À la fin du dernier film de l’épopée Star Wars, The Rise of Skywalker, je me suis surpris à être ému. Comme je ne l’ai jamais été en regardant un autre film de la série. Ce n’est pas tant la fin du film qui m’a ému que la conclusion, après 42 ans, d’une saga qui m’accompagne depuis toujours. L’émotion est liée au rapport à l’œuvre et mon rapport à Star Wars, comme bien des gens de ma génération, est empreint de nostalgie.

J’ai vu au cinéma mon premier Star Wars, The Return of the Jedi, à l’âge de 10 ans. J’ai vu les deux précédents films de la trilogie originale à la télé (ou en vidéocassette par la suite). Cette série a pour moi le goût de l’enfance. Elle est aussi intimement liée à mon rôle de père (à prononcer avec la voix caverneuse de James Earl Jones en Darth Vader) puisque j’ai transmis mon amour de Star Wars à mes fils. On est de la génération Passe-Partout ou on ne l’est pas !

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James Earl Jones (la voix de Darth Vader) dans The Empire Strikes Back

C’est ainsi qu’est né avec Fiston, il y a quelques semaines, le projet de revoir, en ordre chronologique de l’intrigue, tous les films de la série. Fiston est un mordu de Star Wars. Le genre à chercher du sens aux bandes-annonces, toujours trompeuses, dans le moindre détail. Le genre à fredonner les thèmes musicaux (signés John Williams) de chacun des personnages et à remarquer qu’au début des épisodes, à la fin du prologue (le fameux texte déroulant), il y a quatre points de suspension plutôt que trois… sauf dans un film.

En ouvrant mon ordinateur un matin, il y a deux semaines, j’ai découvert que Fiston avait préparé un tableau des cotes à donner à chaque épisode (ainsi que celles données par l’agrégateur Rotten Tomatoes). Une colonne pour lui, une autre pour moi. Nous étions prêts pour notre marathon Star Wars.

Je n’avais pas revu certains des films depuis longtemps. En 20 ans, malheureusement, mon avis sur la deuxième trilogie, celle des antépisodes, n’a pas changé. Ce Star Wars deuxième mouture reste pour l’essentiel assez désolant. L’épisode 1, The Phantom Menace, avec l’insupportable babil de Jar Jar Binks et les interminables courses de chars, m’irrite toujours autant. C’est un film pour enfants égaré dans un univers qui n’est pas si enfantin finalement, avec des performances d’acteurs atroces (à commencer par Liam Neeson). Fiston lui a accordé la note de 4,5 sur 10. Je lui ai donné un généreux 5.

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Ahmed Best (Jar Jar Binks) dans The Phantom Menace

L’épisode suivant, Attack of the Clones, n’est guère plus convaincant. « Tout d’un coup, la reine est amoureuse de celui qu’elle a connu enfant ! », a remarqué Fiston, avec une pointe d’ironie qui en disait long sur cette idylle improbable entre Padmé Amidala et Anakin Skywalker. Il n’a pas été plus tendre envers les effets spéciaux, qualifiés de « dégueulasses » (5,6 pour lui; 6 pour moi).

J’ai préféré le troisième épisode, Revenge of the Sith, beaucoup plus sombre. Les références bibliques à propos de la « prophétie » et de « l’élu », censé être incarné par Anakin, figure christique né d’une immaculée conception. Les références à César et Brutus ou à la Seconde Guerre mondiale (New Order était un surnom du IIIe Reich). Mais aussi le manque de subtilité dans les progressions dramatiques, notamment dans la psychologie des personnages. Anakin veut sauver Padmé; l’instant suivant, il menace de l’étouffer (7,2 pour Fiston; 7 pour moi) !

La transition du film de 2005 à celui de 1977 (A New Hope) prend une certaine acclimatation, en particulier aux décors, maquillages et effets spéciaux. Le rythme est plus lent. Les stormtroopers sont encore moins habiles dans le maniement des armes et tombent en grappes comme dans un jeu de quilles. Ce qui m’a le plus frappé ? L’aplomb de Leia, cheffe de la Rébellion. En 1977, une femme générale de l’armée, ce devait être assez inusité (Fiston : 7,5; moi : 8).

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Carrie Fisher (Leia Organa) dans A New Hope

Mon film préféré de l’épopée a toujours été – comme bien des fans – The Empire Strikes Back et sa célèbre phrase « Je suis ton père » (révélation faite par Darth Vader à Luke Skywalker). J’y ai compris pour la première fois l’aspect religieux de la Force et les références historiques de l’esthétique des personnages du « côté obscur », notamment au régime nazi et au KKK (Fiston et moi : 9).

En revoyant Return of the Jedi, j’ai constaté que je l’avais sous-estimé (sans doute en raison des Ewoks). On ne se lasse pas de l’humour sardonique de Han Solo, en particulier dans sa relation d’amour-haine avec la princesse Leia. Luke, qui sauve son père des griffes de l’Empire juste avant sa mort, en ramenant le Seigneur noir des Sith à la lumière de la Force, est un revirement inoubliable (Fiston et moi : 8,5).

Après les antépisodes sans humour ni mystère du début des années 2000, le septième épisode, The Force Awakens, a redonné en 2015 son lustre à une série qui s’était égarée sous la gouverne de son créateur, George Lucas. Que Kylo Ren, alias Ben Solo, fils de Han et de Leia, ait mal viré à l’adolescence, malgré les bons conseils de son oncle Luke, est un ressort dramatique prometteur. On retrouve avec bonheur des visages connus (qui ont vieilli) et on découvre de nouveaux personnages attachants : Rey, Finn et Poe, le « nouveau Solo » (Fiston : 9; moi : 8,5).

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Kelly Marie Tran (Rose Tico) et John Boyega (Finn) dans The Last Jedi

Le couac est venu, de l’avis de bien des fans (j’en suis), avec The Last Jedi, exemple type de « trop, c’est comme pas assez ». Retour au film pour enfants (à la Phantom Menace) lors d’une longue digression inutile dans une ville où se trouve un casino. Rebondissements invraisemblables et problèmes de logique qui ont fait tiquer Fiston. De l’humour forcé et facile. Un demi-ratage, scénarisé et réalisé par Rian Johnson, malgré quelques belles idées. Fiston n’a pas été impressionné : 3,8. J’ai été plus indulgent : 6.

Après de Last Jedi et sa panoplie d’intrigues secondaires superflues, je craignais le pire : que l’on évacue encore davantage la mystique qui entoure Star Wars, pour finir d’en faire une saga familiale portant le sceau de Disney. J’espérais de l’humilité de la part du réalisateur J.J. Abrams, pour tenter de faire oublier l’arrogance de Rian Johnson vis-à-vis des fans. Les Star Wars ne sont pas des films d’auteur. Qui se souvient d’Irvin Kershner ?

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Daisy Ridley (Rey) et Adam Driver (Kylo Ren) dans The Rise of Skywalker

Ce qui m’intéresse dans Star Wars, ce qui m’a toujours intéressé, c’est sa mythologie, ses intrigues généalogiques, ses tragédies familiales shakespeariennes : la résolution des conflits œdipiens, les guerres fraternelles, les froids et les réchauffements entre clans ennemis. Tout ce qui s’articule autour des déchirements éthiques du clan Skywalker, entre le Bien et le Mal. Les pouvoirs occultes des seigneurs Sith et des chevaliers Jedi, le sort de l’Empire et de la Rébellion, ainsi que leurs nombreuses déclinaisons.

À mon grand soulagement, J.J. Abrams y est « allé avec la famille », comme à La guerre des clans. Le neuvième épisode, The Rise of Skywalker, est cohérent et respecte les codes de l’épopée, avec plusieurs clins d’œil à la clé. Le film boucle toutes les boucles et ne laisse aucune ficelle dénouée. Toutes les intrigues importantes sont résolues. Les destins de tous les personnages sont connus. Rey, tiraillée par la Force, ne pouvait être que la fille de ferrailleurs alcooliques. Je suis sorti de la salle à la fois ému, et le sourire aux lèvres. Je ne pouvais espérer une conclusion plus satisfaisante. Et Fiston non plus….