(Cannes) Ils n’avaient pas dormi de la nuit, ou presque. Ils avaient fait la fête chez Albane — le quartier général des fins de soirées cannoises — jusqu’au petit matin. Je ne m’en serais pas douté tellement leur enthousiasme masquait leur gueule de bois. Xavier Dolan s’est commandé un verre de blanc. Ceux qui n’étaient pas passés au café l’ont imité.

Tout l’après-midi hier, les acteurs et le réalisateur de Matthias & Maxime ont enchaîné les entrevues pour la presse internationale sur le quai de la plage du chic hôtel Majestic. Le huitième long métrage de l’acteur-cinéaste québécois prendra l’affiche en France et en Italie, fin septembre, début octobre. Au Québec, on ne sait pas encore. Mystère et boule de gomme, comme c’est du reste le cas pour The Death and Life of John F. Donovan, film « maudit » de Dolan, qui n’a pas encore chez nous de date de sortie.

Une demi-douzaine d’amis acteurs et actrice, fin vingtaine, début trentaine, qui semblent se connaître comme frères et sœur, qui finissent les phrases des uns et des autres, se tirent la pipe, s’envoient des fleurs. Une référence à Harry Potter ou au Seigneur des anneaux, films cultes de leur enfance, n’est jamais loin. On croirait assister à une scène coupée au montage de Matthias & Maxime.

PHOTO STÉPHANE MAHÉ, REUTERS

Gabriel D’Almeida Freitas, Samuel Gauthier, Catherine Brunet,
Adib Alkhalidey, Pier-Luc Funk et Antoine Pilon

C’est un film sur l’amitié. Xavier Dolan n’a cessé de le répéter. Sur l’amitié de groupe. Dolan a écrit des rôles sur mesure à ses amis, alors qu’il avait du temps libre, seul à l’hôtel, sur le tournage de Boy Erased de Joel Edgerton, à Atlanta, il y a deux ans.

L’idée du scénario avait germé peu avant, à l’occasion d’un week-end entre amis dans un chalet de Mont-Tremblant. Matthias & Maxime commence d’ailleurs dans un chalet (clin d’œil, que l’on devine ironique, au Déclin de l’empire américain) et met en scène plusieurs jeunes acteurs révélés à la télé grâce à la série Le chalet. Toutte est dans toutte…

Dolan avait grand besoin, à l’époque, d’échapper au montage du « tabarnak de Donovan », dit-il. « Tabarnak », vraiment ? « Rendu là, il n’y a plus de mystère », concède-t-il, le sourire en coin, en parlant de la mésaventure de son dernier film. Après son expérience difficile — c’est une litote — sur cette ambitieuse production anglophone, il avait envie de tourner un film entre amis, chez lui. Et ses amis avaient envie d’être à la hauteur de ses attentes.

« Notre amitié nous a permis d’avoir une longueur d’avance sur le travail à faire, dans le rythme et la confiance », explique Pier-Luc Funk, qui incarne un étudiant en psychologie fanfaron de Cambridge, de passage chez ses parents. Cette amitié a par ailleurs permis à Dolan de se libérer « d’une lourdeur ou d’une pression » qu’il ressentait auparavant en présentant ses films en compétition à Cannes.

La bande de copains a savouré l’accueil chaleureux réservé au film la veille par les spectateurs du Grand Théâtre Lumière.

« C’était vraiment beau à voir, toute cette admiration pour Xavier. Ça rend fier. Tu as envie de lui dire que tu l’aimes. » — Gabriel D’Almeida Freitas, qui interprète Matthias, son premier grand rôle au cinéma

La réception médiatique à Matthias & Maxime, elle, n’a pas été aussi chaleureuse. Comme c’est souvent le cas avec Dolan et ses films, on aime ou on déteste. C’est tranché au couteau. Au tableau cumulatif des publications spécialisées Le film français et Screen, Matthias & Maxime obtient les notes parmi les plus modestes de la compétition.

Le magazine spécialisé Hollywood Reporter n’a pas du tout apprécié, mais son concurrent Variety, qui n’a jamais plébiscité le cinéma de Dolan, salue avec force épithètes ce film « maîtrisé », à la fois « plus doux et plus mûr » que ses précédents. Du côté de la presse française, les quotidiens populaire Le Parisien et conservateur Le Figaro trouvent que Dolan « lasse et se répète », alors que les magazines culturels (Les Inrocks, Télérama) lui lancent des fleurs.

La presse de référence le soutient aussi. Le Monde estime que Dolan « réussit un de ses films les plus beaux, intimistes et touchants ». Et le Guardian de Londres, sous la plume de Peter Bradshaw — qui lui accorde quatre étoiles —, remarque qu’« il y a tant de douceur et de tendresse dans ce film ».

PHOTO LAURENT EMMANUEL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Nancy Grant (productrice), Antoine Pilon, Pier-Luc Funk,
Xavier Dolan, Gabriel D’Almeida Freitas, Samuel Gauthier,
Adib Alkhalidey et Catherine Brunet 

Plus tôt dans la journée, l’équipe du film assistait à la traditionnelle conférence de presse des films de la compétition, avec ce même sentiment léger de colonie de vacances. Devant une salle comble, vêtu d’un très élégant complet trois-pièces gris (qu’il avait lui-même dessiné), Xavier Dolan a été chaudement applaudi dès son arrivée.

« On me demande si ça devient répétitif de présenter des films à Cannes, a-t-il déclaré. Le film qu’on y apporte est chaque fois différent. Cette fois-ci, j’ai la chance de pouvoir le partager avec des gens que j’aime et de leur faire vivre le bonheur, le vertige, le stress et le manque de sommeil qui m’habitent depuis maintenant 10 ans ! »

Gabriel D’Almeida Freitas, surtout connu comme acteur et concepteur d’émissions de télé, dit avoir vécu cette expérience « comme un enfant qui va à La Ronde ». Le personnage qu’il incarne est en proie au doute, après un baiser imposé par les besoins d’un film étudiant, qui trouble ses rapports avec Max, son ami d’enfance. Sa vie semble dessinée devant lui : une carrière dans un bureau d’avocats, une compagne, possiblement des enfants. Puis ce modèle de mâle alpha est remis en question, violemment.

« J’aime les personnages qui sont cruels parce qu’ils vivent profondément mal avec leur nature. Ils ont des réactions fortes par rapport à leur environnement, une gêne ou une honte. » — Xavier Dolan

« Le film parle aussi de jeunes hommes qui sont certains de leur identité hétérosexuelle depuis le début de leur adolescence. Ce baiser remet en doute des certitudes qui étaient en place. »

À ceux qui lui reprochent d’aborder constamment les mêmes thèmes (l’homosexualité et les rapports mère-fils), Dolan avait une réponse tranchée hier. « Nous avons tous eu une mère ! On ne parle jamais de film hétéros. On ne dit jamais : c’est un film entre un homme et une femme. C’est bizarre au début, mais au bout de 15 minutes, on s’habitue », ironise-t-il.

Matthias & Maxime n’est pas un film sur l’amour gai, mais sur l’amour tout court, affirme le cinéaste. « C’est surtout un film sur l’amitié. Est-ce que l’amitié est plus forte que l’amour ? Est-ce que l’amitié est de l’amour ? C’est la question que pose ce film. »

PHOTO LAURENT EMMANUEL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Xavier Dolan

Avec ce huitième long métrage — le sixième présenté à Cannes — en dix ans, Xavier Dolan a l’impression de boucler un chapitre de sa carrière. « Oui, dit-il, c’est un film de transition. J’ai 30 ans. C’est la fin d’une décennie passée ici au Festival de Cannes, avec toutes sortes de sentiments : victoires, déceptions, rejets, triomphes, rencontres. »

Il dit avoir beaucoup appris de ses erreurs. Matthias & Maxime était l’occasion, sur le plan formel, d’essayer autre chose, d’explorer une autre part de lui-même, avec davantage de retenue, précise-t-il. « Je ne vais pas passer ma vie à filmer des gens qui s’engueulent dans une cuisine ! »

Il me le confiait avant de se rendre à Cannes : Dolan a pris la résolution, pour ses 30 ans, de moins tourner de films et de jouer davantage. Il incarnera d’ailleurs dans le prochain long métrage du Français Xavier Giannoli (Quand j’étais chanteur) le rôle d’un « jeune auteur prétentieux » dans une adaptation d’Illusions perdues de Balzac. « Je ne sais pas où je vais trouver à m’inspirer pour un tel personnage ! », disait-il hier, provoquant des fous rires chez ses amis. « Je rêve de tourner des films différents, des films de genre, des films d’horreur », dit l’acteur-cinéaste, qui tient un rôle dans la suite du film It — qu’il avait tant aimé —, dont la sortie est prévue l’automne prochain.

Si Xavier Dolan compte moins tourner, cette résolution semble avoir été repoussée à plus tard… Le prolifique touche-à-tout a déjà un long métrage américain dans sa mire, pour l’automne : l’adaptation d’une pièce de théâtre qu’il aimerait réaliser, mais dont la production n’a pas encore été confirmée. D’ici là, il y a le détail du palmarès de la compétition, demain soir. Il n’en a pas du tout été question. Qui sait ce qui se trame dans la tête de neuf jurés ?

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le compositeur et pianiste Jean-Michel Blais

Jean-Michel à la plage

Rencontré sur le quai de la plage du Majestic, hier midi, le brillant compositeur et pianiste Jean-Michel Blais savourait sa chance d’être au Festival de Cannes. Il y a à peine trois ans, le pianiste de 35 ans, formé au conservatoire de Trois-Rivières, était toujours professeur de cégep en technique d’éducation spécialisée. Son premier album, sur la prestigieuse étiquette Arts & Crafts (Feist, Gonzales), a été célébré par la critique — le magazine Time en a fait l’un de ses dix meilleurs disques de l’année — et sa carrière internationale a soudainement décollé.

Xavier Dolan, un de ses admirateurs, lui a proposé de concevoir la bande originale de Matthias & Maxime. « Il m’a appelé. Il était tout gêné ! Ça m’a étonné », dit Blais, qui a pris son vélo et s’est rendu chez Dolan. Il était lui-même, de son propre aveu, « très intimidé ».

Le cinéaste, un mélomane dont les scénarios sont guidés par la musique, lui a fait écouter différentes pièces, dont un mouvement de sonate de Schubert qui est devenu le thème, avec de multiples variations, de la trame du film.

« Schubert est un personnage mystérieux dans la musique classique, rappelle le pianiste. On ne connaît pas sa vie intime. Était-il gai ? Bi ? Xavier n’était pas au courant, mais c’est un intuitif. Sans qu’il le sache, ce choix était vraiment en phase avec son film. »

La musique de Matthias & Maxime a été composée directement en studio, pendant le tournage. Dolan expliquait les scènes à Blais, puis lui faisait entendre des musiques qui correspondaient aux ambiances qu’il recherchait. Blais improvisait à l’oreille des thèmes semblables au piano que le cinéaste faisait jouer sur le plateau, pendant les prises.

« On a fini par garder ces improvisations dans le film, dit-il. J’appelle ça des variations cinématographiques sur un thème schubertien. On est plus dans du piano classique, et pas dans ce que j’ai fait récemment. »

Jean-Michel Blais a toujours voulu composer des musiques de film. C’était la première fois, mais ce ne sera certainement pas la dernière. « Je me suis senti comme Angelo Badalamenti qui composait le thème de Twin Peaks avec David Lynch. Ce fut un immense privilège. »