes du répertoire cinématographique mondial, triées sur le volet par une équipe d'amoureux du septième art.

Je n'ai pas hésité longtemps à m'abonner au Criterion Channel, même si, à force, l'accumulation de services du genre (à la Netflix) peut finir par coûter cher. J'ai rayé de mon forfait câblé quantité de chaînes que je n'ai jamais vraiment regardées, et je ne crois pas le regretter.

Pour le prix mensuel d'une place de stationnement de trois heures au centre-ville de Montréal, j'ai désormais accès à l'impressionnant catalogue de Criterion en ligne. Une mine d'or. Lundi soir, je ne savais plus où donner de la tête entre une entrevue récente de Michael Haneke à propos de La pianiste (« J'espère que tous mes films sont obscènes d'une manière ou d'une autre », dit-il), une classe de maître de Damien Chazelle, une sélection de films de la collection Criterion par la chanteuse M.I.A. et un documentaire sur l'énigmatique Yasujirô Ozu. Disons que je me suis couché tard...

On me demande souvent, depuis la disparition de vidéoclubs spécialisés comme La Boîte noire, où trouver facilement des films de répertoire. Comment un cinéphile peut-il continuer à se former et à se nourrir ? 

Il existe des plateformes légales de visionnement en ligne consacrées au cinéma d'auteur qui comptent beaucoup plus de titres (Kanopy, notamment), mais aucune à ma connaissance n'encadre aussi bien les oeuvres que Criterion.

Contrairement à Netflix, qui s'appuie essentiellement sur des algorithmes, la collection du Criterion Channel a été soigneusement sélectionnée par des spécialistes. C'est en quelque sorte l'équivalent du rayon « choix des sommeliers » du Cellier d'une SAQ Sélection. On n'y passe pas des dizaines de minutes à chercher la perle rare comme une aiguille dans une botte de foin (jusqu'à se décourager et préférer regarder la fin d'un tournoi de curling).

Criterion possède l'un des plus prestigieux catalogues de films de répertoire du monde. Il présente des « valeurs sûres ». On peut difficilement se tromper. On consulte sa nouvelle plateforme quasi les yeux fermés, en toute confiance, prêt à revoir un classique ou à faire une découverte. La programmation est inspirante : on a jumelé des oeuvres et des cinéastes, créé des collections, rassemblé des contenus riches et inédits (suppléments de toutes sortes, images d'archives, commentaires des artistes ou d'exégètes).

Aussi, contrairement à d'autres services semblables, le contenu sera renouvelé quotidiennement et bonifié selon des ententes avec les différents studios, assure la direction de Criterion. Sans vouloir m'acharner sur Netflix, dont les forces se trouvent ailleurs (dans les séries et dans les spectacles d'humour surtout), si l'on est le moindrement cinéphile, on a vite fait le tour des films que l'on n'a pas déjà vus et qui en valent la peine. Et ce n'est pas faute d'avoir passé au peigne fin des listes complètes de films insignifiants (inspirés de faits vécus).

Lundi, pour son lancement, le Criterion Channel rendait hommage à la regrettée Agnès Varda en mettant en lumière plusieurs de ses oeuvres (14 films, sans compter une sélection d'entrevues). Le mercredi, la plateforme consacrera une programmation particulière au cinéma de réalisatrices. Les films de Chantal Akerman, Chloë Sevigny, Jane Campion, Catherine Breillat, Lucrecia Martel et Andrea Arnold sont entre autres rassemblés sous une même bannière.

On ne trouve pas de tout sur Criterion, tant s'en faut ! Les films québécois y sont rares. 

En papillonnant, je suis tombé sur Emporte-moi de Léa Pool, J'ai tué ma mère de Xavier Dolan et Fauve de Jérémy Comte, récent finaliste à l'Oscar du meilleur court métrage. C'est très peu. On y trouve en revanche des films rares, de partout dans le monde, dont les oeuvres restaurées du World Cinema Project de Martin Scorsese.

Il y a peu d'appelés et encore moins d'élus dans la fameuse collection Criterion, qui continuera de produire et de vendre des Blu-ray spécialisés (l'essentiel de ses activités). Plusieurs légendes du cinéma sont présentes sur la plateforme : l'essentiel de la filmographie de Fellini s'y trouve, celle de Truffaut aussi, ainsi qu'une demi-douzaine de films d'Ozu.

On peut se perdre pendant des heures dans cette cinémathèque en ligne qui vaut bien des cours de cinéma. Voir Truffaut interviewer Hitchcock, Bill Hader (ex-comédien de Saturday Night Live) parler de son amour du cinéma de Kurosawa ou encore le célèbre journaliste montréalais du New Yorker Adam Gopnik parler de cinéphilie dans la série Adventures in Moviegoing.

« Au revoir tout le monde ! J'ai décidé de vivre dans le Criterion Channel », a écrit hier sur Twitter l'actrice hollywoodienne - et vedette du blockbuster Captain Marvel - Brie Larson (née Brianne Desaulniers et dont le père, Sylvain, est franco-manitobain), en faisant référence à la programmation consacrée à la mémoire d'Agnès Varda.

Ne me cherchez pas moi non plus au cours des prochains jours. Pendant que vous vous replongerez dans l'univers de Game of Thrones, je prévois succomber à la suggestion du Criterion Channel d'un programme double Persona de Bergman/Les larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder. Traitez-moi de snob si ça vous chante. À chacun ses plaisirs !

> Consultez le site de Criterion Channel (en anglais)