Nommé deux fois aux Oscars pour Arrival de Denis Villeneuve et The Young Victoria de Jean-Marc Vallée, le directeur artistique Patrice Vermette voit désormais Vice (en salle), biopic auquel il a participé, être nommé à son tour pour six Golden Globes. Un film, non, « un cadeau de la vie », qui a permis au directeur artistique québécois de recréer des lieux emblématiques, en passant par le Wyoming, le Cambodge, l'Afghanistan, l'Irak et Washington... tout en restant à L.A.

Dick Cheney, vice-président tout-puissant. Dick Cheney, stratège impénitent. Dick Cheney, pêcheur à la mouche patient. C'est cette dernière facette qui aura grandement servi de fil conducteur à Vice. Qui aura donné naissance à des scènes comme des flashes, où l'on voit l'homme, de l'eau jusqu'aux genoux, lançant sa ligne, attendant que le poisson morde à l'hameçon - au propre comme au figuré.

De Budapest, où il travaille actuellement sur Dune de Denis Villeneuve, Patrice Vermette s'amuse néanmoins à dire que le réalisateur-scénariste-producteur Adam McKay, lui, n'a pas eu à attendre, attendre et attendre qu'il dise oui pour travailler avec lui. La lecture de son scénario a suffi. « C'est le meilleur que j'ai lu de toute ma vie. »

En le parcourant, ce scénario, le directeur artistique dit d'ailleurs avoir traversé toute une gamme d'émotions. « Parfois, je me mettais à rire. Parfois, je criais. À un moment, je me suis même mis à sauter sur mon lit. »

C'est qu'Adam McKay, cerveau critique comique oscarisé pour The Big Short, sait « vulgariser des idées complexes en usant d'humour et de métaphores ». 

« Ça prend des moments d'évasion. Nous traitons d'un sujet lourd. Mais ça reste du divertissement. » - Patrice Vermette, directeur artistique du film Vice

Exemple : cette scène, l'une de ses préférées de Vice, où Dick Cheney, son chef de cabinet David Addington, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et le secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz se réunissent dans un élégant resto aux lumières tamisées pour fomenter l'invasion de l'Irak. Un serveur (Alfred Molina) s'approche alors de leur table et leur énumère les possibilités qui s'offrent à eux en guise de repas. Au menu : « le combattant ennemi », « Guantanamo Bay », « une réinterprétation toute fraîche de la Loi sur les pouvoirs de guerre »... Rumsfeld se lèche les babines. Miam.

Pour cette séquence au sous-texte tragique traitée avec panache, Patrice Vermette a choisi de placer stratégiquement des tableaux du peintre du XVIIe siècle Nicolas Poussin en arrière-plan. « C'est la déchéance totale qui y est représentée. »

En représentant la vie de Dick Cheney, l'équipe annonce par ailleurs d'emblée à l'écran : « Ceci est une histoire vraie. » Quelques secondes de flottement et d'autres mots apparaissent. Nous avons fait de notre mieux. « We did our fucking best. »

Triangulation

En imaginant les décors et la facture visuelle du film, Patrice Vermette, comme les autres, a fait bien plus que son « fucking best ». La règle, dictée par la maison de production Annapurna, le stipulait : « Si nous avancions une idée, il fallait avoir trois sources pour la défendre. C'était assez sévère, mais c'était parfait ainsi. Parce que le propos se tient. »

En effet, on ne peut pas se permettre de se planter en recréant l'ONU ou la Chambre des représentants, soutien le DA. C'est pourquoi, pour représenter ce qui se passait dans la Maison-Blanche durant les attentats du 11 septembre 2001, par exemple, il s'est inspiré d'images prises par un photographe officiel.

Mais il a quand même pu insérer des « moments plus lyriques ». Ainsi, puisque les décisions du vice-président ont eu un impact sur la vie de milliers de soldats, comme de civils, Patrice Vermette a joué, dans les décors et dans les accessoires, sur l'imagerie militaire. Même si (ou d'autant plus que) Cheney ne l'a jamais fait, son service.

Une autre de ses idées ? Les intérieurs, là où se déroule la majorité de ce biopic, agissent comme des miroirs de l'ascension du vice-président. Car, avec les années qui passent, son pouvoir augmente. Son statut change. Et tout ce qui est autour de lui se met à changer aussi.

Voyez un peu : au départ, le dortoir sombre de Yale, où le jeune Dick se réveille le visage étampé sur un plancher sali de sa propension à trop faire la fête. La maison d'enfance défraîchie de sa fiancée Lynne. Le bar-billard crade où un Cheney chamailleur use de ses poings. 

Peu à peu, les tapisseries moches, fades et fleuries laissent place à d'élégantes fresques. Les rideaux tristes à de somptueuses draperies de velours. Les demeures délabrées à la Maison-Blanche.

Il faut dire que le film commence en 1963. Patrice Vermette confie que des scènes des années 50 ont même été tournées, puis coupées au montage. « Nous avons traversé 60 ans de vie politique américaine, cinq administrations différentes. Nous sommes passés à travers l'histoire. »

Notamment au travers de multiples combats armés. Chose que le créateur avait déjà explorée dans Sicario. « À chaque projet, on prend de l'expérience que l'on amène sur le prochain film. Ici, les scènes de guerre sont relativement simples. Mais efficaces, je crois ! »

Action, musique

Fils de bassiste, Adam McKay fait du cinéma comme d'autres font du jazz. (On se souviendra du délirant Talladega Nights : The Ballad of Ricky Bobby.) Et Patrice Vermette a été ravi de suivre son rythme. « Adam part le beat, mais il te laisse prendre le tien après ! Chacun a ses partitions, mais on jamme tous ensemble : le directeur photo, son monteur... »

Et ils ont jammé en restant toujours en Californie du Sud. Une « contrainte » dictée par l'acteur Christian Bale, qui incarne Cheney. « Il fallait absolument qu'il puisse travailler près de sa maison, de ses enfants. Nous avons donc trouvé notre décor naturel autour de Los Angeles. Et nous avons beaucoup tourné dans les studios de Sony. Beaucoup. » 

« C'était le jeu Tetris, la valse, le ballet des décors qui se construisaient et se déconstruisaient. » - Patrice Vermette

Parfois, on entend des artistes dire : « C'était si extraordinaire de travailler sur ce film, nous étions tous comme une grande famille », et on sait que c'était tout sauf extraordinaire. Reste qu'en écoutant Patrice Vermette raconter son expérience, on sent que c'était chouette. Vraiment, vraiment chouette. Malgré le défi titanesque consistant à concevoir plus de 200 décors différents. « Ça me fait capoter d'y penser ! Adam croit que c'est un record ! »

Et puis, il ne faut pas oublier la chance immense que représente le fait d'apprendre, de décortiquer un thème. « Ça fait partie des plaisirs de chaque film, note le DA. On nous demande de devenir l'expert d'un sujet. Avec Young Victoria, c'était la royauté. Avec Sicario, le trafic de la drogue. Cette fois, c'était la politique américaine. J'en sors avec un oeil aussi critique qu'avant. Mais mieux informé. »