La Presse a assisté au visionnement d’une série pas comme les autres, mercredi : Vestiaires, une comédie à sketchs mettant en vedette – de manière quasi exclusive – des personnes handicapées. Une première au Québec.

Il s’agissait d’une projection aux allures de victoire. Victoire qu’une telle production arrive en ondes, après des années de labeur. La boîte Sphère Média (Cerebrum, IXE-13) a initialement présenté le projet à AMI-télé en 2016, mais comme l’antenne au service des personnes non voyantes, à mobilité réduite ou malentendantes dispose d’un budget « très modeste », et qu’une fiction requiert un important investissement financier, la partie n’était pas gagnée d’avance.

Comme dans toute bonne projection de presse, les sourires des artisans étaient larges, mercredi. Mais derrière ces marques évidentes de contentement, on décelait plusieurs autres sentiments, dont l’exaltation, la gratitude et surtout, la fierté d’avoir participé à « quelque chose de plus grand que soi » qui pourrait, pour reprendre les propos de nombreux intervenants, « faire tomber les préjugés ».

Est-ce que Vestiaires atteindra cet objectif ambitieux ? Tous les espoirs sont permis. C’est du moins notre impression après avoir regardé ses premiers épisodes, qu’AMI-télé présentera dès mercredi prochain.

Après avoir passé près d’une heure dans l’univers d’un club de nageurs handicapés, on peut affirmer que l’humour tantôt bon enfant, tantôt politiquement incorrect du projet opère sa magie. Les tabous sautent les uns après les autres. Tellement qu’en fin de compte, on oublie qu’on regarde une série dite « différente ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Les comédiens de Vestiaires Charlie Rousseau, Michel Cordey, Dominic Sillon et Marie-Christine Ricignuolo

Une vision amusante

Adaptation québécoise d’un format français à succès présenté sur France 2 depuis 2011, Vestiaires brosse le portrait d’une bande d’athlètes colorés, parmi lesquels on trouve Stéphane (Dominic Sillon du duo humoristique Dominic et Martin), un mauvais nageur qui présente des biais d’angles morts aussi physiques (avec son œil de verre) que psychologiques, Mike (Michel Cordey) un boute-en-train en fauteuil roulant, Catherine (Charlie Rousseau), une mécanicienne automobile atteinte de malformations congénitales qui habite à Saint-Jérôme (son plus gros handicap, selon Stéphane), et Charles (Jacques Poulin-Denis), un jeune homme hyper compétitif amputé d’une jambe qui amorce un flirt avec Sarah (Marie-Christine Ricignuolo), une non-voyante lassée d’être célibataire.

Mentionnons également la présence de Caro (Lamia Benhacine), qui souffre de nombreuses pertes de mémoire depuis son attaque cérébrale. Comme avec Fabien Cloutier dans Les beaux malaises, ses oublis sont exploités pour soutirer des rires dans plusieurs scènes. Même chose avec Valérie (Andréanne Fortin), qui provoque des situations comiques avec ses tics (elle souffre du syndrome de Gilles de la Tourette).

PHOTO ÉRIC MYRE, FOURNIE PAR AMI-TÉLÉ

La distribution de Vestiaires

Un seul comédien de Vestiaires ne souffre d’aucun handicap : Michel Charette, qui campe le coach dévoué, mais légèrement idiot de l’équipe. Dans une scène, il essaie même de guérir Valérie et de chasser sa Tourette en recourant aux mêmes trucs qu’on utilise pour stopper une crise de hoquet, comme boire la tête à l’envers, souffler dans un sac, etc.

Ce n’est pas le seul extrait « politiquement incorrect » que propose la série. Au deuxième épisode, en rencontrant un nouveau coéquipier atteint de paralysie cérébrale (campé par Dave Richer, qu’on a récemment pu voir dans STAT), Catherine s’exclame : « Quand il parle, on dirait quelqu’un qui fait une crise d’épilepsie avec une patate dans bouche ! »

« Quand on est tous ensemble, c’est notre genre d’humour, a expliqué en point de presse Dominic Sillon, qui porte également la casquette de producteur au contenu et d’auteur. Ça montre comment les choses se passent au quotidien. On rit beaucoup de nos handicaps. »

Des non-acteurs

La plupart des acteurs de Vestiaires n’avaient jamais joué la comédie avant l’hiver dernier. Pour s’assurer qu’ils présentent un niveau de jeu acceptable, la production a organisé des ateliers d’interprétation et plusieurs lectures en amont du tournage, lequel s’est étiré sur 18 jours en début d’année.

La stratégie a fonctionné. Quand on regarde les épisodes, on n’a pas l’impression d’observer une bande d’amateurs s’échanger des répliques. Au contraire. Tout coule naturellement.

Au micro, le réalisateur Louis Choquette (Les bracelets rouges) a indiqué qu’il avait « vu naître » des comédiens durant l’aventure.

Ce qui serait extraordinaire, ce serait qu’ils apparaissent dans d’autres séries. Pas nécessairement pour jouer des personnages en situation de handicap, mais simplement parce qu’ils sont bons. C’est un peu mon souhait.

Louis Choquette, réalisateur de Vestiaires

« J’espère qu’on va nous regarder comme on regarde les autres qui ont tous leurs morceaux », a ajouté Camille Chai, qui défend le rôle d’Isabelle, une jeune femme née sans bras gauche ni jambe gauche.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le réalisateur Louis Choquette a pris la parole au terme du visionnement.

Avec l’aide de Radio-Canada

Vestiaires n’aurait jamais pu éclore sans l’appui de Radio-Canada, souligne la vice-présidente, Développement de contenu et programmation d’AMI-télé, Isabella Federigi. Faisant partie des « chaînes à distribution obligatoire » au sein des forfaits de base des câblodistributeurs, comme APTN, TV5-Unis TV et MétéoMédia, AMI-télé tire ses revenus des redevances… qui fléchissent d’année en année, étant donné le nombre croissant de Canadiens qui délaissent la télévision linéaire.

« Et comme les agences de publicité n’ont jamais le réflexe de diriger leurs clients vers AMI-télé, c’est difficile », explique Isabelle Federigi.

La Société Radio-Canada s’est jointe au projet l’an dernier comme partenaire financier. Pourquoi le diffuseur public a-t-il décidé de soutenir la série ? En entrevue, son directeur des émissions dramatiques, André Béraud, répond au moyen d’une formule qui rappelle une célèbre phrase prononcée par Justin Trudeau : « Parce qu’on est en 2024. »

C’est pareil pour Lakay Nou et Pour toi Flora. La représentation à l’écran, c’est vraiment important pour nous.

André Béraud, directeur des émissions dramatiques à Radio-Canada

Selon Josée Vallée, vice-présidente exécutive, fiction et longs métrages, marché francophone, de Sphère Média, les téléspectateurs n’auraient pas été prêts pour une série comme Vestiaires il y 10 ou même 5 ans. « La société a évolué, estime la productrice. Il y a plus d’ouverture aujourd’hui. On accepte beaucoup plus de voir la différence. »

AMI-télé présente Vestiaires les mercredis à 20 h, à compter du 10 avril. La série sera éventuellement offerte sur ICI Tou.tv, puis sur ICI Télé.