Notre appel à tous concernant la meilleure mère télévisuelle n’est pas passé inaperçu. Celui concernant la pire non plus. Après comptabilisation des votes, deux noms prédominent d’un bout à l’autre du spectre : Isabelle dans L’œil du cyclone et Édith dans À cœur battant. A-t-on vraiment besoin de préciser laquelle est laquelle ?

Campée par Christine Beaulieu depuis maintenant quatre saisons, Isabelle a visiblement touché le million de téléspectateurs qui regardent assidûment L’œil du cyclone sur ICI Télé. « Attentionnée », « réconfortante », « drôlement sympathique », « dynamique », « humaine », « sensible »… Les qualificatifs élogieux abondent par courriel.

En entrevue, le producteur au contenu et conseiller aux textes de l’émission, Dominic Anctil, accueille ces résultats avec fierté. « Avec cette série, j’avais envie de rendre hommage aux mères. Isabelle, c’est une héroïne du quotidien qui n’échappe rien : les courriels de l’école, les enfants, la job… Elle jongle avec huit balles en même temps. Elle gère toute la charge mentale. »

De son côté, Christine Beaulieu affirme être émue chaque fois qu’elle reçoit des bons mots du public. « Je joue Isabelle avec tout mon cœur et toute ma sincérité. Il y a beaucoup de mères qui viennent me voir et qui sont comme : “Je suis pareille comme Isabelle ! Mes enfants me disent que c’est moi !” Parce que je n’ai pas d’enfants, je trouve ça super touchant. Ça veut dire que j’ai réussi à transmettre ce qu’elles vivent. »

Fernande, Marie-Luce et compagnie

Isabelle devance une figure maternelle d’une décennie passée : Fernande dans Quelle famille ! (1969-1974). Interprété par Janette Bertrand, ce personnage a marqué toute une génération de téléphiles, qui gardent le souvenir d’une femme au foyer « avant-gardiste », « féministe » et « aimante », d’après les courriels récoltés.

Elisabeth (Sandrine Bisson) dans Le temps des framboises (2022-2024) a également récolté plusieurs votes. Les répondants saluent sa force dans l’adversité.

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Elisabeth (Sandrine Bisson) dans Le temps des framboises

Marie-Thérèse Fortin apparaît également au tableau. Pour Françoise dans Le monde de Charlotte (2000-2004) et Un monde à part (2004-2006), Claire dans Mémoires vives (2013-2017) et Judith dans Les moments parfaits (2021-2023). En entrevue, la comédienne vante le travail des auteurs, qui dépeignent des mères auxquelles on s’attache facilement.

Marie-Thérèse Fortin s’y connaît en personnages de matriarches. Son CV d’actrice en comprend plusieurs. « Quand j’étais à l’école [le Conservatoire d’art dramatique du Québec], je faisais les mères de tout le monde ! On m’a toujours beaucoup associée aux rôles de mères. Je pense que j’ai toujours eu cette fibre. Je viens d’une famille nombreuse. On prenait soin les uns des autres. Avec mes amis, je suis aussi très maternante. On ne peut rien contre sa propre nature ! »

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Françoise (Marie-Thérèse Fortin) avec ses deux filles, Charlotte (Catherine Brunet) et Karine (Bianca Gervais), dans Un monde à part

Autre personnage contemporain mentionné dans plusieurs réponses : Marie-Luce dans 5rang (2019-2024). Interprétée par Maude Guérin, la résidante de Valmont a mené son petit monde d’une main de fer jusqu’en mars dernier, lorsque le drame rural de Sylvie Lussier et Pierre Poirier a quitté l’antenne d’ICI Télé.

Au téléphone, Maude Guérin s’avoue « très heureuse » de constater que Marie-Luce a gagné le cœur de nombreux lecteurs. « Je m’ennuie d’elle, reconnaît l’actrice. J’ai mis beaucoup de moi dans Marie-Luce : mes convictions, ma force… C’était une mère avec tous ceux qui l’entouraient. Elle était très protectrice. Comme elle, j’ai tendance à prendre les gens sous mon aile. Et comme elle, je suis une fille de gang. »

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Marie-Luce (Maude Guérin) dans 5rang

Mentions honorables à Nathalie (Anne Dorval) dans Les Parent (2008-2016), Rolande (Marie-Ginette Guay) dans Discussions avec mes parents (2018-2024), Annie (Guylaine Tremblay) dans Annie et ses hommes (2002-2009), Jeanne Jacquemin (Marjolaine Hébert) dans Terre humaine (1978-1984) et Catherine (Céline Bonnier) dans Une affaire criminelle (2022), qui « s’est battue jusqu’au bout pour son fils ».

Les « pas fines »

Du côté des pires modèles de mères, celles qui hantent les cauchemars des lecteurs, un nom dépasse largement les autres, celui d’Édith Leclerc dans À cœur battant (2023-2024). Cette domination n’étonne pas vraiment son interprète, Micheline Lanctôt. Depuis qu’elle campe cette femme ayant – entre autres choses – maltraité son enfant, les réactions sont fortes, comme en témoignent les courriels qui rentrent par pelletées depuis notre appel à tous.

Une mère « détestable », « toxique », « égocentrique » et « manipulatrice », estiment des fidèles du feuilleton de Danielle Trottier. « Quel monstre ! », lance une lectrice. « Une pas fine », écrit une autre.

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Édith Leclerc (Micheline Lanctôt) et son fils Christophe L’Allier (Roy Dupuis) dans À cœur battant

En entrevue, Micheline Lanctôt parle d’Édith comme d’un grand défi d’actrice. « Je voulais qu’elle soit crédible. Mais je n’avais pas envie qu’elle soit vile. Je voulais faire ressortir son humanité. Parce qu’avant tout, c’est une personne profondément endommagée… qui endommage ses enfants. »

La prestation de Micheline Lanctôt est appréciée. Les lecteurs qui détestent Édith sont nombreux à souligner l’« excellent travail » de l’actrice. Danielle Trottier abonde. « Quand tu travailles avec une artiste comme elle, qui endosse complètement le personnage, c’est rassurant. »

Avec Édith Leclerc, l’autrice souhaitait montrer à quel point la violence s’inscrit « dans le temps ». « Dans une famille, ça peut venir de loin. Quand vous ne l’arrêtez pas, elle peut durer très longtemps. Elle peut pourrir l’existence de plusieurs personnes. »

Danielle Trottier ne s’est pas inspirée d’une personne en particulier pour construire ce personnage.

Le modèle de mère qu’on met toujours de l’avant, ce n’est pas Édith. Ce type de mère, on n’en parle pas assez. C’est quand même tabou, une mère comme ça. J’en ai rencontré. J’ai des histoires. Elles existent.

Danielle Trottier

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Louise Robinson (Alexa-Jeanne Dubé) dans Sorcières

Parmi les autres mères que nos lecteurs qualifient de cauchemars, mentionnons Louise Robinson (Alexa-Jeanne Dubé) dans Sorcières (2024), Madeleine (Sylvie Léonard) dans Lâcher prise (2017-2020), Michelle (Louise Turcot) dans 19-2 (2011-2015) et Nancy Riopelle (Geneviève Schmidt) dans District 31 (2016-2022).

Le cas Bougon

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Rita Bougon (Louison Danis) et Paul Bougon (Rémy Girard) dans Les Bougon – C’est aussi ça la vie

Détail à signaler, une mère s’est retrouvée autant chez les pires que chez les meilleures matriarches. Son nom ? Rita Bougon. Certains lecteurs n’ont pas mâché leurs mots pour décrire le personnage défendu par Louison Danis de 2004 à 2006 au petit écran : « voleuse », « dépravée », « fumeuse », « mal engueulée », alouette ! Selon Hélène Baril de Blainville, la matriarche possédait un sens moral à peine plus élevé que « sa bouteille de Pepsi ».

Parmi les centaines de courriels reçus, un défendait l’honneur de Maman Bougon. Le message venait d’un certain François Avard, auteur des Bougon. Joint au téléphone, le scénariste s’est avoué surpris – et plutôt triste – d’apprendre que Rita Bougon faisait partie des pires modèles de mère de certains lecteurs.

Ce n’est pas une femme que j’aurais voulue comme voisine ou comme locataire, mais comme mère, certainement !

François Avard

« Parce qu’elle aimait ses enfants, poursuit l’auteur. Elle leur transmettait des valeurs de liberté, de créativité, de débrouillardise… Elle leur disait qu’il fallait qu’ils refusent d’être des moutons derrière les dictats d’une société qui veut que tout le monde marche drette pour être au service des plus riches. C’était des valeurs anarchiques, mais certainement valables. Elle était très ouverte d’esprit. »

« C’est une autre époque, une autre manière de penser. Moi, en grandissant, avant d’aller à l’école, je déjeunais devant ma grand-mère qui fumait sa cigarette. C’était comme ça. Je ne suis pas mort. Je n’avais pas l’impression que c’était une mauvaise grand-mère, parce qu’elle nous aimait beaucoup et elle s’occupait de nous autres. »