Le nouveau long métrage de Mariloup Wolfe, Jouliks, n’a pas encore pris l’affiche qu’il soulève déjà l’ire de membres de la population rom.

Dafina Savic, la directrice et fondatrice de Romanipe, organisme de défense des droits de la personne des populations roms, a été très déçue par Jouliks, adaptation par Marie-Christine Lê-Huu de sa pièce du même titre, qui prendra l’affiche vendredi.

« Les clichés sur les Roms sont très répandus en littérature et au cinéma, dit-elle. Il y a beaucoup de choses problématiques dans le scénario. Il est bourré de préjugés, véhicule des stéréotypes et propose une représentation erronée de la population rom. »

J’avoue ne pas avoir été moi-même happé par cette « représentation erronée », n’étant pas très au fait de la réalité rom. D’autant plus que le terme « rom » n’est jamais prononcé dans le film. J’ai plutôt vu dans le personnage de Zak (Victor Andrés Trelles-Turgeon) un esprit libre qui se reconnaît dans le personnage, tout aussi libre, de Vera (Jeanne Roux-Côté). Ce « joulik » (« voyou », en russe), marginalisé et méprisé, ne croit pas pouvoir s’émanciper tout en étant engoncé dans le carcan religieux du Québec des années 70.

Il aurait pu être un simple hippie ou un bohème anticonformiste. « Il se qualifie lui-même de “joulik”, de manière ironique », fait valoir la productrice du film, Annie Blais, jointe hier à Rouyn, où Jouliks était présenté dans la cadre du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue. « On a voulu que cet élément existe, pour pouvoir aborder le racisme dont Zak est victime. »

Dans le scénario original, le personnage de Zak était un Rom. Sollicitée peu avant le tournage, Dafina Savic a rencontré Annie Blais au moment où l’équipe de Jouliks tentait de recruter des acteurs et figurants roms. La jeune militante a lu le scénario et fait part de ses réserves et de ses craintes. Elle a conseillé à la productrice d’enlever toutes les références à la population rom. Ce qui fut fait. Elle regrette cependant que le « caractère rom » du scénario ait été conservé.

« C’est clair qu’on parle des Roms », estime Dafina Savic, en faisant référence à la musique tzigane et aux danses traditionnelles dans le film. Aussi, dit-elle, le titre fait clairement référence à la population rom, « jouliks » étant un terme péjoratif pour la désigner.

« Il n’y a pas de débat là ! » croit de son côté la cinéaste Mariloup Wolfe, qui a rencontré la sœur de Dafina Savic, la journaliste et militante Lela Savic, avant le tournage. « On a enlevé toutes les références aux Roms, dans un esprit de respect et de collaboration. Le film parle de racisme, d’exclusion, de valeurs qui s’entrechoquent. Nous avons été très à l’écoute, nous avons posé des questions. Nous avons entendu les inconforts et nous avons réagi en modifiant des choses. Mais nous n’avions pas la même vision artistique ! »

Dafina Savic, qui travaille auprès de réfugiés roms menacés d’expulsion, estime quant à elle que l’image stéréotypée des Roms dans le film — des nomades « sauvages » perçus comme des voleurs criminels en mauvais termes avec la police, qui refusent de scolariser leurs enfants — perpétue des préjugés tenaces qui ont des conséquences néfastes, ici comme ailleurs.

Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’elle en appelle aux artistes à « faire leurs devoirs » lorsqu’il est question des Roms, dit-elle. Sa sortie fait penser, inévitablement, aux polémiques autour des pièces Kanata et SLĀV, de Robert Lepage, l’an dernier. Et notamment à la réaction de l’historien et rappeur Webster, consulté par Robert Lepage pour SLĀV, qui avait été déçu par manque de représentation de la communauté noire dans la pièce.

« Nos ressources limitées ne nous permettent pas de faire la révision d’œuvres artistiques », dit Dafina Savic, qui estime que l’on n’a pas tiré de leçons de l’épisode SLĀV et Kanata. « Ce n’est pas le manque de représentation de la population rom que nous dénonçons, mais le fait que, bien que nous ayons fait part de nos inquiétudes, on est allé de l’avant et on a conservé les aspects du scénario véhiculant des images erronées de notre existence. Ces images ont un impact réel sur les populations. »

Ces images erronées, dit-elle, contribuent à déshumaniser les populations roms, qui comptent parmi les plus persécutées et discriminées d’Europe (elles sont notamment ghettoïsées dans certains pays, comme l’Italie). « C’est un film très bien fait, qui risque de gagner des prix à l’étranger, mais sur le dos des Roms », croit la fondatrice de l’organisme Romanipe. « Être rom, c’est une ethnie, ce n’est pas un style de vie. On est un peuple, pas un choix artistique. Lorsqu’on fait un choix artistique, il faut en assumer la responsabilité. »

En effet. Mais peut-on reprocher à un personnage fictif d’incarner un archétype ? Peut-il présenter des zones d’ombres et des aspérités, quitte à véhiculer des stéréotypes ? Est-ce le rôle d’une œuvre de fiction de défaire des clichés et des préjugés ? Et la responsabilité d’une artiste issue de la majorité de faire la part belle à une population victime d’exclusion ?

Ce sont de bonnes questions. À défaut d’y répondre, on devrait au moins se les poser.