On a tous un monstre en nous. Le pari de l’art, c’est d’arriver à nous le faire oublier. Une œuvre est réussie lorsqu’elle arrive à transformer ce qu’il y a de plus hideux dans la bête humaine en éclats d’intelligence et de beauté.

Sarah Berthiaume s’interroge sur ce thème, sur le rapport entre le créateur et sa créature, dans sa nouvelle pièce Wollstonecraft, créée jeudi dernier sous la direction d’Édith Patenaude. Un spectacle qui clôt la saison du Quat’Sous consacrée à la fiction. Et elle accouche d’un objet scénique insolite, étrange, voire envoûtant… mais qui nous a laissé sur notre faim.

L’autrice s’est librement inspirée du roman de Mary Shelley, paru au début du XIXe siècle, Frankenstein ou le Prométhée moderne, pour écrire un récit futuriste, proche de la dystopie. Elle y interroge son rapport à la création, ainsi que la maternité chez les femmes. Deux choses qui, dans sa pièce, sont à la fois « grisantes et terrifiantes ». Comme le parent avec son enfant, un auteur ne sait jamais tout à fait quand et comment sa « créature » finira par lui échapper. Pour vivre sa propre vie.

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR LE QUAT’SOUS

Ariane Castellanos, Jean-Christophe Leblanc et Ève Pressault dans Wollstonecraft

Panne d’écriture

Wollstonecraft était le patronyme de la mère de Mary Shelley. Ici, Marie Wollstonecraft (Ève Pressault) est une autrice contemporaine, en panne d’inspiration. Son dernier roman a été très mal reçu par la critique et le milieu littéraire. Au point que, à l’aube de la quarantaine, Marie ne veut plus écrire une seule ligne. Elle consacre désormais ses efforts à devenir maman.

D’abord emballé, son chum Perceval, un jeune poète queer joué par Jean-Christophe Leblanc, devient réticent à l’idée de mettre un enfant au monde. Surtout depuis que Marie a fait une série de fausses couches et garde les fœtus… au congélateur ! Sa meilleure amie, Claire (Ariane Castellanos), a aussi mis de côté son rêve de faire du théâtre. La comédienne désabusée est désormais directrice « élite » chez Tupperware. Elle donne des conférences pour motiver les femmes à vendre les produits de la populaire marque. En les sensibilisant aux vertus du plastique en général.

Le mélange des genres

Malgré les fulgurances de la plume, les scènes ne s’emboîtent pas bien les unes aux autres et le récit s’éparpille. On ne croit pas du tout au lien d’amitié entre « madame Tupperware » et la femme nullipare, car leurs personnalités sont diamétralement opposées. Le texte souffre de l’improbable mariage entre les genres. On passe des envolées poétiques aux fausses couches de Marie et à ses appels à Info-Santé, en passant par les conférences de Claire à propos de « femmes nourricières de l’humanité », de révolution par la bouffe, car « sans maïs pas de pays », lui disait sa grand-mère à Mexico. Ces monologues comico-politiques détonnent avec le côté poético-futuriste d’autres scènes.

Lorsqu’arrive Frankenstein, l’enfant-monstre que finira par créer Marie dans sa cuisine-laboratoire, la pièce vire à la terreur. Avec une finale écolo-apocalyptique qui ne vient rien arranger. Vous suivez toujours ?

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR LE QUAT’SOUS

Sous la direction d’Édith Patenaude, l’équipe de production (entièrement féminine) signe une proposition d’une étrange facture.

Sous la direction d’Édith Patenaude, l’équipe de production (entièrement féminine) signe une proposition à l’esthétique problématique. L’appartement de Marie ressemble à un laboratoire, dans lequel un congélateur gigantesque laisse passer une lumière bleue, où sont hissés de grands draps blancs recouvrant une partie du décor. Par moments, on a l’impression d’être dans une production jeunesse, tellement les accessoires et les costumes sont ludiques, et le jeu, appuyé. Notons la performance d’Ève Pressault, une actrice fort douée qui rend bien la déroute de Marie.

Au bout du compte, si le parallèle entre création et procréation est intéressant, la pièce ne l’exploite pas assez. L’autrice semble s’emmêler dans les fils d’une intrigue qu’elle n’a pas su dompter. Et on se perd dans le chaos de cet étrange univers.

Wollstonecraft

Wollstonecraft

Texte : Sarah Berthiaume
Mise en scène : Édith Patenaude
Durée : 1 h 45 (sans entracte)

Théâtre de Quat’Sous. , Jusqu’au 13 mai

6/10

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