Diana Prince, alias Wonder Woman : force et agilité surhumaine, capacité de voler, longévité accrue. Carol Danvers, alias Captain Marvel : force et agilité surhumaine, capacité de voler, peut projeter et absorber de l’énergie. Jean Grey, alias Phoenix : télépathie, télékinésie, capacité de voler, peut projeter et absorber de l’énergie.

Ces trois superhéroïnes en vedette dans trois séries de films de trois studios différents ont plusieurs caractéristiques communes. L’une, évidente mais qui peut sembler anodine, les distingue de la plupart des superhéros : elles sont hyperpuissantes. Leurs collègues masculins ont évidemment des habiletés particulières, mais, dans le cas de ces trois femmes, elles sont pratiquement invincibles. Superman a la kryptonite. Elles ? Bonne chance à ceux qui oseront les défier !

« J’ai remarqué cette tendance de guerrières assez vertueuses. Elles sont irréprochables, infaillibles, souligne Fanie Demeule, autrice, scénariste et doctorante en études littéraires à l’UQAM, qui a pour sujet de thèse les héroïnes romanesques. Elles demeurent des figures qui sont conçues d’un point de vue masculin tout comme les mythes qui les ont inspirées à la base, tel celui de Jeanne d’Arc, qui elle-même est une figure monumentale. […] Il y a un côté idéal qui reste, un côté fantasmagorique. »

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Gal Gadot (Wonder Woman)

Très attendues

Après des années à jouer les seconds violons ou à incarner le personnage central de productions de qualité inférieure (Supergirl, Catwoman, Elektra), des superhéroïnes sont enfin mises de l’avant. 

En deux ans, trois femmes ont été les têtes d’affiche de trois superproductions hollywoodiennes. Gal Gadot est devenue la première Wonder Woman du grand écran en 2017. Brie Larson a fait connaître Captain Marvel aux cinéphiles plus tôt cette année. Puis, Sophie Turner reprend le rôle de la mutante Jean Grey dans Dark Phoenix, film entièrement consacré à son personnage, en salle aujourd’hui.

« Il y a un réel appétit à la fois sociologique et commercial pour attirer un public féminin vers des genres qu’on dit traditionnellement masculins, alors que ça fait très longtemps que la science-fiction et le fantastique sont peuplés d’auteures et de lectrices. C’est un peu une fausse impression. » — Antonio Dominguez Leiva, auteur et professeur en études littéraires à l’UQAM

De toute évidence, le public a faim. Mondialement, les recettes de Wonder Woman s’élèvent à 821 millions, tandis que celles de Captain Marvel atteignent 1,1 milliard. Les deux films occupent respectivement la 75e et la 22e place du box-office mondial de tous les temps. On comprend bien pourquoi 20th Century Fox a voulu imiter ses rivaux DC Entertainment et Marvel Studios.

« Imiter » est le mot-clé ici, car il y a bel et bien une formule. « Il y a un climat social qui est à la catastrophe, mais qui est aussi à l’empuissancement féminin, explique Jean-Michel Berthiaume, doctorant en sémiologie à l’UQAM et coanimateur de la balado Pop-en-stock. Les grands récits de puissance masculine nous ont menés à la perte actuelle et les superhéros ne nous offrent pas de solution. Batman ne vaincra jamais le crime. Superman empêche l’humanité d’évoluer, car il la sauve constamment. On fonde donc nos espoirs dans des personnages féminins extrêmement forts. »

Antonio Dominguez Leiva abonde : « Il y a cette volonté très affichée de créer des personnages féminins puissants, puis en même temps, il y a une longue tradition de méfiance à l’égard des superpouvoirs féminins, de la force sacrée féminine. C’est autour de cette ambivalence que les questions se jouent. »

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Brie Larson (Captain Marvel, dans le film du même nom)

Dans Wonder Woman, le dieu de la guerre Arès tente de corrompre l’amazone afin qu’elle utilise ses pouvoirs pour détruire l’humanité. On apprend assez tôt dans Captain Marvel que Carol Danvers est contrôlée par son entourage, qui craint qu’elle découvre toute sa puissance. Du côté de Dark Phoenix, Jean Grey découvre qu’elle a été manipulée par son père adoptif et refuse qu’il l’aide à contenir ses nouveaux pouvoirs. On envoie le message qu’elles veulent faire le bien, mais il y a sans cesse des forces qui les dirigent dans la direction opposée.

Fanie Demeule résume la situation ainsi : « Il y a une persistance inconsciente du désir que la femme demeure dans un équilibre parfait. […] Soit les héroïnes sont désintéressées par le pouvoir et vouées à la protection des plus faibles, soit elles démontrent une méchanceté sans borne et vont utiliser leur pouvoir à des fins personnelles. Les zones de gris sont plutôt rares. On tombe rapidement dans l’un des deux extrêmes. »

Et lorsque le pire arrive…

« Il y a une figure très récente de l’empowerment féminin représentée comme quelque chose au potentiel destructeur : Daenerys dans Game of Thrones », remarque Antonio Dominguez Leiva. La mère des dragons, qui a démontré tout au long de la série une grande compassion et le réel désir d’accéder au trône afin de libérer les peuples de Westeros, a choqué bien des téléspectateurs en changeant radicalement ses plans.

« Il y a une difficulté d’accepter qu’un personnage féminin ait envie de prendre le pouvoir pour soi et non simplement pour améliorer le sort de l’humanité. S’il n’y a pas cette justification, ça devient automatiquement une folle ou un monstre. » — Fanie Demeule, autrice, scénariste et doctorante en études littéraires à l’UQAM

« Les héroïnes sont scrutées à la loupe. Elles n’ont pas droit à l’erreur. Si elles démontrent une faille, elles vont se faire juger beaucoup plus sévèrement par le public, estime Marie-Lune Brisebois, qui collabore à la balado Les mystérieux étonnants. On est habitués de voir des héros masculins et on a tendance à en laisser passer. Quand tu représentes une minorité, tu as tout ce poids sur les épaules. Si une se fâche, on va rapidement dire que toutes les héroïnes sont hystériques. »

Selon Fanie Demeule, « les représentations à l’écran traduisent comment on perçoit les femmes en société, mais, inversement, elles vont influencer notre perception des femmes au pouvoir ».

Mieux que rien

Comme les immenses recettes et les critiques plutôt positives le démontrent, les récents films mettant en vedette des superhéroïnes ont satisfait le public. Il peut y avoir de l’amélioration, mais c’est un début.

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Sophie Turner (Jean Grey) dans Dark Phoenix

« Personnellement, je crois que c’est plus avantageux d’avoir des héroïnes qui sont fortes à tout casser que d’autres plus faillibles, même si les représentations sont peut-être un peu trop unilatérales et irréalistes », juge Fanie Demeule.

Même si elle se considère comme une « enthousiaste des superhéros », Marie-Lune Brisebois souhaite davantage de changement dans les années à venir. « Les milieux du cinéma et de la bande dessinée ne font pas assez de place aux femmes. Je sais que c’est une business et qu’on veut faire de l’argent. Ceux qui sont réfractaires au changement sont souvent ceux qui parlent le plus fort, donc l’industrie préfère leur donner ce qu’ils veulent », concède-t-elle.

Pour sa part, Jean-Michel Berthiaume de Pop-en-stock est heureux d’enfin voir des superhéroïnes en vedette au cinéma, mais il admet tout de même que les studios « sont un peu en retard au party ».