(Cannes) Si Xavier Dolan a un don, c’est celui d’émouvoir par de purs moments de cinéma. Des scènes d’anthologie nous prennent à la gorge, nous troublent et nous hantent pendant longtemps. Il nous refait le coup chaque fois. Il nous l’a refait hier.

Matthias et Maxime, huitième long métrage du cinéaste québécois, qu’il présentait en fin d’après-midi au Festival de Cannes, est le film le plus émouvant d’une compétition très relevée qui tire à sa fin.

Certains retenaient leurs larmes, d’autres se laissaient aller à l’émotion, au terme de la projection officielle, qui s’est conclue par une ovation de huit minutes dans un Grand Théâtre Lumière archicomble. Dolan lui-même était prêt à y mettre un terme lorsque Thierry Frémaux, délégué général du Festival, l’a retenu dans la salle, au grand plaisir de la foule.

Les amies actrices du cinéaste, Marion Cotillard dans la rangée devant, Monia Chokri dans la rangée derrière, avaient les yeux rougis par l’émotion. « Je ne pourrai pas parler longtemps parce que je suis très ému, a déclaré au micro l’acteur-cinéaste. Ça fait quand même 10 ans que je suis débarqué à Cannes avec J’ai tué ma mère. J’ai vécu ici tellement d’expériences enrichissantes, de belles rencontres et de moments comme celui-ci. Merci ! »

« Merci ! », a crié à son tour un spectateur, du balcon, où les admirateurs de Dolan étaient venus nombreux et enthousiastes… et l’avaient longuement ovationné, avant même le début de la projection.

C’était hier l’occasion d’une nouvelle rencontre, d’une énième communion entre Xavier Dolan et le public de Cannes, qui en a fait un enfant chéri il y a une décennie. Pour la troisième fois en compétition, le Québécois revient en force avec un film plus doux, plus mélancolique, plus sublimé que la plupart de ses longs métrages précédents.

Un malaise s’installe dans un groupe d’amis (Dolan, Gabriel D’Almeida Freitas, Pier-Luc Funk, Samuel Gauthier, Antoine Pilon et Adib Alkhalidey) lorsque deux d’entre eux, Matt (D’Almeida Freitas) et Max (Dolan), sont contraints de s’embrasser pendant le tournage d’un court métrage universitaire. Ils sont amis depuis l’enfance, se définissent comme des hétérosexuels, mais leur baiser à la caméra, en apparence anodin, fait naître un doute dans l’esprit de chacun. Surtout que Max s’apprête à partir pour un long voyage en Australie.

PHOTO SHAYNE LAVERDIERE, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Une scène de Matthias et Maxime, de Xavier Dolan

Matthias et Maxime explore finement cette relation devenue soudainement ambiguë et ses répercussions sur une bande de vieux amis de diverses origines et classes sociales. C’est un film tout en retenue, d’une rare sensibilité, sur l’identité et l’amitié, qui marque un tournant dans la carrière de Xavier Dolan.

Sans s’écarter complètement de ses thèmes de prédilection (les amours de jeunesse, le rapport mère-fils), Xavier Dolan explore un nouveau registre, en phase avec sa trentaine naissante.

Matthias et Maxime, son œuvre la plus intimiste, fait l’économie des coups d’éclat et de l’esbroufe de ses films de jeunesse. Ce qu’il perd en fulgurance, il le gagne en fluidité, en cohérence et en maturité. La palette du cinéaste s’enrichit encore davantage.

Dolan a du reste pris de la maturité comme acteur. Il n’a jamais été plus vulnérable, plus singulièrement présent à l’écran tout en étant à la fois plus effacé, timide et complexé par une tache de naissance au visage. Gabriel D’Almeida Freitas est tout aussi convaincant dans le rôle d’un jeune avocat qui perd soudainement ses repères dans un univers typiquement hétéronormatif.

Il n’y a aucune fausse note dans le jeu des autres jeunes acteurs (Marilyn Castonguay, notamment), qui comptent parmi les plus talentueux du Québec.

« Qu’est-ce qu’il est beau ce Canadien, ce Ruiz [D’Almeida Freitas] ! Il faudra nous le présenter ! », disait hier une journaliste belge dans la cinquantaine, qui regrettait de ne pas avoir saisi tous les dialogues du film.

C’est vrai que Dolan ne lésine pas sur la langue vernaculaire. Le français québécois, dans ses différentes déclinaisons et ses niveaux de langage, est mis en valeur dans toute sa splendeur. Ce qui n’empêche pas le cinéaste de ridiculiser certains excès de franglais de la génération Y.

La musique occupe aussi, comme dans tous les films de Dolan, une place de choix dans le récit, à commencer par les morceaux néoclassiques du brillant Jean-Michel Blais, qui signe la trame sonore. La bande originale regorge aussi de chansons tantôt inspirantes (d’Arcade Fire, par exemple), tantôt déchirantes (Another Love de Tom Odell). Jusqu’au point d’orgue d’une scène à pleurer de beauté entre Max et Matt, bercée par la magnifique pièce de Phosphorescent Song for Zula.

Tourné en partie caméra à l’épaule, en 35 mm, avec des images superbes — notamment une longue traversée de lac — signées André Turpin et Yves Bélanger, les deux complices de Dolan à la direction photo depuis ses débuts, Matthias et Maxime a un rythme plus lent, moins saccadé et « clippé » que les films de sa première période.

Il rappelle toutefois à certains égards Mommy ou J’ai tué ma mère (notamment dans la confrontation du personnage de Max avec sa mère toxicomane en sevrage, interprétée par une Anne Dorval quasi méconnaissable). Une scène entre femmes dans un décor kitsch de banlieue, volontairement maniérée, est typique du cinéma du Québécois.

Il y a de l’émotion mais aussi de l’humour dans ce film, où le dialoguiste d’exception qu’est Dolan nous offre de nouvelles perles (« Ginette, ça fait longtemps qu’a raccroché sa sacoche ! », dit sa tante, une célibataire endurcie). Il ne rate pas l’occasion d’égratigner la critique, avec qui il a un rapport d’amour-haine : « Il y a du Elmodovar là-dedans », dit une mère de la Rive-Sud en regardant le court métrage amateur d’une étudiante nommée Rivette (aucun lien de parenté avec Jacques).

Plus tôt dans la journée, on rivalisait d’invention pour tenter d’obtenir une invitation à la première. Une jeune femme avait préparé une pancarte sur laquelle apparaissait un drapeau québécois et le titre du film dans le lettrage de l’affiche officielle. Une autre précisait, en anglais, qu’elle était une immense fan de Dolan.

« J’ai, par amour, et cherchant à remédier à un sentiment d’imposture, fait un fou de moi plus souvent qu’à mon tour, écrit le cinéaste dans les notes d’intention de son film. Le succès s’accompagne d’isolement et avant que j’aie pu m’en rendre compte, j’étais, après avoir franchi mon premier quart de siècle, seul, les trois quarts du temps. »

C’est son cercle d’amis, poursuit-il, qui lui a permis de sortir de cet isolement. Des amours imaginaires, il est passé aux amitiés réelles. Grâce à des proches « avec qui, avant d’être réalisateur ou scénariste, j’ai pu être moi-même. Ce que j’ai donné et parfois perdu en amour, avec eux je l’ai retrouvé. Je crois qu’au fond, davantage que de faire des films, dans la deuxième moitié de ma vingtaine, je me suis fait des amis ».

Matthias et Maxime est un très beau film sur l’amitié. C’est aussi une œuvre sur les tourments de l’amour. Après le Prix du jury décerné à Mommy en 2014 et le Grand Prix du jury obtenu par Juste la fin du monde en 2016, obtiendra-t-il la Palme ? Je ne suis pas devin, mais je ne compterais pas là-dessus. La compétition est forte, et la pression d’enfin remettre « sa » Palme d’or à Pedro Almodóvar le sera tout autant samedi soir…

Un policier intello

PHOTO ERIC GAILLARD, REUTERS

L’actrice Léa Seydoux et le réalisateur Arnaud Desplechin sur le tapis rouge de leur film Roubaix, une lumière, présenté hier en compétition officielle au Festival de Cannes

Aussi présenté en compétition hier, Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin, tourné dans sa ville natale (comme plusieurs de ses films). Le commissaire Daoud (Rochdy Zem, excellent) patrouille avec calme dans la ville qui l’a vu grandir, la ville la plus pauvre de France, située dans le Nord, près de Lille. Un nouvel enquêteur (Antoine Reinartz) arrive au commissariat et sera affecté au meurtre d’une vieille dame. Ses deux jeunes voisines (Léa Seydoux et Sara Forestier) ont-elles vu quelque chose ?

C’est un bon cru de la part du cinéaste de Rois et Reine et Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle), habitué de la compétition cannoise. Mais ce film policier intello campé dans une banlieue « sensible » souffre forcément de la comparaison avec Les Misérables de Ladj Ly, plus nerveux et foudroyant, sur le même thème, présenté la semaine dernière.

Tarantino n’a pas parlé à Polanski

PHOTO REGIS DUVIGNAU, REUTERS

Le réalisateur américain Quentin Tarantino a répondu hier aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse sur son film Once Upon a Time... in Hollywood, présenté à Cannes en compétition officielle.

Inquiet la veille que les journalistes divulgâchent son nouveau film, présenté en compétition, Quentin Tarantino était aussi sur ses gardes, hier, à l’occasion de la conférence de presse très courue de Once Upon a Time… in Hollywood, en compagnie de ses acteurs vedettes Leonardo DiCaprio, Brad Pitt et Margot Robbie.

Le cinéaste américain, d’ordinaire très loquace, a répondu sèchement à un journaliste qui a osé lui demander s’il avait consulté Roman Polanski avant, pendant ou après avoir écrit le scénario de son film, qui évoque l’histoire de Sharon Tate, la femme de Polanski, assassinée par le clan de Charles Manson alors qu’elle était enceinte de huit mois. « Non », a dit Tarantino, tout en se disant fan de Polanski et de Rosemary’s Baby. « Plus on en sait sur Charles Manson, plus les choses sont incompréhensibles. »

« Les moments où j’apparais permettent de rendre hommage à Sharon Tate, a ajouté Margot Robbie, qui incarne l’actrice. Ce qui compte ici, c’est de montrer la perte de l’innocence. Il n’est pas nécessaire de beaucoup parler. Ça a été intéressant à faire en tant qu’actrice. »

Brad Pitt, qui interprète un cascadeur dans le film, est d’accord. « Il s’agit d’une rage contre la perte de l’innocence. Quand ces meurtres ont eu lieu, ça a été terrifiant. Ce moment tragique a souligné le côté sombre de la nature humaine et a fait perdre toute son innocence à cette période. »