François Ozon est au Québec pour présenter un film qui, involontairement, est en prise directe sur l'actualité depuis près de deux mois en France. Grâce à Dieu fait écho à l'affaire Barbarin, ce cardinal récemment condamné pour non-dénonciation d'agressions sexuelles. Et aussi à l'affaire Preynat, ce prêtre pédophile déjà mis en examen. Un contexte qui a failli empêcher la sortie du film en France.

Quand il a lancé Grâce à Dieu au festival de Berlin, où il a remporté le Grand Prix du jury, François Ozon était alors dans l'attente d'un verdict de la justice française. Un avocat réclamait le report de la sortie du film sur le territoire français, en attendant que les affaires dont il est question aient toutes été entendues par la justice. La réclamation n'a pas été retenue, et Grâce à Dieu a pu prendre l'affiche en France le 20 février, comme prévu. Jusqu'à maintenant, plus de 800 000 spectateurs sont allés voir ce drame qui n'emprunte pas de point de vue judiciaire, mais se place plutôt du côté des victimes de prêtres pédophiles en évoquant les conséquences humaines d'un tel crime, même des décennies plus tard. À la Berlinale, le réalisateur de 8 femmes et de Frantz disait vouloir aussi susciter une discussion sur le plan social.

«Eh bien là, j'ai été servi! lance-t-il quand on lui rappelle cette déclaration. Ce que j'espérais s'est produit. Il y a eu des réticences au début, mais les catholiques sont allés voir le film, et le "bouche-à-oreille" a été positif. Le distributeur me dit que, maintenant, les diocèses l'appellent pour avoir le film et organiser des débats, auxquels participent des évêques, des prêtres et des fidèles. C'est dire qu'il y a une vraie prise de conscience qui émane de la base même.»

Une occasion unique

Il semble toutefois que cette prise de conscience n'ait pas encore atteint les plus hautes sphères hiérarchiques de l'Église. Condamné le 7 mars à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé à la justice les agressions pédophiles imputées au père Bernard Preynat il y a 30 ans, et dont il avait été informé par une victime en 2014, le cardinal Philippe Barbarin, plus haut dignitaire de l'Église de France, s'est rendu au Vatican lundi dernier afin de remettre sa démission au pape François. Ce dernier l'a refusée, évoquant la présomption d'innocence d'un accusé qui interjettera appel de sa condamnation.

«L'Église avait enfin une occasion historique de montrer qu'elle avait pris conscience du drame et qu'elle était en accord avec le discours du pape et sa politique de tolérance zéro, souligne François Ozon. Il parle de tolérance zéro d'un côté, mais de l'autre, il refuse la démission de quelqu'un qui symbolise le silence de l'Église sur la question de la pédophilie. Ce discours est complètement contradictoire, car la justice française a reconnu que, si le cardinal Barbarin n'a rien déclaré, c'était pour protéger l'institution.»

«L'Église se tire une balle dans le pied en entretenant un double discours de façon permanente.»

François Ozon, reconnu pour ses fantaisies et sa propension au romanesque dans ses films précédents, confie avoir vécu les dernières semaines de façon «contrastée».

«Avant la sortie du film, je n'ai pas vraiment eu de plaisir, malgré des signes extrêmement positifs de la part de la critique, un bel engouement au cours des avant-premières, et j'ai aussi eu un prix à Berlin. Il y avait toutefois ce couperet et cette judiciarisation autour du film. La promotion a davantage pris les allures d'un chemin de croix, si j'ose dire. Il était possible que ce film, qui avait déjà une certaine reconnaissance, ne soit jamais montré en France. Ou alors, dans deux ou trois ans seulement. Peut-être avons-nous été un peu naïfs, mais il est vrai que nous n'avions pas mesuré tous ces enjeux. Cela dit, la justice a estimé le film d'utilité publique.»

La fragilité masculine

Ayant souvent construit ses histoires autour de personnages féminins forts, François Ozon a cette fois eu l'idée d'écrire un récit abordant la fragilité masculine. C'est en tombant sur un site intitulé La Parole libérée, fondé par des victimes du prêtre Bernard Preynat, que le cinéaste a décidé de se lancer, pour la première fois, dans l'écriture d'une fiction basée sur des faits réels. Il a rencontré les victimes et leurs familles, et structuré son récit en passant le relais entre trois d'entre elles, interprétées par Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud. Leurs vrais prénoms ont été utilisés, mais pas leurs noms de famille. En revanche, les personnes accusées dans l'affaire, elles, sont nommées.

«Très vite, je me suis rendu compte que je n'avais pas besoin de dramatiser cette histoire, car tout ce que j'apprenais de la réalité était déjà très fort sur le plan scénaristique, indique François Ozon. Il ne fallait pas être hypocrite non plus. J'ai décidé de garder les noms des personnes publiques - Philippe Barbarin, Bernard Preynat et Régine Maire -, parce qu'ils étaient connus, mais aussi parce qu'ils sont montrés uniquement dans un cadre professionnel dans le film, contrairement aux victimes, qui évoluent aussi dans un cadre privé. Cela m'a valu d'être attaqué en justice par les avocats de Bernard Preynat et Régine Maire, mais on m'a donné raison.»

François Ozon a maintenant envie d'aborder un style complètement différent. Il tournera au mois de juin un film avec des personnages adolescents, joués par des acteurs encore inconnus.

«J'ai envie d'un peu de légèreté, dit-il. J'aime faire des films très différents les uns des autres de toute façon. Et je ne ferai pas Grâce à Dieu 2!».

Grâce à Dieu prendra l'affiche en salle le 5 avril.

PHOTO FOURNIE PAR MK2 | MILE END

Denis Ménochet, Éric Caravaca, Swann Arlaud et Melvil Poupaud dans Grâce à Dieu