La mission n'avait a priori rien de bien sorcier : jaser politique au lendemain de l'élection d'Hillary Clinton avec la réalisatrice Chloé Robichaud et la comédienne Macha Grenon, en lien avec la sortie prochaine du film Pays, qui braque justement les projecteurs sur des femmes en politique.

Mais un dénouement inattendu s'est chargé d'orienter brutalement cette entrevue.

À l'instar d'un bon pourcentage de la planète, la jeune cinéaste, qui a signé l'excellent Sarah préfère la course, était sonnée lors de notre rendez-vous au café Byblos, avenue Laurier.

« Je me suis réveillée très triste ce matin en me disant : "Mon film vient de prendre un tout autre sens." On a toujours été certain que sa sortie coïnciderait avec la présence d'une femme à la tête des États-Unis », commente, à chaud, la réalisatrice.

L'élection surprise de Donald Trump était sur toutes les lèvres mercredi matin, incontournable comme un éléphant républicain dans une pièce. « Le seul qui semble l'avoir vue venir, c'est Trump lui-même. Ça prouve peut-être un manque de communication et de profondes divisions. Des fois, malheureusement, ça prend des événements du genre pour essayer d'analyser ce qui s'est passé et trouver du bon », croit Chloé Robichaud, qui se qualifie d'éternelle positive.

À ses yeux, Hillary Clinton est bel et bien entrée dans l'histoire dans la nuit du 8 au 9 novembre, mais pas de la manière prévue. « Ça illustre la difficulté pour une femme d'accéder à de tels postes », estime la réalisatrice, tristement convaincue - comme plusieurs - que les choses auraient été différentes si les démocrates avaient envoyé un homme dans l'arène. 



LA MÊME PERTINENCE

Et même si un homme emménage une fois de plus à la Maison-Blanche, le film de Chloé Robichaud ne perd rien de sa pertinence. Bien au contraire, puisqu'il relate les destins croisés - et ardus - de trois femmes qui ont décidé de se consacrer à la politique, rencontrées au coeur de négociations au sujet de l'exploitation minière d'un petit pays insulaire fictif nommé Besco. 

Macha Grenon incarne la présidente de l'île où se dérouleront les pourparlers, Nathalie Doummar personnifie une jeune députée faisant partie de la délégation canadienne et Emily VanCamp joue la médiatrice entre les différentes parties, incluant des représentants de la société minière. Une imposante distribution à laquelle se greffent Sophie Faucher, Rémy Girard, Yves Jacques, Serge Houde, Alexandre Landry et Micheline Lanctôt.

« Ce sont les personnages [des trois femmes] qui me sont venus en tête en premier. J'ai dû ensuite me trouver une cause et l'exploitation minière est un sujet dont on ne parle pas assez », explique Robichaud, qui a rencontré des politiciens, médiateurs, en plus de faire moult recherches pour éviter de sombrer dans le cliché et pour que les dialogues sonnent « vrai ».

Se disant allergique à la question des genres, la réalisatrice se défend d'avoir fait un film féministe. « Je suis en faveur de l'égalité des sexes et si j'ai choisi de mettre trois femmes de l'avant, c'était ma façon d'y contribuer », explique-t-elle, convaincue qu'une femme qui se lance en politique ne l'aura pas facile, notamment en raison de la pression sociale entourant le rôle de mère.

La réalisatrice n'a toutefois pas dépeint ses hommes comme des salopards, préconisant un portrait de la réalité plutôt qu'une approche manichéenne. Les trois femmes au coeur de l'histoire ont quant à elles des personnalités aux antipodes, une façon d'élargir le spectre des possibilités. Le personnage principal, par exemple, Félixe (Doummar), incarne un vent de fraîcheur en politique, se butant à un univers dur, parfois macho, dominé par le cynisme et la désillusion. « C'est le danger de la jeunesse, certains vont vouloir en profiter. Je pense qu'il y a beaucoup de jeunes intéressés par la politique, il faut juste les laisser s'exprimer », plaide la cinéaste, elle-même âgée de moins de 30 ans.

DIVERTISSEMENT OU MATURITÉ ?

La comédienne Macha Grenon débarque au même moment dans le café bondé.

Elle s'est gardée de donner son opinion sur les événements qui venaient de secouer l'échiquier politique mondial, préférant faire preuve de retenue. Un luxe rare aujourd'hui, admet Macha Grenon.

Elle souligne néanmoins au passage que son personnage contraste en tous points avec le nouveau président américain.

Sa présidente de Besco est compétente, intègre, honnête, mais aussi réservée et mal à l'aise avec les médias. « La réflexion qui m'obsède : veut-on du divertissement ou de la maturité ? Est-ce que ça ne serait pas rassurant justement, quelqu'un qui ne donne pas un bon show ? », lance Macha Grenon, qui a elle-même dû mettre de côté son côté flamboyant et passionné pour donner vie à un personnage plus froid, voire introspectif.

Les personnages féminins du film semblent d'ailleurs en proie à la solitude, mais elles connectent entre elles à leur manière, en laissant tomber les masques, ajoute la comédienne. « Je pense que la politique crée beaucoup de solitude », enchaîne Chloé Robichaud, qui a choisi de planter son décor dans une île, une façon d'illustrer que chaque individu constitue en quelque sorte un pays intérieur.

Rien pour empêcher les deux femmes de conserver un souvenir ému des deux mois de tournage dans le décor enchanteur de Terre-Neuve (et de l'île Fogo), qui devient en soi un personnage. « On était sur l'île ensemble et on ne voulait plus partir. Ça a créé une espèce de complicité, de cohésion et un univers créatif », résume Macha Grenon, en regardant affectueusement Chloé Robichaud, qui estime être devenue une meilleure cinéaste au terme du voyage.

Pays prend l'affiche le 18 novembre

Photo Sébastien Raymond, fournie par La boîte à Fanny

Pays a été tourné dans l'île Fogo, au large de Terre-Neuve.