L’art peut-il sauver des vies ? Lorsqu’il est combiné à un indéfectible amour maternel, la réponse est oui. C’est du moins l’avis du chorégraphe libanais Ali Chahrour, de passage au Festival TransAmériques (FTA) – qui débute mercredi – avec son spectacle Du temps où ma mère racontait.

L’histoire de la famille Chahrour n’est pas un long fleuve tranquille. Comme des milliers d’autres à Beyrouth, elle doit composer avec les problèmes qui secouent le pays du Cèdre depuis des décennies : insécurité politique, montée de certains groupes religieux, crise économique…

Pour les Chahrour, cette situation difficile s’est cristallisée dans la disparition d’Hassan, le cousin du chorégraphe. Né d’un père syrien (ce qui l’empêche d’avoir la citoyenneté libanaise), il a dû retourner en Syrie en 2015 pour remettre ses papiers en ordre. Il n’en est jamais revenu.

« Pendant huit ans, ma tante Fatmeh a tout fait pour retrouver son fils. Même atteinte du cancer qui l’a emportée, même lors de son dernier transfert vers l’hôpital, elle n’a pas arrêté une seconde de le chercher », explique Ali Chahrour, joint chez lui à Beyrouth avant son arrivée à Montréal.

Cette tragédie a marqué la famille, tandis qu’une autre se préparait. Abbas, fils adolescent d’une cousine paternelle prénommée Leila, a suivi un entraînement pour aller combattre en Syrie. Son objectif : devenir un martyr.

PHOTO CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE, FOURNIE PAR LE FTA

Leila Chahrour fait partie des interprètes du spectacle Du temps où ma mère racontait.

Sachant cela, le chorégraphe a proposé au jeune homme une aventure folle, mais moins mortelle : danser sur scène avec sa mère dans un spectacle articulé autour de la force de l’amour maternel.

Abbas a fini par accepter, avec l’appui de sa mère qui a chassé de chez elle les représentants de la secte religieuse qui avait embrigadé son fils de 15 ans. « Un geste très courageux », souligne Ali Chahrour.

Depuis trois ans, mère et fils dansent donc sur les scènes du monde avec les interprètes professionnels du spectacle. Ils ont trouvé au sein du groupe d’acteurs, de danseurs et de musiciens une deuxième famille pour les soutenir…

Du temps où ma mère racontait représente donc la double victoire d’une mère pour garder son fils en vie, mais aussi de l’art qui peut influencer le destin d’un être humain.

L’histoire derrière les portes closes

Pour le chorégraphe, accoucher de ce spectacle très intime n’a pas été facile. « Ç’a été un processus difficile, très intense émotivement. Mais pour moi, il est essentiel de raconter des histoires comme celles-là pour les garder vivantes. Ça fait partie de ma recherche de mettre en lumière ceux qui ont quitté ce monde sans obtenir la justice qu’ils méritaient. »

PHOTO CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE, FOURNIE PAR LE FTA

Le spectacle rassemble à la fois des professionnels de la scène (dont deux musiciens) et des artistes amateurs.

Si ses spectacles sont très imprégnés du contexte particulier dans lequel il vit et travaille, il reste qu’Ali Chahrour s’intéresse davantage aux histoires qui se passent derrière les portes closes de Beyrouth qu’à celles qu’on lit à la une des journaux. « Le spectacle permet tout de même de saisir le contexte actuel au Liban. J’ai toutefois envie de créer un héroïsme nouveau. Et de nouveaux héros. »

Ses héros sont de fait surtout des héroïnes, car le chorégraphe se dit très inspiré dans son travail par les femmes en général, et les mères en particulier pour ce spectacle.

« Les femmes de ma famille sont des femmes puissantes. Ma mère m’a élevé dans des conditions difficiles, sans figure paternelle à la maison, puisque mon père est décédé quand j’avais 13 ans. Elle n’a jamais voulu quoi que ce soit en retour. »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le chorégraphe Ali Chahrour

L’amour maternel est d’une puissante incroyable pour moi. Je me sens si petit face à cet amour immense. Je n’ai pas les mots pour décrire cet état.

Le chorégraphe Ali Chahrour

Or, lorsque les mots manquent, Ali Chahrour sait ce qu’il a à faire : danser. S’il a étudié en théâtre à Beyrouth dans sa jeunesse – parce qu’aucune formation en danse n’était offerte au Liban –, c’est surtout par le mouvement qu’il a trouvé sa véritable voix. « Dans ce spectacle, il y a de la musique, du texte, de la danse… Mais la danse me permet de montrer ces émotions qu’on ne peut décrire. Le corps prend le relais de la parole. »

Chez cette étoile montante qui en sera à sa deuxième visite au FTA (il a présenté May He Rise and Smell the Fragrance en 2019), la danse se passe d’artifices superflus. « Toutes mes chorégraphies tendent à mettre en valeur la simplicité et le pouvoir du geste. Pour moi, les regards sont très importants. Dans Du temps où ma mère racontait, on se donne le luxe de se regarder droit dans les yeux. On prend le temps de se voir, vraiment. Considérant la situation dans laquelle on vit au Liban, je suis reconnaissant de pouvoir encore regarder ceux que j’aime dans les yeux. »

Autre particularité qui caractérise son travail : cette rencontre entre artistes professionnels et non-acteurs. « J’aime le clash que ça provoque. Il y a un réel échange. Chacun a sa façon de bouger et c’est le mélange des deux parcours – celui très technique et celui de l’amateur – qui crée les scènes. Je crois sincèrement que tout le monde peut danser. Il faut seulement être honnête et transparent avec notre façon de nous mouvoir. Sans s’imposer de frontières. Les non-danseurs m’inspirent dans ma recherche vers le minimalisme du mouvement. »

Du temps où ma mère racontait est présenté les 22, 23 et 24 mai au Monument-National. La 18édition du Festival TransAmériques se déroule du 22 mai au 5 juin à Montréal.

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À voir aussi au FTA

asses. masses

PHOTO SERGIO SANTILAN, FOURNIE PAR LE FTA

Le spectacle asses. masses met en vedette des ânes virtuels qui prendront vie sous l’impulsion des spectateurs.

Sept heures et demie de gaming pour réfléchir aux conséquences du post-industrialisme : c’est ce que proposent les artistes canadiens Patrick Blenkarn et Milton Lim avec cette œuvre numérique interactive en 10 épisodes où on suit des ânes qui cherchent à retrouver leur emploi, perdu aux mains de machines. Les spectateurs deviennent ici les performeurs de ce spectacle iconoclaste à forte teneur politique et sociale.

Le 25 mai (en français) et le 1er juin (en anglais), au Théâtre Centaur

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Stéphanie Morin, La Presse

5 à 7 avec Angelo Barsetti

PHOTO ANGELO BARSETTI, FOURNIE PAR LE FTA

Le maquilleur et photographe Angelo Barsetti fera l’objet d’un 5 à 7 en marge du festival.

Depuis plus de 35 ans, Angelo Barsetti use de son talent pour maquiller et photographier des interprètes de théâtre. Celui qui a travaillé avec André Brassard, Wajdi Mouawad, Brigitte Haentjens et plusieurs autres rencontrera le public dans un 5 à 7 qui lui est consacré. Au programme de cet évènement en marge du FTA animé par Cédric Delorme-Bouchard : extraits de spectacles, archives et témoignages. À savoir : plusieurs autres rencontres et activités parallèles sont proposées pendant le festival.

Le 23 mai à 17 h au QG du FTA

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Stéphanie Morin, La Presse

Au cœur de la rose (Généalogie d’une tristesse)

PHOTO FABRICE GAÉTAN, FOURNIE PAR LE FTA

La distribution de la pièce Au cœur de la rose : Marco Poulin, Marine Johnson, Evelyne de  la Chenelière, Sébastien Ricard, Émile Schneider et Nahéma Ricci

Pour son tout nouveau spectacle, le metteur en scène montréalais Jérémie Niel s’est emparé de la pièce de Pierre Perrault, créée en 1963. Dans cette fable plantée sur une île au milieu du Golfe, le quotidien du Père, de la Mère et de la Fille est perturbé par le naufrage d’un capitaine et de son marin. Jérémie Niel a ici rassemblé une solide distribution – avec Sébastien Ricard, Émile Schneider et Evelyne de la Chenelière notamment – pour habiter un plateau magnifié par des paysages vidéo et sonores.

Du 25 au 29 mai à l’Espace Libre

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Stéphanie Morin, La Presse

Rinse

PHOTO FOURNIE PAR LE FTA

Amrita Hepi dans le solo Rinse

Le FTA reçoit la danseuse et chorégraphe Amrita Hepi, une artiste de double descendance autochtone bundjalung (Australie) et ngāpuhi (Nouvelle-Zélande, ou Aotearoa, en langue maori). Celle qui fut nommée parmi les 30 artistes de moins de 30 ans par Forbes en 2018 propose une danse expérimentale à la croisée des disciplines, sa recherche explorant la danse et le corps comme lieu de mémoire et de résistance. Elle s’amène avec Rinse, un solo qui s’intéresse aux commencements – ceux des civilisations, d’une romance, d’une théorie –, à l’excitation qui les porte et à l’inertie qui les guette. Un jeu chorégraphique où corps et mots mettent la table.

Du 25 au 30 mai, au Théâtre Rouge du Conservatoire

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Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Pendant ce temps, à l’OFFTA…

PHOTO JA JAMES « JIGSAW » BRITTON JOHNSON, FOURNIE PAR L’OFFTA

Dans le cadre de l’OFFTA, le danseur Mecdy Mystic Rootz propose un solo intitulé Transelucide.

Qui dit FTA dit OFFTA, plus petit festival parallèle qui fait la part belle aux artistes émergents. Cette année, 13 propositions artistiques sont offertes dans divers lieux de Montréal, dont la place de la Paix pour des prestations gratuites. Parmi les spectacles à ne pas manquer : un solo dansé de Mecdy Mystic Rootz au MAI, une conférence (intitulée Dead People Are Liking Things On Facebook) sur l’évolution des rites funèbres au Prospero ou encore un thriller à mi-chemin entre théâtre et arts visuels – Extérieur/Nuit – présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui.

Du 24 mai au 2 juin

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Stéphanie Morin, La Presse