Vincent Lindon ne tarit pas d'éloges envers son ami Alain Cavalier, sorte de père spirituel avec qui il entretient un lien privilégié depuis une dizaine d'années. Il apprécie en outre le statut de libre filmeur que revendique le cinéaste depuis maintenant plusieurs décennies. «Dans le contexte actuel, il est beaucoup plus difficile d'afficher un tel courage, une telle intransigeance sur le plan créatif que dans les années 60, observe l'acteur. Alain appartient à la dernière génération encore capable d'indépendance, encore capable de s'opposer au cinéma popcorn. Un jour, il n'y aura plus rien.»



De la même manière que les deux hommes confrontent leurs idées fictives dans Pater, un essai dans lequel ils incarnent le président de la République et son premier ministre (à l'affiche aujourd'hui), le cinéaste est loin de partager le pessimisme de son protégé. Au contraire. À 80 ans passés, Alain Cavalier reste toujours aussi confiant et enthousiaste.

Tout comme Alain Resnais, un autre octogénaire encore tout vert, Alain Cavalier partage sa passion avec la fougue d'un jeune homme, s'extasiant notamment sur la démocratisation d'un art désormais accessible à tous. La mort annoncée du cinéma? Pas demain la veille selon lui. Parce que le cinéma n'a jamais été aussi présent dans nos vies.

«Tant qu'il y aura quelque chose de particulier dans un film, et des gens qui auront le désir de filmer pour capter quelque chose de la vie et du monde, le cinéma ne pourra jamais mourir, dit-il. Prenez le dernier film de Jafar Panahi par exemple, Ceci n'est pas un film. N'est-ce pas extraordinaire? De savoir que tout cela a été filmé clandestinement, et envoyé sur une clé USB dans des festivals de cinéma? C'est magnifique. L'aventure continue, même après le film!»

Venu au cinéma par la filière de l'assistanat dans les années 50, comme il était d'usage à l'époque, Alain Cavalier fut notamment l'assistant de Louis Malle au moment où ce dernier tournait Ascenseur pour l'échafaud et Les Amants. Ses premiers longs métrages en tant que cinéaste furent produits dans un cadre narratif plus classique, avec des acteurs professionnels. L'insoumis met en vedette Romy Schneider et Alain Delon; La chamade, Catherine Deneuve. Au fil des ans, le cinéaste se tourne toutefois vers un cinéma plus expérimental, tendant à l'épure. Son plus haut fait d'armes à ce jour reste Thérèse, film maintes fois primé en 1986, gratifié aussi d'un succès public plus inattendu. Depuis cette époque, Alain Cavalier a pris le virage numérique, creusant le sillon de l'autofiction. Le cinéaste n'est pas homme de tradition.

«Quand je suis arrivé dans le monde du cinéma, l'appareillage technique était d'une lourdeur incroyable, rappelle-t-il. Or, ma pulsion originelle est toujours la même: quand je suis attiré vers quelque chose, j'ai envie de l'enregistrer. C'est aussi simple que ça. Aujourd'hui, la technologie est raffinée à un point où je peux me permettre de filmer de façon spontanée, en toute légèreté.»

Depuis toujours, et maintenant plus que jamais, la vie et le cinéma ne font qu'un dans l'esprit du cinéaste. Au cours d'une interview, il se lèvera souvent pour répéter les gestes d'un filmage, ou pour évoquer l'espace qui doit entrer le champ de la caméra.

«Vivre, c'est filmer, dit-il. Dès que je me réveille, je cadre. C'est pareil pour tout le monde. On choisit ce qui entre dans notre champ de vision. Toute la journée, vos yeux sont une caméra. Qui ne s'éteint que lorsque vous vous endormez. Et encore, ce n'est pas si sûr. Parce que vos rêves sont aussi cadrés comme des films. Moi, par exemple, mes rêves ressemblent souvent à des superproductions qui comptent plein de figurants. Tout le contraire des films que je fais! Le cinéma ne me quitte jamais. Parce que ma réalité devient film.»

Un tout jeune homme on vous dit.



S.O.S. Cinémathèque



En ces temps incertains, particulièrement pour les institutions culturelles, on ne peut que saluer la mise sur pied par le ministère québécois de la Culture et des Communications d'un comité d'études pour examiner les enjeux auxquels la Cinémathèque québécoise est confrontée. Des experts se pencheront notamment sur la crise financière, jugée critique, que la vénérable institution traverse.

On ne dira jamais assez à quel point le rôle de la Cinémathèque est essentiel dans la préservation du patrimoine cinématographique et audiovisuel québécois, canadien, et mondial. On ne louera jamais assez non plus le travail admirable qu'accomplissent les artisans du repaire cinéphile du boulevard de Maisonneuve, dans un pays où la mémoire culturelle est trop facilement reléguée aux oubliettes. Souhaitons ardemment un heureux dénouement.