Après avoir abordé la crise climatique dans sa pièce MWon’d, la chorégraphe Rhodnie Désir poursuit sa démarche documentaire en s’inspirant des témoignages de spécialistes et de patients de l’Institut de cardiologie de Montréal et de l’Istituto Cardiocentro de Ticino à Lugano. Une façon pour elle de prendre le pouls de l’âme humaine.

Deux rangées de danseurs se font face. Une interprète circule entre eux. Les têtes tombent par en avant, il y a des pas de côté. À l’arrière-plan, des projections de cœurs, d’artères et de cages thoraciques apparaissent comme des pulsations. Un à un, les corps tremblent avant de tomber, de rouler par terre et d’échoir dans les coulisses.

« C’est un segment où j’ai voulu aborder le thème de l’attente, nous dit Rhodnie Désir. Tout le monde est passé par là. Ce moment où on attend, dans une salle ou en attendant un diagnostic. Au-dessus d’eux, il y a un grand miroir placé en angle, qui fait qu’on voit aussi les interprètes à l’envers en permanence. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Toute la gestuelle du spectacle est inspirée des témoignages des patients et des spécialistes de l’Institut de cardiologie de Montréal.

Cet effet n’est pas qu’un choix esthétique. Car Rhodnie Désir s’est aussi intéressée aux pensées qui habitent à la fois les patients et les médecins penchés sur eux lorsqu’ils les soignent – ou les opèrent. Des pensées suspendues au-dessus de leurs têtes qu’on ne peut ici que deviner, mais qui tournent autour de la volonté de réanimer. Ou d’être réanimés.

Durant sa phase de recherche, la conceptrice et chorégraphe a même assisté à des interventions chirurgicales. Un désir et même un plaisir, nous dit-elle.

« On parle de chorégraphie, du corps, de l’espace, mais la plupart d’entre nous n’ont jamais vu l’intérieur d’un corps autrement que par ordinateur, dit Rhodnie Désir. C’est très particulier, les sons, les odeurs, il y a un perfusionniste, qui est pour moi comme un percussionniste du sang. Toutes ces têtes penchées sur un corps inerte, mais avec ce sang qui circule, ce sont des images très inspirantes. »

Les témoignages recueillis auprès des médecins et des patients ont permis à la chorégraphe de produire un vocabulaire artistique et une gestuelle propre à Symphonie de cœurs.

Au cours de cette chorégraphie, les pulsations cardiaques se mêlent aux rythmes afrocontemporains.

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La chorégraphe Rhodnie Désir dirige la répétition de la pièce Symphonie de cœurs.

Le plus grand tambour qui existe est notre cœur, peu importe qui on est, c’est ce qui nous relie à la vie. Il y a une zone de connexion au sacré, parce que les gens dans une salle d’attente, qu’ils soient croyants ou non, se mettent à prier ou s’en remettent à quelque chose de plus grand.

Rhodnie Désir

La musique a été composée par Jorane ; elle sera interprétée par 60 musiciens de l’Orchestre métropolitain – qui se trouveront dans la fosse de la salle Wilfrid-Pelletier – sous la direction de Naomie Woo. Mais sur scène, en présence des danseurs, on retrouvera le beatmaker et concepteur sonore Engone Endong, ainsi que le percussionniste et flûtiste Lasso Sanou.

Concrètement, l’orchestre a dû s’adapter à la trame narrative. Par exemple, un des témoignages clés recueillis par la chorégraphe concernait un patient ayant reçu une greffe du cœur, mais qui a été plongé plusieurs fois dans un coma. « J’ai dit à l’orchestre : je ne veux pas que vous jouiez bien ici, précise la créatrice. Vous devez être désorganisés et à un moment donné, le cœur reprend, et là l’orchestre peut recommencer à bien jouer. »

Un spectacle sur les affaires du cœur, Rhodnie Désir s’était pourtant refusé d’en faire un, mais de son propre aveu, elle s’est fait prendre au jeu.

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La scène finale de Symphonie de cœurs est un hymne à la vie, nous dit Rhodnie Désir.

« Il y a un segment de pulsions-répulsions où l’on aborde les élans du cœur, nous dit la chorégraphe. En fait, Symphonie de cœurs est une torsade entre les maladies cardiovasculaires et les amplitudes amoureuses. Parfois, les deux sont liées, comme avec le tako-tsubo, qui est une maladie cardiaque en lien avec une rupture amoureuse. C’est quelque chose de tragique et d’absolument fascinant. »

La performance des 11 interprètes de Symphonie de cœurs est un « chavirement entre la vie et la mort », insiste Rhodnie Désir, jusqu’à la finale qui est « un hymne à la vie ». « Ce qu’on dit au spectateur, qui voit les interprètes se démener, c’est : t’es en vie, c’est quoi, ta prochaine étape ? Est-ce que tu vas continuer à prendre tes cinq cafés le matin ? Ou tu vas changer quelque chose ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui t’a percuté ? »

Pour préparer ses interprètes à investir l’immense salle Wilfrid-Pelletier, Rhodnie Désir a fait appel à des entraîneurs professionnels du milieu sportif.

« Rentrer à Wilfrid-Pelletier, avec un orchestre de 60 musiciens, demande une préparation mentale, explique-t-elle. On n’arrive pas là en se disant, c’est une belle occasion, on va le faire. J’ai donc voulu les préparer comme des athlètes de haut niveau. Il y a des artistes qui sortent de l’école, c’est sûr que c’est impressionnant pour eux d’arriver ici. Donc on investit la salle, on répète là-bas pour qu’ils se familiarisent avec le lieu. »

Est-ce un lieu approprié pour la danse, qu’on est plus habitué à voir dans des espaces intimes ? « Oui ! répond Rhodnie Désir sans hésiter. La danse a besoin d’avoir de grands espaces. Elle a besoin de pouvoir s’exprimer dans une grandeur, de faire vivre la grandeur aux gens, pour l’énergie que ça procure. Pourquoi se priver de ça ? »

À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts du 4 au 6 avril

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