Il n’y a pas plus beau métier que de tenir parole, chantait Sylvain Lelièvre. David Goudreault porte la sienne bien haut dans son spectacle En marge du texte, profession de foi drôle, sensible, mais inégale envers la littérature.

On a déjà vu le Théâtre Maisonneuve rempli à ras bord pour entendre des poèmes de Gaston Miron. Ce n’était pas une nuit de la poésie thématique, mais un spectacle construit autour des albums Douze hommes rapaillés avec de gros noms comme Louis-Jean Cormier, Richard Séguin et Vincent Vallières. La chanson, parfois, porte bien haut le flambeau de la poésie.

Mais voir cette salle de près de 1500 places remplie pour entendre quelqu’un dire sans les chanter – ou les slamer – des textes littéraires ? On n’en a pas souvenance. Il y a bien Fred Pellerin qui attire les foules en prenant le taureau par les contes depuis belle lurette, mais un homme de lettres qui récite ses poèmes ? Qui ressuscite ceux d’Anne Hébert et de son petit-cousin Saint-Denys Garneau ? Qui cite Réjean Ducharme ? Non…

Que David Goudreault soit à l’affiche du Théâtre Maisonneuve est déjà un exploit. Qu’il y ait été deux soirs cette semaine et qu’il y revienne à l’automne (une supplémentaire sera annoncée pour le 23 octobre prochain) devient presque phénoménal.

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David Goudreault en spectacle au Théâtre Maisonneuve, jeudi soir

Histoires de lectures

En marge du texte fait un pas en arrière si on part du premier spectacle littéraire du romancier-slameur-poète. Après avoir raconté ses débuts d’écrivain dans Au bout de ta langue, il évoque ici son parcours de lecteur. En devenir un fut, raconte-t-il, un accident de parcours.

Ce n’est pas une figure de style : enfant, David Goudreault s’est fait « écraser » par une voiture. C’est pendant sa longue convalescence qu’il s’est mis à la lecture.

Et qu’il y a pris goût jusqu’à se plonger dans les livres plusieurs heures par jour, nourrissant son quotidien morne et découvrant les superpouvoirs de sa propre imagination.

Un spectacle aussi foisonnant qu’En marge du texte ne se raconte pas. Il s’écoute, surtout. Pour accueillir la résonance d’Accompagnement, célèbre poème de Saint-Denys Garneau. Pour redécouvrir la poésie d’Anne Hébert. Pour s’émerveiller des premières lignes de L’avalée des avalés de Ducharme. Pour rire, aussi, de la nullité des romans de la collection Frissons que David Goudreault a trop lus à l’adolescence ou de glissades vers des écritures érotiques…

Le poète-performeur est un bon diseur de texte. Son approche décontractée ne manque ni de chaleur ni de charisme. Ce gars-là a donné des centaines de conférences dans des écoles et quelqu’un qui peut retenir l’attention d’un public adolescent avec des vers peut séduire n’importe quel autre public. David Goudreault n’a donc eu aucun mal à captiver le Théâtre Maisonneuve, qui a poussé des soupirs et ri, presque toujours là où il l’avait prévu.

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David Goudreault au piano

Des zones de liberté à apprivoiser

En marge du texte est en effet un spectacle très écrit. On sentait d’ailleurs l’artiste encore très à l’étroit dans sa mise en scène. Il connaît ses repères, mais apprivoise encore ses zones de liberté. Les phrases écrites pour interagir avec l’assistance sonnent encore trop écrites, justement. On voit tout de suite la différence lorsqu’il sort du canevas établi et réagit spontanément. Ce qui lui va mieux.

L’aspect le moins convaincant du spectacle est ce grand écart qu’il fait constamment entre envolée poétique et blagues dignes d’un show d’humour.

David Goudreault se réclame de cette hybridité et règle d’ailleurs quelques comptes avec les puristes qui ne le trouvent pas assez littéraire – geste inutile compte tenu de son succès. Or, à trop vouloir divertir et à trop se mettre devant le texte, il empêche parfois la poésie de briller.

Ce fut le cas, notamment, lorsqu’il a dit Mon Olivine, déclaration d’amour très charnelle que Claude Gauvreau a écrite dans sa langue inventée, l’exploréen. En le portant au milieu du parterre, le dédiant à un spectateur, il en a gommé la résonance. La sensualité de ce texte-là tient à sa mise en scène sonore. Qui s’est perdue dans ce moment, ne laissant qu’une impression d’étrangeté.

En marge du texte réussit à faire entendre la parole littéraire et, insistons, c’est un exploit en soi. Or, il n’arrive pas à en élever la valeur poétique. Manque-t-il de silences ? Manque-t-il d’intermèdes musicaux sans paroles ? Manque-t-il d’effacement du performeur derrière les mots ? Un peu de tout ça. Il ne s’agit peut-être que de défauts de calibrage, qui peuvent être facilement réglés dans ce qu’on appelle les arts vivants.

En tournée partout dans la province à partir du 13 mars.